Avant le congédiement de Tom Higgins et les mouvements de personnel qui ont suivi, les Alouettes ont signé une victoire qui fait du bien au moral. Ils avaient drôlement besoin d’une victoire. Malgré tout ce qu’on savait de leur historique au BC Place depuis 15 ans, le but premier n’était pas de gagner là-bas, c’était surtout de gagner un match de football, point, et ils ont réussi. Tant mieux si on a fait deux pierres d’un coup en brisant cette mauvaise séquence. Ça va donner un peu de confiance à l’équipe, d’autant plus que c’est tout un adversaire qui l’attend bientôt : les Tiger-Cats de Hamilton.

L’occasion n’avait jamais été aussi belle de gagner malgré la série d'échecs survenue dans le passé. Les Lions étaient vulnérables. Ils avaient perdu trois de leurs quatre derniers matchs et profitaient d’une courte semaine de préparation et de récupération après s’être fait lessiver par les Ticats. En plus, leur défense est plutôt mauvaise et leur leader défensif, le secondeur intérieur Solomon Elimimian, était absent. Cette position est importante pour arrêter le jeu au sol, qui a été un facteur clé dans la victoire des Moineaux. Tous les éléments étaient donc en place pour connaître enfin du succès. C’est un match que les Alouettes ne pouvaient échapper et ils ont profité de leurs chances.

Comme mon collègue Bruno Heppell l’a expliqué dans sa chronique, le jeu au sol a fait la différence. Ce que les Alouettes ne faisaient pas dans les matchs précédents, c’est qu’ils ne couraient pas et ne finissaient pas en force. Cette fois on l’a fait. On a protégé la victoire et ça fait du bien à voir.

Le jeu au sol te permet de contrôler l’aspect physique du football et de contrôler le tempo. Quand tu dictes le tempo, c’est toi qui donnes le ton au match et qui se donne la chance de gagner la guerre des tranchées. Le football, je le dis toujours, c’est un sport de stratégies mais aussi un sport de collisions. En plus de gruger des verges, il y a un élément physique important qui passe par le jeu au sol et qui consiste à imposer sa loi en frappant l’adversaire et en l'intimidant. C’est exactement ce que Montréal a fait. Je ne connais pas une défense qui aime se faire passer sur le corps comme ce fut le cas pour les Lions. C’était dur sur leur moral, c’est certain.

Le jeu au sol fait aussi que tu contrôles le temps de possession donc ta défense passe moins de temps sur le terrain et est plus fraîche. Et quand la défense est plus fraîche, elle fait plus de gros jeux et donne moins de points. D’ailleurs, les deux victoires les plus convaincantes cette saison sont survenues contre Calgary (29-11) et contre la Colombie-Britannique (23-13). Contre les premiers, à Montréal, on a vu 32 courses, et contre les seconds, 39. Quand les Moineaux ont complété 30 courses ou plus, ils n’ont jamais perdu. Dans les deux cas ils ont gardé le ballon 37 minutes et c’est lors de ces rencontres qu’ils ont concédé le moins de points. Ce n’est pas une coïncidence.

Un manque de communication, dites-vous?

Ce qui est aussi intéressant, c’est que le jeu au sol protège ton quart-arrière de plusieurs façons. Il n’a pas besoin de faire trop de passes et donc le risque d’interception et de bévue est moins élevé, comme lorsqu’il y a eu confusion entre Rakeem Cato et son receveur sur la séquence où le ballon a été retourné pour le touché en début de rencontre. Au final, Cato a tenté 19 passes et en a réussi 16. Une a été interceptée, et sur les deux autres, il s’est débarrassé du ballon à un endroit stratégique quand il a vu qu’il n’y avait pas de meilleure option. J’ai trouvé qu’il a fait preuve de sagesse.

