MONTRÉAL – Pas besoin d’être une célébrité mondiale pour avoir laissé sa marque. Si l’athlète qui a le plus impressionné Russ Anber n’a plus besoin de présentation, le choix de Norman Flynn pourrait vous surprendre.

Russ Anber : Ali, comme un Dieu

Depuis que je suis tout jeune, la boxe représente toute ma vie. J’ai entraîné des boxeurs, j’ai travaillé dans leurs coins, j’ai fabriqué de l’équipement, j’ai travaillé à la télévision. Ma vie, c’est la boxe. Mais à mes débuts, j’avais besoin d’une preuve que tout ça était possible. J’avais besoin que quelqu’un me donne le courage de foncer et de croire en mes rêves à une époque où je n’avais rien d’autre pour souper qu’une boîte de céréales. Cette personne-là, sans qu’il le sache bien sûr, ça a été Muhammad Ali.

Il y a une citation d’Ali qui est toujours restée gravée dans ma mémoire. Après avoir remporté le titre mondial et avoir délaissé le nom de Cassius Clay, il avait été appelé à joindre l’armée américaine, mais il ne voulait rien savoir. Il avait dit : « I am ready to face machine gun fire before denouncing Eljah Muhammad and the religion of Islam. I am ready to die. » Je n’ai pas été marqué par cette phrase parce que je suis un fanatique religieux, mais parce que je voyais un jeune homme, dans la fleur de l’âge, dire qu’il était prêt à mourir pour ses convictions, pour ce qui était important pour lui. Cette phrase ne m’a jamais quitté.

J’ai rencontré Ali à trois reprises. En janvier 1980, j’étais à Miami avec Vinnie Curto et on l’avait croisé au 5th St. Gym, où il se préparait pour son retour contre Larry Holmes. La fois suivante, c’était en Caroline du Nord en 1989. J’étais à Fayetteville avec la CBC pour faire la description du combat entre James « Bonecrusher » Smith et le Canadien Donovan « Razor » Ruddock.  Ali était l’un des invités pour le gala et l’histoire que je vais raconter est un bel exemple du magnétisme qui le caractérisait. J’oserais même dire – et je sais que c’est flyé de dire ça – mais ceux qui l’ont rencontré pourraient le confirmer : rencontrer Ali, c’était comme être en présence d’un Dieu, d’un Être supérieur.

On est dans cet hôtel en Caroline du Nord, il y a peut-être deux ou trois personnes dans le lobby. La place est vide. Tout d’un coup, Ali entre. C’était comme dans un film : instantanément, des portes ouvrent où on ne savait même pas qu’il y a des portes, le monde sort de partout. En quelques minutes, le lobby est plein à craquer, les gens se faufilent dans la foule juste pour toucher Ali. J’ai eu des frissons cette fois-là. Il y avait quelque chose de plus grand parmi nous, quelque chose dans l’air. C’était gros! Le lendemain, on descend dans la petite cafétéria pour déjeuner et Ali est là, dans un coin, avec sa fille. Je suis avec Doug Saunders et quand je vois ça, je n’hésite pas et je vais prendre possession de la table à côté qui est libre. On prend notre assiette, on va s’asseoir et quand on passe à côté d’Ali, je lui touche les épaules et je lui demande : « How do you feel, champ? ». Il me répond : « I feel with my hands ». Je ne l’ai pas plus dérangé que ça. Avant qu’il parte, je lui ai demandé de signer mon passeport.

Dany Dubé : deux destins, deux champions

Paul KariyaAux Jeux olympiques, j’ai fréquenté des athlètes qui, je le réalise avec le recul, étaient vraiment dans une classe à part. Le premier qui me vient en tête est Paul Kariya, que j’ai dirigé à Lillehammer en 1994. Paul était un gars très fort mentalement. Il n’avait pas de craintes, il était confiant en lui et en ses moyens. Il était toujours le premier sur la glace, très systématique, rigoureux et travaillant. Il ne tournait jamais les coins ronds. Je me souviens de la fameuse fusillade qui avait mené à notre perte en grande finale. Paul s’était fait arrêter par le gardien Tommy Salo sur un tir qu’il aurait probablement réussi 19 fois sur 20. Après la défaite, il avait déclaré qu’il avait joué ce tournoi pour être placé dans une telle situation et que malgré son échec, il demeurait confiant qu’il aurait du succès la prochaine fois. C’est comme ça dans la vie, avait-il philosophé. On devient meilleur avec la somme de nos expériences. Il avait 19 ans à l’époque et ses propos m’avaient marqué. Bien des gens se seraient écroulés  après un moment comme celui-ci, vu partout sur la planète. Mais lui, au contraire, ça l’avait rendu plus fort.

Ironiquement, l’autre joueur qui m’a laissé la plus forte impression, c’est Peter Forsberg, celui qui avait réussi le but vainqueur dans cette même fusillade. Quand on revoit la séquence au ralenti, on remarque que le bâton de Forsberg traîne et touche la rondelle à deux reprises après sa fameuse feinte à une main. Corey Hirsch, notre gardien, a la mitaine sur la glace mais est déjoué par la toute dernière touche de l’habile Suédois. C’est marquant comme séquence. Dans le tournoi, il devait toujours y avoir deux joueurs pour couvrir Forsberg. Si tu avais juste un gars contre lui, c’était certain qu’il gagnait la confrontation. Il était incroyable, surtout sur une patinoire olympique. C’était tellement spécial de le voir jouer.

