Le Mans, le défi ultime du spectateur
En sport automobile, les courses d'endurance représentent le défi ultime pour les pilotes et leurs équipes. Et il n'y pas de course d'endurance plus prestigieuse et mythique que les 24 Heures du Mans.
Depuis des années, je rêvais d'assister à cette course. C'est en 2023, alors que l'épreuve célébrait ses 100 ans, que j'ai réalisé ce rêve.
Même si tout s'est bien passé et que l'expérience a été à la hauteur de mes attentes, j'ai réalisé que c'est aussi le défi ultime pour le spectateur, si passionné et motivé soit-il. Je vous raconte mon expérience avec ses hauts... et aussi ses quelques bas.
Samedi 10 juin, 11 h
On y est, c'est le Jour-J. Mes choses sont prêtes, mon sac à dos ferme à peine. Il annonce de la pluie, mais aussi du soleil le lendemain. C'est donc un heureux mélange dans mon sac, où se côtoient manteau imperméable, coton ouaté, crème solaire, pantalon de pluie, lunettes de soleil, canettes de Red Bull, croissants, pains au chocolat (on les appelait comme ça à la boulangerie du coin, loin de moi l'idée de lancer un débat), recharge de batterie pour mon téléphone, programme officiel et guide des inscrits, sans oublier ma caméra numérique dans un sac en bandoulière.
Tout ça pour dire que c'est beaucoup de choses à trainer dans un Tramway qui déborde déjà, 5 heures avant le départ de la course.
Samedi, 12 h 08
J'arrive au Circuit des 24 Heures. Je savais très bien qu'il y aurait beaucoup de monde, l'organisation ayant déjà annoncé que le record d'assistance serait battu en 2023. Sauf que j'en prends pleinement conscience à mon arrivée. Quatre heures avant la course, les files d'attente pour prendre une bouchée sont déjà interminables.
Il faudra être patient !
Samedi, 15 h 50
« Pilotes, démarrez vos moteurs », nous dit nul autre que LeBron James, qui a la tâche de donner le départ. C'est aussi le passage des avions de la Patrouille de France. Un moment que je trouve toujours spectaculaire à la télévision et que j'attendais avec impatience.
Avec le toit au-dessus de ma tribune, je n'aperçois aucun avion. Et avec les bruits des moteurs qui démarrent, je ne les entends pas non plus.
Bref, ça frappe pas mal plus l'imaginaire à la télévision.
Samedi, 16 h
Sur le coup des 16 h presque tapant, le départ des 24 Heures du Mans est donné.
Samedi, 16 h 01
Jack Aitken frappe le mur après une minute et 20 secondes, ruinant les espoirs de la Cadillac no 311. Ouais, Le Mans, c'est parfois beaucoup de travail pour bien peu…
Samedi, 19 h
Vers 19 heures, une averse s'abat sur certaines portions du circuit. Au loin, je vois la pluie tomber sur le virage « Porsche », mais devant la ligne des puits, nous sommes au secs. Les sorties de pistes sont nombreuses.
Les voitures de sécurité (il y en a trois) sont de retour sur le circuit. La procédure est interminable, mais elle a aussi du bon. Je peux prendre une heure pour aller me chercher un souper sans trop manquer d'action.
Samedi, 21 h 30
Le hasard faisant souvent bien les choses, des amis d'un collègue sont également présents à la course. On essaie de se retrouver parmi les 325 000 personnes au circuit, alors qu'on ne s'est jamais vu auparavant et avec un réseau internet qui semble lui aussi surpris de voir autant de monde. Après plusieurs échanges de textes, on finit par se trouver!
Samedi, 22 h 57
Après une heure et demie ensemble, mes nouveaux amis prennent la direction de leur Airbnb pour prendre du repos. Sage, mais de mon côté, je veux passer au travers la nuit. Sous une averse soudaine, mais brève, je regarde la fin du spectacle de Mika.
