MONTRÉAL - Avec son fort accent du sud et sa voix nasillarde, il nous donne l’impression de parler à un personnage de la série Shérif, fais-moi peur. Mais ce n’est pas ce qui frappe le plus lorsqu’Andy Foster répond à notre appel.

À l’autre bout du fil, le directeur de la Commission athlétique de la Californie (CSAC) crie. Et il criera pendant les vingt-cinq minutes que durera l’entrevue.

Clairement, le sujet de la discussion touche une corde sensible. La veille, l’organisme dont il est à la tête a approuvé un plan d’action visant à éradiquer le problème des coupes de poids extrêmes en arts martiaux mixtes. Et Foster ne compte pas les décibels afin de s’assurer qu’on saisisse bien l’importance du moment.

« C’est assurément la plus importante initiative jamais mise de l’avant dans la réglementation des arts martiaux mixtes, tonne-t-il. Je baigne dans ce milieu depuis très longtemps et je n’ai jamais rien vu de tel. C’est une approche agressive et si ça ne fonctionne pas, la prochaine le sera encore plus. C’est gros, mais c’est nécessaire. » 

Andy Foster a porté à peu près tous les chapeaux dans le monde des sports de combat. Comme athlète, il a participé à des compétitions de boxe, de kickboxing et d’arts martiaux mixtes professionnels. Il a ensuite été entraîneur, promoteur, arbitre et juge avant d’accéder au titre de directeur de la Commission athlétique de la Georgie.

L’homme de 38 ans a fait des petits miracles dans son État natal. Selon les données publiées par le site mixedmartialarts.com, les revenus de l’organisme ont augmenté de 70 % et le nombre d’événements sanctionnés a connu une hausse de 40 % sous sa gouverne. C’est avec des attentes similaires que la CSAC est venue le chercher en 2012.

À Sacramento, à l’été 2014, l’UFC 177 a dû être amputé de deux combats majeurs quand Henry Cejudo et Renan Barao, deux des têtes d’affiche de l’événement, ont déclaré forfait en raison de problèmes de santé liés à une coupe de poids qui avait mal tourné. Au lendemain de ce fiasco, Andy Foster a revu ses priorités.

« J’avais déjà vu et entendu des histoires comme celle-là, mais jamais je n’avais été personnellement impliqué dans un incident de la sorte où un combat principal de l’UFC risquait de devoir être annulé. Et je ne veux pas dire que ça aurait été moins grave si c’était arrivé à des athlètes moins talentueux, pas du tout! Je dis simplement que c’est ce moment qui m’a fait réaliser qu’il y avait un problème pour lequel on devait trouver des solutions. »

En décembre 2015, la Californie a été l’hôtesse du premier Weight Cutting Summit, un rassemblement auquel Foster avait convié les membres de l’Association of Boxing Commissions (ABC), de l’Association of Ringside Physicians (ARP) et des représentants des principales promotions d’arts martiaux mixtes. Principal point à l’ordre du jour : brasser des idées qui permettraient d’améliorer la sécurité des athlètes en enrayant le fléau des coupes de poids extrêmes.

Il aura fallu attendre un an et demi - et une autre tragédie évitée de justesse - pour qu’une avancée concrète découle de cette rencontre au sommet. Quand le poids léger Khabib Nurmagomedov a dû visiter l'hôpital à la veille de son combat prévu contre Tony Fergusson, Andy Foster a rassemblé ses notes et a griffonné un plan qu’il a soumis à l’approbation de ses membres à l’assemblée subséquente de la CSAC.

Le 16 mai dernier, il est finalement devenu possible de mettre un nom sur les efforts mis de l’avant par l’État de la Californie : le « 10-point plan » d’Andy Foster était né.

« Je cherchais un nom qui allait frapper l’imaginaire, dont les gens allaient se rappeler facilement. La liste avait dix points, je me suis dit que c’était simple et facile à retenir », dit-il.

« Il fallait bien commencer quelque part »

Foster croit que le premier point de sa nouvelle réglementation est le plus important de tous, celui autour duquel les neuf autres gravitent. Il stipule qu'un athlète désirant combattre en Californie ne recevra son permis qu'après avoir été associé à une catégorie de poids précise qui lui aura été assignée après l’étude de son cas par un médecin.

« Dans l’ancienne façon de faire, un athlète se voyait attribuer le droit de combattre, point final, explique Foster. Un permis n’était accompagné d’aucune restriction et permettait à son détenteur de se promener comme bon lui semblait d’une division à une autre. Des professionnels de la santé auront maintenant leur mot à dire là-dessus. On ne recommande pas qu’un athlète combatte à un poids inférieur à "10 % + 1 livre" de son poids normal. »

Selon l’avis de deux médecins québécois interrogés, cette mesure est insuffisante. « Règle générale, on recommande à un athlète de ne pas couper plus de 5 % de son poids. Personnellement, c’est le maximum où je leur conseille d’aller », nous disait le Dr Francis Fontaine dans la première partie de notre dossier.

« Il faut bien commencer quelque part, se défend Andy Foster. Le plan de départ était de fixer cette limite à 8 %, mais on nous a fait comprendre que ce n’était pas réaliste. Nos études nous disent que 35 % des athlètes coupent plus de 10 % de leur poids en vue d’un combat. Certains coupent jusqu’à 16 %. C’est énorme. Il faut commencer quelque part. »

Chaque combattant sera examiné le jour d’un gala, soit le lendemain de la pesée officielle, pour s’assurer que la règle du « 10 % + 1 » ait été respectée lors de la réhydratation. En cas d’échec, le contrevenant se verra suggérer un déménagement dans une division supérieure à son prochain combat.