La recette de jeudi a été profitable aux Alouettes en 2014 : défense tenace, bon jeu au sol, contrôle du temps de possession, proportion adéquate de passes. On a gagné plusieurs matchs de la sorte avec Jonathan Crompton l’an dernier, et jeudi, ça m’a fait un peu penser à ça. C’est une recette qui est encore excellente surtout avec une recrue derrière le centre.

Dans le jeu au sol, j’ai vraiment adoré les stratégies parce qu’on a vu toutes sortes de blocs différents : on a notamment attaqué entre les bloqueurs et on a attaqué les périmètres. Parlant d'attaquer les périmètres, on s’est d'ailleurs aperçu que le garde à gauche Kristian Matte est très mobile et excellent pour faire des blocs à l’extérieur. On l’a utilisé à profusion et ç’a donné de bons jeux quand on évoluait à deux porteurs de ballon. Et la beauté d’un porteur costaud comme Sutton est qu’il est capable de jouer le rôle de centre arrière, donc souvent Sutton bloquait l’ailier défensif, Josh Burke bloquait le plaqueur, puis on envoyait Matte à l’extérieur. Il y a eu de la variété. Sept joueurs différents ont fait au moins une course sur les 39, alors qu’on a seulement utilisé six receveurs. On a donc employé plus de joueurs qui ont porté le ballon que de joueurs qui l’ont attrapé. Il est rare de voir ça au football canadien.

Une course de 54 verges pour Sutton

Tyrell Sutton, Brandon Rutley et Stefan Logan ont connu un fort match. J’ai aussi beaucoup apprécié le livre de jeux qu’on a établi pour Tanner Marsh. J’ai trouvé que c’était dynamique et que ça présentait quelque chose de différent à l’adversaire. Son touché était comme un jeu d’options. Le receveur Samuel Giguère a fait un balayage rapide vers l’extérieur, puis le quart, qui avait l’option de lui donner le ballon ou de le garder, a décidé de le conserver. Cela a fait en sorte que les joueurs sur les périmètres se sont mis à suivre Giguère pour laisser l’ouverture à Marsh. Il a fait une bonne lecture de la situation et a marqué un touché.

On dirait qu’on a pris note de ce qui se fait à Edmonton avec Jordan Lynch, le no 3. On l’amène souvent en faufilade du quart sur le troisième essai. Quand on réussit à obtenir le premier jeu, il reste sur le terrain et immédiatement on fait l’attaque sans caucus. Il y a des jeux spéciaux avec ce quart et c’était pareil pour les Als. Je trouve ça intéressant car ça déstabilise la défense adverse qui doit rapidement se placer car on n’a pas le temps de faire de substitution. Quand elle se retrouve devant Marsh plutôt que Cato, elle se demande ce qui se passe. Ça crée un doute. Hamilton va donc devoir passer du temps à l’entraînement pour se préparer à l’éventualité où Marsh pourrait entrer dans la mêlée. Et pendant que tu te prépares à arrêter les jeux de Tanner Marsh, tu ne te prépares pas suffisamment à affronter Cato. Les heures de pratique ne sont pas illimitées.

Il y a par ailleurs eu beaucoup de courses et beaucoup de play action, soit beaucoup de passes qui débutaient par des actions de jeu au sol. L’adversaire a eu peu de vraies occasions d’attaquer le quart même si on a décelé quelques lacunes. Cato, comme Houdini, a parfois dû se démener pour s’échapper devant la pression. Il faudrait resserrer ça un peu.

Grâce au dynamisme de l’équipe qui a effectué beaucoup de mouvements et de croisés des porteurs dans le champ arrière, on a réussi à prendre l’adversaire à contre-pied. En comparaison, le jeu de passe a été très statique. Est-ce pour ne pas trop faire bouger la défense ou ne pas trop mêler Cato? La prochaine étape devrait être de mettre un peu plus de diversité et d'effet de surprise dans les jeux de passe pour confondre l’adversaire.