Norman Flynn : Nathan Morin n’avait peur de personne

J’ai dirigé d’excellents joueurs dans ma carrière de coach. Le premier qui vient en tête est évidemment Martin Brodeur avec le Laser de St-Hyacinthe. Un soir à Hull, il avait reçu 71 lancers dans une victoire de 2-1. Pour moi, c’était là qu’il était passé de « peut-être » à « oui, c’est sûr » en vue d’une carrière dans la Ligue nationale. Juste avec les gardiens que j’ai eus sous mon aile, je pourrais vous parler pendant une semaine : Stéphane Fiset, Félix Potvin, José Théodore, Éric Raymond. Mais l’athlète qui m’a le plus impressionné, vous n’en avez probablement jamais entendu parler. Son nom est Nathan Morin.

À 16 ans, avec les Lynx de Saint-Jean, Nathan Morin n’avait peur de personne. Malgré sa petite stature, il défiait les plus dangereux pugilistes de la Ligue junior majeur du Québec. J’étais obligé de le retenir, et si ceux-ci avaient le malheur d’accepter son invitation, ils découvraient que dans les petits pots se cachait le meilleur onguent. Le petit Morin faisait de la boxe dans la saison morte. J’ai rarement vu un jeune aussi en forme. Il n’avait pas une once de graisse sur le corps. Et quand il jetait les gants, il donnait tout un show. Ça sortait des deux mains, ça n’arrêtait plus. Les gros en avaient peur et les arbitres avaient de la misère à l’arrêter tellement il était fort physiquement. À son âge, j’aurais aimé avoir la moitié du courage qu’il avait.
Nathan ne savait pas juste se battre, il était aussi capable de jouer au hockey. Pour moi c’était une version améliorée d’un Tie Domi. Il venait de la même organisation qu’Ian Laperrière – Montréal-Bourassa – et c’est un joueur qui était fait dans le même moule. La même volonté, la même détermination. Il représentait tout ce qu’un coach pouvait demander. Si ça n’avait pas été des blessures aux deux épaules qui l’ont forcé à se faire opérer, il aurait pu avoir une belle carrière dans le pro.

Olivier Brett : Max Crépeau et la dureté du mental

Maxime Crépeau a toujours été un gars qui m’a beaucoup impressionné par la force de son mental. À 16 ans, tu avais déjà l’impression qu’il en avait 25. Et ça, ça m’a été confirmé le jour où j’ai su qu’il voulait vraiment – alors qu’il n’avait jamais joué une minute pro de sa vie – être le gardien pour le match retour de la finale de la Ligue des champions CONCACAF en 2015. Rappelez-vous qu’en raison d’une suspension à Evan Bush, l’Impact était allé chercher Kristian Nicht pour cette occasion. C’était complètement suicidaire pour un jeune gardien qui n’avait encore jamais mis les gants au niveau professionnel de vouloir le filet pour le match le plus important de l’histoire de son club. Mais pour Max, qui soignait une petite blessure subie durant le camp d’entraînement, il n’y avait pas d’autre option possible. Ce n’est pas comme s’il avait attendu après le match pour clamer timidement qu’il aurait bien voulu jouer. Il voulait désespérément obtenir le vote de confiance de ses entraîneurs, je le sais de source sûre, et ça c’est quelque chose qui m’a toujours marqué. Je n’étais plus son coach à ce moment, mais ça représente exactement ce que j’avais vécu avec lui lors de mon passage à l’Académie.

vComme joueur, quand j’étais en Irlande, j’ai joué avec un gars qui s’appelle Wes Hoolahan. Ça vous dit peut-être quelque chose : il a joué – et a même été capitaine - pour Norwich City en Premier League. Il a aussi joué à l’Euro avec l’équipe nationale d’Irlande. Lui, c’est le gars qui m’a le plus impressionné entre ce que j'ai côtoyé sur le terrain et ce qu’il est devenu. Quand je l’ai connu, dans un programme de développement du club de Shelbourne, il n’avait pas l’air de grand-chose. Un petit gars, il mesurait 5 pieds 6 et ne faisait pas beaucoup de bruit. Il ne détonnait pas, disons. Mais chaque fois qu’on le montait de niveau, il devenait meilleur. Moi, ce que j’avais connu jusque-là, c’était des gars qui étaient les meilleurs dans leur catégorie, mais qui tout d’un coup se fondaient dans la masse. Lui, ça a toujours été le contraire. Plus tu le mettais avec des bons joueurs, plus il ressortait et était important dans un match. Ça a été une grosse leçon pour moi : il y  a des gars comme ça que tu dois tester avec de meilleurs joueurs parce que sinon, tu risques de passer à côté d’une pépite que tu n’aurais jamais vue autrement.

Gaston Therrien : un appel à Vincent

À sa première année à Rimouski, Vincent Lecavalier avait quitté l’équipe pendant quelques jours pour aller participer à une autre compétition. Il avait connu un bon tournoi, mais nous, pendant son absence, on en avait arraché un peu. On était dans les Maritimes, Noël approchait et j’avais appelé Maurice Tanguay, notre propriétaire, pour lui dire que j’avais besoin de Vincent. Maurice me répond de ne pas faire le fou, que Vincent n’a que 16 ans, qu’il est fatigué. Il me dit : « Je peux l’appeler et voir comment il se sent, mais je n’insisterai pas ». Vincent lui a dit sans hésiter d’acheter le billet d’avion, il s’en venait. On a gagné nos deux matchs suivants.

Je pense aussi à Jean-Pierre Dumont, qui m’avait épaté dans les séries à Val-d’Or quand on avait gagné la coupe du Président. Il avait compté 31 buts en 19 matchs. C’était incroyable le leadership qu’il avait démontré avec Roberto Luongo et Steve Bégin. Les quatre gars que je viens de nommer n’ont pas réussi dans la LNH seulement grâce à leur talent, mais par leur leadership et leur attitude professionnelle. Eux, ils étaient là pour jouer.