Kate Whitfield consacre sa vie à lutter contre la discrimination et l’intimidation. Plus précisément, elle désire par le biais de l’organisme FearlesslyGIRL offrir aux jeunes filles les outils pour bâtir leur estime de soi et leur confiance dans un environnement propice à la discussion lors de rencontres avec elles dans les écoles et ailleurs. Depuis quelques années, elle tente de livrer son message également dans le milieu sportif, au tennis.

C’est une mission à laquelle a adhéré l’Américaine Madison Keys, 13e joueuse au monde, en tant qu’ambassadrice. La Canadienne Rebecca Marino s’est également jointe au projet et elle a eu l’opportunité en marge de la Coupe Rogers de parler de son vécu. Il y a cinq ans, elle avait pris sa retraite du tennis en raison d'une dépression qui s'est manifestée notamment à cause des critiques qu'elle recevait via les réseaux sociaux. Le cheminement personnel de Marino et son retour à la compétition chez les professionnelles après une si longue absence a de quoi inspirer.

« Je n’essaie pas de me forcer à être un bon modèle, mais j’essaie de vivre ma vie le plus honnêtement et le plus pleinement possible, a témoigné Marino. Si les gens trouvent dans mon parcours des aspects inspirants pour les aider dans le leur, tant mieux. Je pense que je fais mon travail en essayant d’être ouverte et c’est pourquoi je suis heureuse de participer à ce projet. Je n’essaie pas de forcer les choses, je veux que les filles sentent qu’elles peuvent être elles-mêmes et qu’elles ne sont pas seules. »

Puiser dans des expériences très personnelles et en parler publiquement n’est pas nécessairement facile pour Marino.

« Quand vient le temps de partager mes expériences devant un large groupe ou même avec les médias, c’est parfois complexe d’évaluer à quel point je suis prête à me livrer. Je pense toutefois que c’est vraiment important que les jeunes filles voient les athlètes dans leur vulnérabilité et leur authenticité pour qu’elles réalisent qu’on vit toutes les mêmes choses en grandissant. »

Whitfield, la fondatrice de FearlesslyGIRL, a développé cette idée dès le secondaire et elle n’a jamais cessé de croire qu'elle pouvait faire une différence ainsi. Elle a même écrit un premier livre à ce sujet dès l’âge de 19 ans. Le programme FearlesslyGIRL tel qu’il est aujourd’hui avec ses conférences et ses ateliers s’est concrétisé il y a sept ans. 

Bien qu'elle ait rarement touché à une raquette au cours de sa vie, elle savait que le sport pouvait offrir une énorme tribune pour traiter de détermination et de confiance en soi puisque c’est un milieu compétitif, publiquement et médiatiquement exigeant, où plusieurs filles grandissent sous les projecteurs avec une énorme pression sur les épaules.

« Il y a de mauvais côtés au fait d’être autant exposées, constate Whitfield, qui a aujourd’hui 32 ans. Il y a de la pression, des attentes irréalistes partout où on va. Certaines des filles que je rencontre jouent au tennis et elles ont l’impression qu’elles doivent non simplement bien faire sur le terrain, mais qu’elles doivent aussi avoir une certaine apparence et une certaine allure. La pression est parfois si intense. Leur estime personnelle peut en être affectée quand elles ont l’impression de devoir bien paraître en plus de gagner. C’est pourquoi je pense que le monde du tennis a été si accueillant, parce qu’ils sont conscients de cette réalité. Ils se démènent pour faire voyager FearlesslyGIRL dans divers tournois. Autrement, ça n’aurait pas pu rejoindre autant de filles. »

Pour elle, après que Madison Keys ait aidé à mettre à l’avant-plan cette initiative sur le circuit de la WTA, Rebecca Marino était la candidate idéale pour s’adresser aux jeunes filles.

« Quand Madison devait venir à la Coupe Rogers (elle a déclaré forfait avant le tournoi, NDLR), on a voulu planifier quelque chose. Puis on a entendu parler de la fabuleuse histoire de Rebecca. Le fait qu’on puisse faire ça ici au Canada, là d’où je viens, avec une joueuse canadienne qui est phénoménale et prête à raconter ce qu’elle a traversé, c’est merveilleux. Je sais que les filles ont vraiment connecté avec ça. C’est quelqu’un qu’elles suivent et qu’elles admirent. Rebecca a ouvert la porte à ce qu’elles se sentent à l’aise de parler à leur tour. On ne pouvait trouver meilleure participante. J’ai passé tellement d’années à essayer de développer et de peaufiner ce projet, c’est excitant de s’ouvrir au reste de la planète et de toucher encore plus de filles. »

Whitfield sent vraiment que les discussions qu’elle déclenche un peu partout font une influence positive sur les personnes à qui elles s'adressent. Elle reçoit d’ailleurs constamment des témoignages réconfortants et touchants.

« Ça m’émeut tellement. Même plusieurs années après que je les ai rencontrées, les filles me disent à quel point ça les a touchées. Une fois, une fille m’a écrit deux ans plus tard pour me dire : "Je veux juste te dire, même si tu ne te souviens sûrement pas de moi, je pense presque tous les jours à ton message et à ce que tu m’as appris. Ç’a changé le climat à mon école et ç’a changé la façon dont les filles interagissent ensemble." Je me suis mise à pleurer en lisant ça, c’est si significatif de savoir que deux années plus tard, ça avait toujours un impact dans sa vie. »

« Moi et Rebecca on aurait pu parler pendant des heures [lundi], mais c’est encore plus important que les jeunes filles s’écoutent entre elles, pour comprendre qu’elles vivent les mêmes choses. Oui tu es une athlète, oui tu es une fille, mais tu es avant tout un être humain.

Selon elle, l’intimidation commence encore plus tôt chez les jeunes aujourd’hui. La technologie, comme les cellulaires surtout, contribue au phénomène. Elle doit donc adapter les propos qu'elle tente de transmettre depuis d’années à la réalité actuelle.

« C’est si facile, si rapide, soutient Whitfield. Dans un moment de colère, tu peux réagir instantanément, sans réfléchir. On est connectés à l’internet, mais dans un sens on est déconnectés dans la vie. Que les filles soient plus gentilles entre elles, c’est tellement un message important. »

Elle espère aussi que son message se rende aux oreilles des garçons et des parents qui se sentent parfois impuissants devant les difficultés que peuvent vivre leurs enfants. Plusieurs pères accompagnent d’ailleurs leur(s) fille(s) aux rencontres.

« Parfois, c’est difficile de parler de ses problèmes à un parent, donc on veut donner aux filles certains outils pour leur apprendre à gérer des situations de conflit, à affronter leurs problèmes. On veut leur montrer comment prendre leur place. »

FearlesslyGIRL a récemment tenu une méga assemblée simultanément en personne et en ligne qui a rejoint des dizaines de milliers de filles à travers plusieurs États américains et provinces canadiennes. Mais Whitfield a toujours de plus grandes aspirations. Elle espère évidemment que son initiative prenne encore plus d’ampleur et qui sait, compter sur l'appui et l'implication d’autres joueuses de la WTA. Des filles fortes avec des histoires différentes qui peuvent rassembler les gens selon elle.