OTTAWA – Donald Cerrone sait ce qu’on raconte à son sujet. Qu’il a la fâcheuse habitude de débuter ses combats en retard et qu’il a tendance à s’effondrer quand la pression est trop forte.

Il voit aussi que le mot s’est passé dans la confrérie. Rafael Dos Anjos l’a démonté en 66 pénibles secondes l’année dernière alors que les deux s’affrontaient pour le titre de la division des poids légers. Son plus récent adversaire, Alex Oliveira, a tenté de le déstabiliser en se lançant sur lui peu après le son de la première cloche. Patrick Côté, qu’il affrontera samedi soir à Ottawa, répète ouvertement depuis des mois qu’il s’agit de la base de sa stratégie pour le désarçonner.

C’est une réputation qui le suit et avec laquelle, à défaut de pouvoir s’en débarrasser, il a appris à vivre.

L'animosité s'installe entre Côté et Cerrone

« J’ai deux défauts qui me suivent comme la peste : je ne bouge pas ma tête et je commence mes combats lentement. J’aimerais avoir des réponses, mais on ne peut pas apprendre des nouveaux trucs à un vieux chien, j’imagine... », a-t-il lucidement approuvé, jeudi, après un entraînement public organisé dans la capitale canadienne.

Cerrone semble avoir besoin du combat comme un myope a besoin de ses lunettes. Depuis 2013, il soutient un rythme – inégalé parmi ses pairs – de quatre combats par année. L’année dernière, il est entré deux fois dans l’octogone en l’espace de 15 jours et en est ressorti chaque fois avec la victoire.

Et sa témérité ne se limite pas à l’enceinte grillagée qui constitue son environnement de travail. Junkie d’adrénaline, le Cowboy est aussi reconnu pour avoir monté un taureau, accidenté sa moto et entretenir une passion pour le wakeboard. Après avoir signé des autographes et souri pour la caméra de ses nombreux partisans, jeudi, il s’en allait sauter en bungee non loin d’Ottawa.

« Je dois me réchauffer juste pour me réveiller », blague l’hyperactif de 33 ans pour verbaliser les effets de son mode de vie sur sa carcasse meurtrie.

Il y a donc de quoi sursauter quand il ose avancer une hypothèse pour expliquer ses réveils tardifs dans l’octogone.

« Il n’y a probablement personne de plus paralysé par la peur que moi avant de monter dans la cage. C’est la chose la plus effrayante au monde! Je sais que je donne l’impression d’être un dur que rien ne dérange, mais en réalité je tremble comme une feuille en coulisses avant un combat, c’est laid. Habituellement, c’est quand je reçois une première combinaison en pleine gueule que je me dis : "Merde, j’ai intérêt à me secouer!" »

À entendre Cerrone reconnaître aussi ouvertement sa vulnérabilité, on jurerait avoir affaire à un combattant de milieu de peloton, un pauvre cogneur embourbé dans une interminable léthargie. On oublie presque que ce spectaculaire casse-cou n’est pas seulement actif depuis trois ans. Il est aussi presque imbattable.

En effet, Cerrone montre une fiche de 10-3 depuis 2013. Deux de ces défaites lui ont été infligées par Dos Anjos, l’actuel champion des 155 livres.

« Si Patrick a fait un camp d’entraînement intelligent, c’est sûr qu’il s’est dit : "Eh, Cowboy démarre tout le temps en chaton, je vais lui sauter dessus en partant", a deviné avec justesse l’Américain. C’est normal, chaque fois que je me suis fait battre, c’est parce que je me suis battu comme un putain de perdant qui est incapable de se sortir de sa torpeur. Mais une fois que la locomotive est en marche, par contre, vous êtes dans le trouble. »

Cerrone a piqué l’orgueil de Côté cette semaine en affirmant que le Québécois était un athlète « unidimensionnel et ennuyeux ».

« Sa boxe est rudimentaire, a-t-il développé jeudi. Son jeu au sol est bon. Je pense qu’il va tenter de lutter, m’amener au sol et prendre le contrôle à partir de là. Mais je crois que je suis plus rapide que lui et que si je surveille sa grosse main droite, je devrais être correct. [...] Je ne dis pas ça pour le mettre en colère, mais j’espère avoir mis le feu aux poudres et qu’il me donnera un bon combat samedi. »

Objectif : 50 combats

Cerrone est reconnu comme l’un des combattants les plus spectaculaires de sa génération. Depuis ses débuts dans la défunte World Extreme Cagefighting (WEC), une organisation qui a été rachetée par Zuffa, la compagnie mère de l’UFC, et dissoute quatre ans plus tard, il a empoché quinze bonis de performance à la suite de ses combats.

Mais jamais il n’a été capable de monter sur la plus haute marche. Sa plus récente défaite contre Dos Anjos marquait son quatrième échec en autant d’opportunités en combats de championnat.

« Les gens me demandent souvent si je vise une autre chance au titre et je leur réponds que je veux maintenant laisser une autre sorte d’héritage. Quand je me bats, je veux que les gens mettent tout ce qu’ils étaient en train de faire de côté pour me regarder. »

Et Cerrone est prêt à planter ses feux d’artifice dans n’importe quel carré de sable. Un vétéran de longue date chez les légers, son combat contre Côté sera son deuxième consécutif dans la catégorie des mi-moyens, où il a l’intention d’affronter quiconque se portera volontaire.

« Oliveira était lui aussi un poids léger naturel, par contre, alors ça ne comptait pas vraiment. Je suis d’avis que Patrick sera mon premier vrai test à 170. Il s’est déjà battu à 205 livres et aussi à 185, c’est un vrai gros bonhomme. Je l’ai vu en coulisses et il a un bon avantage sur moi. »

« Mais [les deux catégories], ça double les occasions de me battre et je vise le plateau des 50 combats à l’UFC. Il m’en reste 20 à faire et je n’ai pas de temps à perdre », calcule celui qui a remporté 16 de ses 29 victoires par soumission.

Cerrone affirme qu’il tentera d’en finir rapidement avec Côté, qui n’a pas été battu avant la limite depuis 2010. Et ensuite? Il acceptera le prochain défi qu’on lui lancera, peu importe d’où il proviendra.

« "Wonderboy" est tout un combattant, Rory aussi », réfléchit le Cowboy quand on lui demande de prédire l’issue du combat principal du gala d’Ottawa. « Merde, ça me ferait plaisir de me battre contre le gagnant de ce petit fiasco! »

« Pourquoi pas? »