Dans la tête de Guy Boucher
Faire une incursion dans la tête de Guy Boucher est un exercice fascinant. À l'image de ses savantes analyses de hockey à RDS, tout y est structuré, mais avec une grande place pour la créativité. Imaginez un atelier d'artiste bien équipé et ordonné, avec au centre une immense toile qui ne reste jamais blanche très longtemps.
Dans la tête de Guy, les idées s'entrechoquent, se superposent et se multiplient. Ce n'est pas lui qu'il faut inviter à la maison pour regarder les Canadiens jouer en mangeant des ailes de poulet. « Je ne suis plus capable de regarder un match de hockey pour m'amuser avec un drink. Je le fais dans le cadre de ma job, pour rechercher ou analyser quelque chose, particulièrement quelque chose de différent. »
La déformation professionnelle est facile à comprendre. Après tout, le natif du Bas du fleuve baigne dans le hockey depuis toujours. Il a joué pour McGill dans les rangs universitaires, pour ensuite gravir les échelons du coaching durant 20 ans. Du junior majeur, à la LNH, en passant par la Ligue américaine et la Suisse, Guy Boucher a accumulé un enviable bagage de connaissances. Toutefois, ce n'est pas encore suffisant à ses yeux.
« Je suis un défricheur. Je n'aime pas faire ce que tout le monde fait. J'ai besoin de trouver une nouvelle façon, un autre angle, de voir au-delà de l'évidence pour changer quelque chose qui fera une grosse différence. Ma vie, c'est oser. Si tu m'enlèves la possibilité d'oser, je perds toute motivation », explique-t-il sans hésitation. Pendant que la majorité des gens regardent les prouesses de Connor McDavid ou Nikita Kucherov, Guy regarde la glace. Il est constamment à l'affût des espaces libres pour mieux comprendre ce que font les équipes avec ou sans la rondelle. « Je ne peux pas m'en sortir. C'est tout ce que je vois. Je vois uniquement la structure. Me concentrer sur un seul joueur c'est très difficile. Il faut vraiment que quelque chose ressorte, sinon je demeure accroché à la structure des deux équipes. »
Lorsqu'il s'attarde aux individus, c'est plutôt pour observer le non verbal des joueurs et des entraineurs. Il veut savoir et comprendre comment ils réagiront, selon les situations. Sa maitrise en psychologie sportive n'est jamais bien loin.
N'allez surtout pas lui parler des changements de trios ou de paires à l'entrainement. Ça ne l'intéresse pas le moindre du monde. Il déteste quand on catégorise les individus. « Ça, c'est un joueur de quatrième trio, ça, c'est un sixième défenseur. Ça m'écoeure. Aujourd'hui, tu ne sais pas il va être quoi. Mon défenseur numéro cinq sera peut-être mon meilleur, donc il devient mon numéro un. » C'est un des concepts abordés durant les conférences sur le leadership qu'il présente notamment à des dirigeants d'entreprises. « Le premier obstacle des gens, c'est eux-mêmes. Ils ne peuvent pas avoir confiance en eux s'ils se sentent limités », résume-t-il.
Ses présentations, où ils rencontrent toutes sortes de gens, s'inscrivent dans une suite logique de ce qui anime véritablement le cerveau de Guy Boucher.
« Je ne suis pas nécessairement un passionné de hockey »
L'analyste lâche cette phrase tout bonnement, comme s'il parlait de la météo ou de ce qu'il a mangé pour souper la veille. Pardon? Comment un homme qui a joué, dirigé des équipes et passé un nombre incalculable d'heures à décortiquer des matchs peut-il affirmer ceci? « Certains vont dire que je suis un motivateur, d'autres que je suis un stratège. Ce qui me passionne c'est la mobilisation des joueurs, des individus et des groupes. C'est la connexion qui m'intéresse. Je me suis rendu compte que le hockey est un véhicule pour ma passion qui est de mobiliser. C'est pour ça que quand je regarde un match de hockey, je n'y trouve pas ma passion. »
C'est aussi pour ça qu'il ne ferme pas la porte à sa carrière d'entraineur, sans pour autant rêver à tout prix de retourner derrière un banc. À 51 ans, dans la tête de Guy Boucher, ce sont les relations qui priment. « Si je retourne coacher, ce ne sera pas une question de logo ou d'organisation. Ce sera à cause de la connexion avec le propriétaire, le gérant, les autres coachs et les leaders de l'équipe. Si tu n'es pas sur la même page, tu n'as aucune chance de réussir. Ce n'est pas une question de coacher, autant que de me retrouver dans un environnement où je sais que je pourrai participer à un élan commun avec la même philosophie. »
Surtout que quand il s'implique dans quelque chose, il n'y a pas de demi-mesure. C'était vrai comme entraineur. Ça l'est aussi sur le plan familial. Après avoir été remercié par les Sénateurs d'Ottawa en mars 2019, il a refusé plusieurs opportunités pour rester auprès de ses trois enfants. « Je n'ai aucun regret, parce qu'à ce moment-là, c'était ça ma priorité. Je suis un tout ou rien. Je suis totalement dedans, ou totalement à part », avoue-t-il candidement.
Le lapin Energizer
Dans la tête de Guy Boucher, il y a très peu de répit. Son cerveau fonctionne au même rythme que le lapin Energizer qui tape sur son tambour sans jamais s'arrêter. L'image le fait rire, mais il acquiesce.
Pour décrocher, il doit travailler de ses mains. Son plus beau terrain de jeu est dans le Bas du fleuve, près du Nouveau-Brunswick, où il possède un terrain boisé. Guy aménage des chemins et des barrages pour s'aérer l'esprit. « Je bûche, je coupe, je construis. Couper des arbres, ça me relaxe. » De son propre aveu, c'est là qu'il a eu ses meilleures idées. Comme quoi, il n'arrête jamais de réfléchir à 100%.
Récemment, il a recommencé à dessiner de nouveaux concepts de jeu. Reverrons-nous ses traits de crayons prendre forme sur une patinoire? Tout dépendra de la personne qui fera sonner son téléphone.