La magie de Marsh opère toujours

On a toutefois remarqué une progression. On a vu qu’il y avait un plan de match et qu’il y avait des stratégies bien identifiées. On a aussi vu des stratégies avec un deuxième niveau, soit des stratégies qui étaient utilisées à des fins ultérieures. Par exemple, le touché de Nik Lewis était sur un roll out, c'est-à-dire qu’on a décidé de bouger la zone de protection vers la gauche, donc Cato aussi pour faire sa lecture. Alors que S.J. Green était couvert, Cato a visé Lewis au milieu du terrain pour le touché. Mais avant le touché de Tanner Marsh, on a fait un jeu d’options vers l’avant (ce que les Américains appellent une shovel pass). C’était exactement le même concept. On a fait croire que Cato allait se déplacer vers la gauche, donc au moment où il amorce l’action de sortir de sa pochette vers la gauche et que l’ailier défensif tente de le contenir, il choisit plutôt une passe sous-marine vers l’avant à Nik Lewis qui s’est faufilé jusqu’à la ligne de 1. On a ainsi conditionné la défense à un certain type de jeu pour ensuite faire quelque chose de différent plus tard. Quant au touché de Marsh, il y a eu une feinte de balayage rapide au receveur Samuel Giguère. Marsh a gardé le ballon et couru dans la zone des buts. Sauf que plus tard, sur la transformation de deux points à Sutton, et après ce même balayage rapide de Giguère, cette fois Marsh a fait une passe à contre-courant à Sutton au lieu de courir. La défense s’attendait au même jeu, mais s’est fait duper.

Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu ce genre de jeu d’échecs.

Dans un autre ordre d’idée, les unités spéciales ont été dominantes. Boris Bede a été excellent et Stefan Logan était en feu. Ça paraissait qu’il voulait bien performer face à son ancienne équipe. Il a accumulé plusieurs verges sur les retours de botté, le jeu au sol et compagnie, ç’a été un gars occupé.

Logan s'amuse face à son ancienne équipe

Le seul côté négatif, ce sont les pénalités qui ont annulé de longs retours. Sans ça, le match n’aurait peut-être même pas été serré.

Défensivement, on a alloué seulement six points, le premier touché étant venu de la défense des Lions. On a limité Andrew Harris à seulement 41 verges au total, dont huit courses pour 10 verges. On a pourchassé Travis Lulay sans relâche. Il n’était pas à l’aise et n’a sûrement pas aimé son match. Il était souvent pressé, devait courir, quitter sa pochette et lancer en mouvement. Sur l’interception par Dominique Ellis, qui a été un point tournant puisqu’elle a offert un touché aux Moineaux afin de prendre les devants pour de bon, on a d’ailleurs rentré des blitz au centre et c’était toujours le même scénario. On faisait un blitz en croisé avec Kyler Elsworth et Winston Venable. Souvent Elsworth rentrait et occupait la ligne à l’attaque pendant que Venable passait en arrière dans un corridor complètement libre pour se rendre directement vers Lulay. Chaque fois, ça fonctionnait. Noel Thorpe ne s’est pas cassé la tête. Tant que ça fonctionnait, il gardait la même tactique. Les Lions n’ont jamais su résoudre le problème et ç’a mis un stress incroyable sur Lulay.

Enfin, on a été beaucoup plus combatif en défense et on a vu plus de blitz et de couvertures homme à homme. Le tout a porté ses fruits. Il n’y a eu aucune course de plus de 20 verges et aucune passe de plus de 30 verges allouée. La seule chose que je pourrais critiquer, c’est quand il y a eu une série de trois pénalités consécutives qui a permis aux Lions de marquer le toucher et de prendre les devants temporairement à 13-12. Sans oublier les quelques passes rabattues qui auraient dû être interceptées. Encore là, ça s’appelle chercher des bibittes. L’objectif principal était de ne pas concéder trop de points et la mission a été accomplie.