Hockey Canada rouvre son enquête; la prétendue victime y participera
TORONTO – Hockey Canada promet des changements.
Reste à savoir si ces mesures suffiront à satisfaire le grand public, les amateurs, le gouvernement fédéral et les commanditaires.
La fédération nationale du sport, qui est sous le feu des critiques depuis des semaines, a fait une série d'annonces dans une lettre ouverte adressée aux Canadiens et publiée jeudi matin. Elle relance notamment l'enquête concernant les allégations d'agression sexuelle impliquant des membres de l'équipe nationale junior de 2018. L'enquête sera de nouveau menée par un tiers indépendant.
Jeudi, Rick Westhead de TSN a soulevé que la femme qui affirme avoir été agressée sexuellement par huit joueurs de la Ligue canadienne de hockey, dont certains membres d'Équipe Canada junior en 2018, participera à l'enquête de Hockey Canada.
« Ma cliente participera à l'enquête de Hockey Canada et elle ne fera aucun commentaire dans les médias en raison de la relance de l'enquête », a affirmé l'avocat Rob Talach dans un courriel envoyé à TSN.
Hockey Canada a précisé que la participation de tous les joueurs concernés est obligatoire, ajoutant que toute personne qui refuse sera bannie de toutes les activités et les programmes avec effet immédiat.
L'organisation avait précédemment déclaré qu'elle «encourageait fortement» les joueurs à participer à l'enquête sur l'incident survenu après une réception de Hockey Canada en 2018, mais ne l'avait pas rendue obligatoire.
Le président et chef de la direction de Hockey Canada, Scott Smith, qui a pris ses fonctions le 1er juillet et a occupé diverses fonctions au sein de l'organisme depuis 1995, a déclaré devant le comité permanent du Patrimoine le mois dernier que «12 ou 13» des 19 joueurs de l'équipe ont été interviewés avant l'enquête initiale et incomplète qui s'est conclue en septembre 2020.
« Nous savons que notre réponse a été insuffisante relativement aux agissements de certains membres de l'équipe nationale junior 2018, voire pour mettre fin à la culture de comportements toxiques au sein de notre sport », écrit Hockey Canada dans sa lettre de trois pages, jeudi.
«Nous en sommes sincèrement désolés. »
Hockey Canada a réglé discrètement à l'amiable une poursuite en mai à la suite d'allégations d'une femme qui affirme avoir été agressée par huit joueurs, dont des membres de l'équipe nationale junior médaillée d'or en 2018, lors d'un événement à London, en Ontario.
Aucune des allégations n'a été prouvée devant les tribunaux.
Smith, alors président de Hockey Canada, et le chef de la direction sortant, Tom Renney, ont été interpellés par des députés à Ottawa au sujet de la situation le mois dernier après l'annonce de l'agression présumée et de l'entente.
Mécontent des réponses des dirigeants, le gouvernement fédéral a par la suite suspendu le financement public de la fédération nationale, et un certain nombre de commanditaires ont emboîté le pas en attendant les prochaines étapes.
« Nous reconnaissons que nombre des mesures que nous prenons aujourd'hui auraient dû être prises plus tôt, et plus rapidement, poursuit la lettre de Hockey Canada. Nous l'admettons, et nous ferons tout pour mieux nous acquitter de nos responsabilités envers les Canadiens et Canadiennes. »
Questionnée sur ses attentes envers l'annonce de Hockey Canada jeudi, la ministre fédérale des Sports Pascale St-Onge a déclaré qu'elle voyait la démarche d'un bon oeil, en gardant toutefois certaines réserves.
« C'est un pas dans la bonne direction, mais je m'attends à ce que les bottines suivent les babines, donc ce seront les actions et les résultats qui seront entrepris qui seront les témoins de la force de l'engagement de Hockey Canada, de façon à ce qu'il y ait un changement de culture au sein du hockey au pays. »
Mme St-Onge a applaudi l'adoption d'un volet éducation au sujet du consentement, «car il faut discuter de ces enjeux-là avec les jeunes, puisque le hockey prend tellement de place dans leur vie», a-t-elle dit.
La ministre a toutefois rappelé que les engagements écrits de Hockey Canada ne seront pas suffisants pour permettre à l'organisation de retrouver son financement gouvernemental.
« Hockey Canada doit encore adhérer aux conditions soumises (pour l'obtention du financement). Premièrement, que Hockey Canada signe le document du commissaire de l'intégrité dans le sport, pour que les cas de maltraitance ou d'abus puissent être traités par ce bureau-là, et aussi qu'on reçoive les recommandations de la firme qu'ils ont engagée pour améliorer la culture au sein de Hockey Canada, ainsi qu'un plan concret pour l'implanter. (...) Donc, tant qu'on ne sera pas satisfaits au sujet des actions concrètes prises, on va maintenir notre décision (de suspendre le financement) », a dit Mme St-Onge.