En fait, je tourne sur place comme une toupie, entre un regard sur la scène devant moi et l'écran géant qui diffuse la course derrière moi… C'est aussi un des défis du Mans.
Pour profiter de tout ce que l'événement a à offrir, il faut accepter de rater de bonnes portions de la course. La nuit est tombée et avec la pluie, les conditions sont horribles pour les pilotes.
Le Mans
Dimanche, 1 h 30
Je vous disais qu'une course de 24 heures, c'est des hauts et des bas même pour les spectateurs. C'est à 1 h 30 que je vis mon point le plus bas.
Mon plan, c'était de prendre un bus pour m'amener au virage d'Arnage, reconnu pour être un point de vue spectaculaire la nuit.
Sauf que c'est la cohue dans les navettes alors que beaucoup de monde tente toujours de quitter le circuit pour passer la nuit. À la fin, j'abandonne l'idée de la navette. Prises dans le trafic, elles n'avancent pas et sont pleines à rebord.
Je retourne à mon siège en tribune, et je ressens soudainement un grand coup de fatigue. L'adrénaline de la soirée descend, mais surtout, pour la première fois, je réalise que le plan de match que je m'étais établi n'allait pas être respecté. Non seulement je n'irai pas à Arnage comme j'avais prévu, mais je viens de perdre une heure à marcher pour rien afin d'attraper un bus que je ne prendrai jamais.
Je suis un peu démoralisé et l'idée même de retourner à mon Airbnb prendre un peu de sommeil me traverse l'esprit…
Dimanche, 2 h 30
Une heure, une pinte de bière et une coupe de M&M aux peanuts plus tard, c'est souvent tout ce qu'il me faut pour retrouver ma bonne humeur. À nouveau motivé, je décide de retourner voir si c'est toujours la folie aux navettes.
Le MansDimanche, 3 h 05
C'est vraiment incroyable de voir tous ces gens qui attendent toujours afin de prendre les navettes, même à 3 h 05 du matin. J'abandonne cette idée, pour de bon cette fois. Sauf que je m'étais fait à l'idée, donc le moral n'est pas affecté.
Plutôt que d'aller à Arnage, je décide que je passerai le reste de la nuit au Terte Rouge, un virage plus près de moi et accessible à pied.
Dimanche, 3 h 20
J'arrive au virage du Terte Rouge vers 3 heures 20… je suis bien satisfait de ma décision. Il y règne une drôle d'ambiance, surtout dans le cadre d'un événement sportif aussi important.
Le calme est impressionnant. Beaucoup de personnes dorment tout simplement sur le gazon, aux abords du circuit. D'autres discutent entre eux, un peu comme on se confie avec un ami devant un feu de camp. Quelques-uns prennent des photos avec des objectifs de caméra qui ont probablement coûté plus cher que mon voyage de 2 semaines.
Et finalement, certains se moquent de leur camarade qui s'est endormi en premier en lui plaçant une bouteille sur la tête.
Ils se trouvent bien drôle… et moi aussi, pour tout vous dire.
Dimanche, 4 h 20
Dans tout ce calme… les voitures qui passent devant nous continuent de se disputer la course automobile la plus importante au monde (Oui, c'est une opinion, mais c'est mon texte, alors je décide).
Après avoir admiré les voitures dans l'obscurité, je décide de faire un power nap moi aussi. Couché simplement sur le gazon avec mon sac à dos comme oreiller, je ne crois pas avoir dormi, mais j'ai fermé les yeux pendant une trentaine de minutes, me laissant bercer par les bruits des moteurs qui continuent de rugir quelques mètres devant moi.
Dimanche, 6 h
D'un noir d'encre auparavant, le ciel commence par prendre une teinture bleue, puis grise.
La matinée est nuageuse. Soudainement, un gars passe à côté de moi avec un drapeau du Québec sur le dos. Je jase une quinzaine de minutes avec ce couple de Montréal. Ils me soulignent que ça fait du bien de pouvoir parler en Québécois! Étrangement, je ressens le même sentiment.
