Favoriser le rêve américain
Quand Liberty Media a acheté les droits de la Formule 1 à Bernie Ecclestone, on savait qu'un rapprochement avec les États-Unis était inévitable.
Un peu partout, la Formule 1 s'est américanisée. Il y aura trois Grands Prix au pays de l'Oncle Sam l'an prochain. Avec Haas, on a eu droit au retour d'une écurie américaine. Williams a été acheté par Dorilton Capital, un fonds d'investissement américain. C'est maintenant un Américain, Zak Brown, qui est à la tête de McLaren, orchestrant notamment le retour de l'écurie en Indycar.
C'est sans parler aussi de l'arrivée de Netflix, qui permet à la Formule 1 de conquérir un tout nouveau public, particulièrement au sud de la frontière.
Par contre, il y a un aspect de la Formule 1 qui n'a pas encore été touché par cette vague américaine, celui du manque de pilotes américains.
Et il faut que ça change. Les dernières semaines l'ont prouvé.
Le dossier Colton Herta
Le débat a été relancé au cours des dernières semaines en raison de l'intérêt de Red Bull envers Colton Herta, un jeune Américain de 22 ans.
Un peu de contexte tout d'abord. Avec le départ surprise d'Oscar Piastri vers McLaren, on sait qu'Alpine est à la recherche d'un pilote pour épauler Esteban Ocon l'an prochain. Un des favoris pour le poste serait Pierre Gasly, mais le pilote français est toujours sous contrat avec Red Bull (AlphaTauri) l'an prochain.
Toutefois, il semble que Red Bull soit ouvert à l'idée de laisser Gasly partir à condition que l'écurie parvienne à lui trouver un remplaçant adéquat.
Le choix de Red Bull : Colton Herta
Herta a tout pour intéresser une écurie de Formule 1. Jeune, talentueux, le fils de Bryan Herta a disputé quatre saisons en Indycar, amassant sept victoires. Il a notamment remporté sa troisième course dans la série à Austin en 2019, devenant le plus jeune vainqueur de l'histoire de l'Indycar.
Le problème, c'est que malgré un CV loin d'être gênant, Herta n'a pas récolté assez de points pour acquérir la Super License de la Fédération internationale de l'Automobile (FIA). Il ne peut donc pas piloter en Formule 1.
Red Bull a fait une demande pour analyser le dossier et obtenir une exemption. Le résultat de cette demande a été dévoilé vendredi dernier. Herta n'obtiendra pas de Super License.
On se doutait bien de cette conclusion, puisque quelques jours auparavant, on apprenait que Red Bull avait abandonné la piste Herta. Et cette nouvelle avait soulevé l'ire des pilotes américains sur les réseaux sociaux, particulièrement dans le cas de Graham Rahal.
Rahal a notamment affirmé que la Formule 1 est un sport élitiste qui veut l'argent des compagnies et des riches américains, mais qui ne se souciait pas du reste.
Alexander Rossi s'est également exprimé sur Twitter. Le dernier Américain à avoir conduit en Formule 1 a d'abord souligné que Colton Herta mérite une place en Formule 1. Il a ensuite expliqué que le côté financier a trop souvent eu le dessus sur le talent en F1, et c'est pour cette raison qu'on a dû se doter d'une méthode comme la Super License. Herta paie aujourd'hui le prix de ces décisions.
On le voit bien, cette décision passe mal au sein des pilotes américains. Le vrai enjeu réside dans le nombre de points que la FIA accorde à ceux qui choisissent de faire de l'Indycar. La série est sous-évaluée dans le système de points, ou du moins, la distribution de ceux-ci n'est pas équilibrée.
Par exemple, si vous remportez le championnat d'Indycar, vous obtenez 40 points. C'est le plus grand nombre de points qu'on peut recevoir d'un coup, à égalité avec le championnat de Formule 2, qui accorde 40 points aux trois premiers pilotes au classement.
Le problème, c'est que le nombre de points chute rapidement par la suite, beaucoup plus rapidement que d'autres séries. Par exemple, si vous terminez quatrième en Indycar, vous recevez 10 points. C'est trois fois moins que le quatrième en Formule 2, et c'est autant qu'une quatrième position... dans un championnat régional (même pas le championnat principal) de Formule 3.
De plus, l'Indycar n'est pas un championnat de développement comme la Formule 3 et la Formule 2. Il n'y a pas autant de roulement chez les pilotes et il y a plusieurs vétérans qui ont beaucoup d'années d'expérience. Vous y retrouvez les Scott Dixon, Will Power et Josef Newgarden. Les anciens pilotes de Formule 1 Romain Grosjean, Marcus Ericsson, Alexander Rossi et Takuma Sato. On ne fera pas la liste de tous les excellents pilotes en Indycar, mais il y en a plusieurs.
Ainsi, demander à un jeune pilote de dominer dans un championnat aussi relevé est tout un défi. Une cinquième place au classement, par exemple, est un excellent résultat... mais les points accordés sur la Super License ne le reflètent pas. En Indycar, terminer cinquième au classement vous rapporte huit points. Terminer cinquième en Formule 2, un championnat où le champion ne peut revenir l'année suivante, vaut plus du double, soit 20. Ce n'est pas logique.
Pour obtenir la licence, un pilote doit amasser 40 points sur une période de trois ans. Malgré ses troisième, cinquième et dixième positions en Indycar, Herta en compte 32.
Le chemin de Logan Sargeant
Un autre Américain cogne aux portes de la Formule 1, mais dans son cas, il a choisi un chemin différent de celui de Herta.
Né en Floride, Logan Sargeant fait partie de la filière de Williams et il est un des candidats potentiels pour remplacer Nicholas Latifi, qui ne sera pas de retour avec l'écurie britannique en 2023.
Âgé de 21 ans, il a choisi de déménager à un jeune âge en Europe pour monter les échelons « traditionnels » de la FIA : Formule 4, Formule Renault, Formule 3, et maintenant Formule 2. Lui aussi a besoin d'encore quelques points pour obtenir sa Super License. Il devra terminer la saison dans le top-5 en Formule 2. Il est présentement troisième au classement.
Le parcours de Sargeant démontre bien qu'il est possible pour un Américain d'obtenir une place en Formule 1... en autant de suivre la méthode européenne.
Par contre, pour une discipline qui cherche constamment à percer le marché américain, veut-on vraiment continuer de lancer ce message? Que pour atteindre la Formule 1, il faut traverser l'Atlantique, quitter ses parents, sa famille et ses amis alors qu'on a 12 ou 14 ans? Je veux bien que la FIA cherche à promouvoir ses propres séries de développement, mais il y certainement une contradiction dans le message que cela envoie aux Américains.
Les États-Unis ont toutes les installations et les structures nécessaires pour développer d'excellents pilotes chez eux. Des pilotes qui rêvent de plus en plus à la Formule 1. Pourquoi ne pas les laisser en profiter? En plus, ça pourrait très bien bénéficier aussi à des pilotes de chez nous, au Canada, ou même au Mexique, qui eux aussi pourront rester de ce côté de l'océan.
Espérons que la saga « Colton Herta » amènera la FIA à revoir ses méthodes. C'est probablement le chainon manquant pour la grande conquête des États-Unis de la Formule 1.