Spas, fika et hockey : le tremplin suédois de Thomas Grégoire
ÄNGELHOLM, Suède – Tranquillement adossé dans une chaise basse près du vestiaire de son équipe, Thomas Grégoire se met à nous parler du fika, cette pause-café traditionnelle durant laquelle, chaque après-midi vers 15h, les Suédois s'arrêtent pour se sucrer le bec et prendre le temps de se parler. « Un peu comme la siesta en Espagne ».
Notre interlocuteur-globe-trotteur n'est pas venu en Suède pour les spas et les petites pâtisseries, mais ce sont ces petites découvertes culturelles qui lui font apprécier encore davantage la vie qu'il a choisie en quittant l'engrenage du hockey professionnel nord-américain à seulement 22 ans.
« J'ai eu un bon exemple avec Stéphane Julien, qui était dans mon entourage, raconte le Sherbrookois. Mon père l'a toujours pris en exemple pour dire à quel point il avait eu une belle carrière. Il a joué longtemps en Allemagne, sa famille était heureuse là-bas. Ça m'a toujours donné le goût. Je voulais jouer dans la Ligue nationale, c'est sûr, mais l'Europe c'était aussi un but. Quand je suis parti, je ne me disais pas que je n'avais pas réalisé mon rêve. C'était comme un autre rêve que je m'en allais vivre. »
Pour un joueur assez talentueux pour atteindre l'antichambre de la LNH à sa sortie des rangs juniors, l'Europe est souvent vue comme un dernier recours, une intersection à laquelle on arrive après avoir épuisé toutes ses options. Grégoire ne l'a jamais vu ainsi.
Au terme de sa période d'admissibilité dans la LHJMQ, il a été dans l'organisation des Sharks de San Jose pendant deux ans. En 2020, son rôle au sein de l'équipe réserve et une situation contractuelle insatisfaisante l'ont invité à se poser des questions. Les changements forcés par la COVID ont accéléré sa réflexion. « On ne jouait pas beaucoup de matchs, nos salaires étaient coupés de moitié. Quand je suis arrivé au camp, il y avait 12 défenseurs. Pour le développement, je ne trouvais pas ça bon. »
Grégoire a signé avec le Rauman Lukko en Liiga finlandaise. L'année de son arrivée, son équipe a gagné le championnat de la saison régulière et le tournoi des séries éliminatoires. Elle s'est aussi qualifiée pour la Ligue des champions, une compétition qui lui a permis d'aller manier la rondelle en Allemagne, en Suisse et en Italie. Chacun de ces voyages lui a fait réaliser la chance qu'il a de pratiquer son métier dans de pareilles conditions.
Sa gratitude ne devrait toutefois pas être confondue pour de la complaisance. Dans chaque victoire, dans chaque accomplissement, Grégoire voit avant tout l'occasion de faire un pas de plus vers son objectif. Celui-ci est ambitieux. Même si l'Europe est souvent une voie à sens unique pour les exilés nord-américains, son souhait premier n'est pas d'y rester, mais de s'y bâtir une réputation assez solide pour convaincre une équipe de la LNH de le rapatrier.
C'est dans cette optique qu'il a fait le saut cet été dans la ligue élite suédoise, après trois années passées dans le pays voisin. Maintenant âgé de 25 ans, il dispute la première année d'un contrat de deux ans avec le Rögle BK, dans le sud-ouest du pays. Son adaptation se passe bien. Les succès collectifs ne sont pas au rendez-vous – à la mi-saison, l'équipe occupe le 12e rang sur 14 au classement général – mais il retrouve dans ce changement de décor le défi qu'il recherchait.
« La Suède, je pense que c'est pas mal la meilleure ligue en Europe avec la Suisse. La Suisse est peut-être un peu plus payante, mais on y voit surtout des joueurs qui ont joué dans la LNH avant. Il y en a ici aussi, mais il y a aussi beaucoup de jeunes qui veulent monter. »
Grégoire apprécie aussi le fait que contrairement à ce qu'on connaît en Amérique du Nord, où les ficelles sont souvent tirées par les grands patrons du club pour favoriser des joueurs d'un certain statut, la SHL (pour Svenska Hockeyligan ou Swedish Hockey League) n'est pas une ligue de développement.
« Ça marche vraiment au mérite. Quand tu as un gars comme Adam [Engström], qui est un prospect, c'est sûr qu'ils vont chercher à le faire jouer. Mais en même temps, les clubs veulent gagner. Adam, il ne joue pas parce que c'est un espoir de la LNH, il joue parce qu'il fait la job. Un joueur de son âge qui ne ferait pas l'affaire, on le tasserait pis on donnerait plus de temps de jeu à quelqu'un d'autre. »
Grégoire en a malheureusement eu la preuve quelques jours après notre visite, alors qu'il a été laissé de côté pour le derby contre les rivaux de Malmö. « Une situation concurrentielle », a justifié un entraîneur dans les médias locaux. C'était la première fois que le Québécois, auteur de 12 points en 28 parties, regardait un match des gradins.
Il est improbable que ce rappel à l'ordre ne décourage notre homme, qui semble être de cette catégorie d'êtres humains qui prennent le bon de ce que la vie met sur leur chemin. Une boisson chaude, une viennoiserie et il sera sans doute prêt à remettre le cap sur ses objectifs.
« J'en parlais justement hier avec ma mère, qui est venue me visiter pour le temps des Fêtes. J'ai toujours dit que je ne reviendrais pas à la maison sans un contrat à un volet dans la LNH. Mais il y a des jours où je me dis que je pourrais me laisser tenter par un contrat à deux volets dans une équipe où il manquerait peut-être un défenseur offensif droitier. Il y a plein de choses qui entrent en ligne de compte. »
« Sinon, j'aimerais jouer un jour en Suisse, peut-être en Allemagne. Le père de ma blonde habite en Allemagne. J'aimerais ça bouger. Si ça ne fonctionne pas ailleurs, je ne suis vraiment pas malheureux ici. »