Hockey Canada a précisé qu'il exigera désormais que les joueurs, les entraîneurs, le personnel de l'équipe et les bénévoles associés à son programme de haute performance participent à la formation obligatoire sur la violence sexuelle et le consentement.
Il procédera également à un examen complet par un tiers de la gouvernance de l'organisation et s'engage à devenir un signataire à part entière du Bureau du Commissaire à l'intégrité dans le sport (BCIS), une nouvelle agence gouvernementale habilitée à enquêter de manière indépendante sur les plaintes pour abus et à imposer des sanctions.
Hockey Canada annonce qu'il créera également un "mécanisme de plainte indépendant et confidentiel" pour fournir aux victimes et aux survivants des outils et du soutien nécessaires pour dénoncer ces agissements.
La ministre des Sports, Pascale St-Onge, a révélé le mois dernier que les fonds fédéraux ne seraient rétablis que lorsque les responsables auraient produit le rapport incomplet de la tierce partie et seraient devenus signataires du BCIS.
Hockey Canada ne s'est toutefois pas engagé à publier le rapport incomplet ou complet au gouvernement dans sa lettre de jeudi.
« Nous entendons la population, les joueurs et joueuses, leurs familles, les partisans et partisanes, nos commanditaires et les personnes touchées par ce qui s'est produit en 2018 », écrit l'organisme.
Hockey Canada a précisé qu'une fois son enquête terminée par le même cabinet d'avocats de Toronto embauché en 2018, elle sera confiée «à un tribunal d'arbitrage indépendant formé de juges en poste et d'anciens juges, qui déterminera les conséquences appropriées, lesquelles pourraient comprendre l'exclusion à vie des activités de Hockey Canada, sur la glace et à l'extérieur.»
La victime alléguée de l'agression réclamait 3,55 millions $ en dommages-intérêts à Hockey Canada, à la Ligue canadienne de hockey et aux joueurs anonymes.
Hockey Canada a souligné que la femme avait refusé de parler à la fois à la police de London - la police a clos son enquête en février 2019 - et à son cabinet d'avocats.
Hockey Canada a ajouté que la femme avait décidé de ne pas identifier les joueurs.
« Nous saluons le courage de la jeune femme impliquée et respectons sa décision de participer à l'enquête de la façon dont elle le souhaite », poursuit Hockey Canada.
Les détails du règlement n'ont pas été rendus publics, mais Smith a affirmé devant le comité permanent du Patrimoine canadien en juin que Hockey Canada avait fourni les fonds et payé la totalité de la somme, ajoutant qu'aucun argent du gouvernement n'avait été utilisé.
St-Onge a ordonné une vérification comptable pour s'assurer que c'est bien le cas.
Le comité doit se réunir les 26 et 27 juillet pour entendre d'autres témoins. Il a également demandé une copie expurgée de l'accord de non-divulgation lié au règlement ainsi qu'une longue liste de communications de Hockey Canada.
La LNH mène également une enquête, car certains joueurs de l'équipe évoluent maintenant dans la ligue.
St-Onge a précisé qu'elle n'avait appris l'incident et le règlement que lors d'un appel avec Renney quelques jours avant que l'histoire ne soit révélée par TSN. Hockey Canada a déclaré avoir informé Sport Canada de la situation en juin 2018.
La fédération a ajouté qu'elle publiera un « plan d'action » détaillé "présentant une multitude de mesures prises au sein de notre organisation, de même qu'auprès de nos partenaires et parties prenantes, pour améliorer la culture entourant notre sport.
« Nous sommes conscients que ce changement ne se produira pas du jour au lendemain », souligne Hockey Canada.
« Mais nous avons la ferme intention d'apprendre et de travailler avec nos partenaires pour nous améliorer. »
La Banque Scotia, Telus, Tim Hortons et Imperial Oil, sous sa marque Esso, sont les entreprises qui ont suspendu ou retiré leur financement à Hockey Canada ou à des événements spécifiques.
Hockey Canada a reçu 14 millions $ d'Ottawa en 2020 et 2021, dont 3,4 millions $ en subventions pour la COVID-19, selon les dossiers du gouvernement.
Smith a affirmé le mois dernier que Hockey Canada a signalé trois plaintes d'agression sexuelle au cours des dernières années, y compris l'incident de London, mais n'a pas voulu discuter des deux autres devant le comité le mois dernier. Il a ajouté qu'il y avait eu jusqu'à deux plaintes d'inconduite sexuelle à chacune des cinq ou six dernières années.
« Le message de la population est très clair: vous vous attendez à ce que notre sport national et les personnes qui le représentent travaillent fort pour gagner votre confiance chaque jour. Nous vous avons entendu, et nous sommes déterminés à opérer les changements nécessaires pour nous permettre d'être une organisation à la hauteur de vos attentes et de restaurer votre confiance en nous », conclut la lettre de Hockey Canada.