Des pesées additionnelles tenues 30 et 10 jours avant un événement, un peu comme le veut la norme pour les galas de boxe sanctionnés par le World Boxing Council (WBC), pourraient être ajoutées. « Ça, ça nous aide beaucoup, convient le Dr Francis Fontaine. Quand un boxeur a de la misère à faire le poids à 30 jours de son combat, ça nous aide à lui faire comprendre que ça ne va pas bien et il est plus réceptif par la suite quand vient le temps de le sensibiliser. »

Quatre nouvelles divisions de poids seront ajoutées. Ainsi, les compagnies qui organiseront des événements en Californie pourront, si elles le désirent, tenir des combats à 165, 175, 195 et 225 livres.

La CSAC visera aussi le portefeuille des athlètes. Déjà obligés de renoncer à 20 % de leur bourse s’ils ne peuvent respecter la limite de poids, les combattants trop lourds devront en plus céder 20 % d’un éventuel bonus de victoire à leur adversaire. Ainsi, un combattant censé toucher une rémunération de base de 10 000 $ assorti d’un bonus de 10 000 $ en cas de victoire pourrait être soulagé de 4000 $ avant son retour à la maison.

Andy Foster est convaincu qu’il pourra appliquer ces nouvelles mesures lorsque l’UFC débarquera à Anaheim le 29 juillet. « Ça fait des années qu’on se prépare pour ce moment. Il n’y a plus de raisons d’attendre. » 

Des obstacles et des doutes

L’UFC et quelques-uns de ses concurrents de moindre envergure, comme Bellator et Invicta FC, ont déjà fait parvenir à Andy Foster des lettres d’appui à son projet. L’ABC, qui chapeaute l’application des règles unifiées utilisées en arts martiaux mixtes, aurait l’intention de le recommander à ses membres lors de son prochain congrès en juillet.

Foster sent donc une sincère volonté de changement tous azimuts, mais tous ne sont pas si optimistes. L’arbitre québécois Yves Lavigne se souvient par exemple que l’ajout de nouvelles divisions avait déjà été entériné par l’ABC lors d’une rencontre qui avait eu lieu à Montréal en 2008.

« Tout le monde avait voté en faveur. Mais quand ça revient à la maison et que tu dois faire approuver ça par ta législation, c’est là que ça frappe un mur, prévient-il. Il n’y a plus rien qui tient. C’est comme les limites de vitesse : l’État de New York a décidé que c’était 65 sur l’autoroute alors que le New Jersey, juste à côté, accepte que ça soit 70. Pourquoi? Pourtant c’est la même voiture qui roule sur les quatre mêmes roues. »

Foster s’attend à ce que les gros joueurs, comme le Nevada et New York, suivent le pas. Mais selon Lavigne, il y aura toujours des récalcitrants, des moutons noirs.

« Un État peut adopter les règlements qu’il veut, les autres prennent tous leurs propres décisions. Et pendant que la Californie pousse fort, je crains qu’on soit en train de se tirer dans le pied et que tous les autres finissent par y aller avec ce qu’ils veulent faire. »

« Ces changements sont nécessaires et même si quelques États ne veulent pas suivre la parade, je crois qu’ils n’auront pas le choix de le faire. L’industrie au grand complet n’aura pas le choix d’embarquer », réplique de son côté Foster.

Ce manque de solidarité, s’il s’avère, pourrait ultimement coûter cher aux commissions athlétiques bien intentionnées, imagine Lavigne. Si un voyage d’affaires en Californie est accompagné de trop de restrictions, pourquoi ne pas simplement aller chez un voisin plus permissif? « Quelqu’un empêchera-t-il vraiment Connor McGregor de faire des millions de dollars? Tout le monde est pour la vertu, mais... »

Lavigne admet qu’un engagement sérieux de l’UFC et des autres promoteurs majeurs faciliterait la mise en application universelle des résolutions californienne, mais il soulève des questions quant aux limites possibles de cette volonté. 

« La question suivante, c’est "qui paie?", raisonne l’officiel d’expérience. Les commissions athlétiques n’ont pas d’argent. En partant de cette réalité, qui va payer pour les tests? Qui va faire la supervision? C’est toujours une question d’argent. L’UFC a déjà accepté la responsabilité de payer pour les tests antidopage, mais rien ne garantit que ses nouveaux propriétaires vont continuer encore bien longtemps comme ça. Parce que ce n’est pas à eux de faire ça, c’est aux commissions athlétiques. »

Andy Foster peut donc crier tant qu’il le voudra, il en restera toujours pour tenter de le faire taire, aussi nobles soient ses intentions.

« Parfois, on croit prendre les bonnes décisions pour améliorer la sécurité des athlètes, mais ce faisant on obtient des conséquences auxquelles on n’aurait jamais pensé et qui finissent par empirer la situation », philosophe, sans même avoir eu vent des ambitions de l’homme d’affaires californien, le médecin montréalais Scott Delaney.

Leur corps leur envoie de virulents signaux d’alarme. Des spécialistes réputés mondialement les mettent sans cesse en garde contre les dangers auxquels ils s’exposent. Des restrictions de plus en plus sévères sont mises en place pour décourager les excès et les ramener à la raison. Alors pourquoi, en 2017, est-il si difficile de conscientiser les athlètes aux périls des coupes de poids extrêmes?

 « Si vous vous attardez à l’implantation de différentes mesures de sécurité dans l’histoire du sport, vous découvrirez qu’elles surviennent souvent après un décès, affirme Scott Delaney. Malheureusement, des pierres aux reins, ça n’effraie pas suffisamment les gens. Mourir? Ça, ça fait peur. »