Il y a quelque chose de libérateur de pouvoir dire que la course est bonne en est* après une nuit blanche!
Dimanche, 9 h 58
Je me doutais très bien que le matin serait la période la plus difficile de la course. La fatigue est bien présente, et la course se termine seulement à 16 heures… on est encore loin de la fin!
De retour à mon siège en tribune depuis déjà une bonne heure, je peine à rester éveillé. Je cogne des clous à un rythme qui rendrait jaloux n'importe quel travailleur de la construction.
Surtout, j'ai l'impression que le bruit des voitures est deux fois plus fort que la veille. Chaque passage de la Nascar, qui me faisait sourire bêtement la veille, me fait maintenant grincer des dents.
À 9 heures 58, Jason, l'ami de mon collègue, me texte : « On est de retour au circuit jusqu'à 14 heures environ ».
Je vais être honnête, c'est une bénédiction. Exactement ce que j'avais besoin pour me donner un deuxième souffle. Je retrouve donc ce groupe de cinq gars qui m'accompagnera pour le reste de la matinée.
Le Mans
Dimanche, 14 h
Je vais rester avec ces derniers jusqu'à 13 heures 30, puisqu'ils doivent partir pour retourner à Paris. On partage bières et M&M aux peanuts (j'en avais pour une armée), teste nos talents de pilotage dans les simulateurs, et surtout, on jase de nos voyages respectifs.
Je prends ensuite une demi-heure pour me prendre un diner (un burger, c'est la seule chose encore disponible sur le menu), avant de retourner à mon siège, cette fois, pour de bon. Il reste deux heures à la course. Pas question de cogner des clous !
Dimanche, 15 h 36
La Ferrari no 51 mène la course et effectue son dernier arrêt aux puits… sauf que la voiture ne redémarre pas! Je ne me souviens pas d'avoir déjà ressenti un tel niveau de stress dans la foule lors d'un événement sportif.
C'est le silence chez les spectateurs, alors que l'annonceur maison crie plus fort que jamais. Est-ce que Ferrari, qui n'a pas gagné au Mans depuis 1965, va laisser filer la victoire dans la dernière demi-heure en raison d'un problème dans les puits?
Finalement, après de longues minutes, la voiture repart et Ferrari conserve la tête. Le soulagement au sein de la foule, qui compte plusieurs partisans du Cheval cabré, est palpable.
Dimanche, 16 h
Ferrari va tenir bon et remporte la course, une première en 58 ans. Les partisans prennent d'assaut la piste afin de s'approcher du podium. La cérémonie des vainqueurs au Mans est sans pareille.
On joue l'hymne national italien… que l'annonceur maison interrompt avant la fin. Clairement, tout le monde est excité d'avoir assisté à une page d'histoire.
Le Mans
Dimanche, 17 h 45
Entassé dans le tramway sur le chemin du retour, j'aimerais vous dire que je pense à la chance que j'ai eu de réaliser un de mes plus grands rêves en assistant aux 24 Heures du Mans. Mais ce serait vous mentir.
Une seule chose occupe mon esprit : prendre une douche.
Je n'ai jamais autant voulu prendre une douche depuis… depuis que mon chat avait uriné dans ma poche de hockey sans que je m'en rende compte avant un de mes matchs Pee-Wee (ceci est une histoire vraie).
Dimanche, 22 h
C'est plutôt à ce moment que la nostalgie commence déjà à m'envahir. Je suis debout depuis 36 heures environ. Mon corps est épuisé, mais je peine à m'endormir. Les images des dernières journées tournent en boucle dans ma tête et je préfère penser à tout ce que je viens de vivre plutôt que de remplir mon backpack qui déborde de souvenirs achetés à la boutique.
Allez, pas le choix. Dans 24 heures, je serai à Montréal.
Comme quoi il peut s'en passer des choses en 24 heures…