Dans sa quête pour trouver le prochain entraîneur du Canadien, Marc Bergevin ne s'est pas entretenu suffisamment longtemps avec Patrick Roy pour savoir à quel point il désirait le poste.

Roy avait fait la paix avec son ancienne équipe. Il avait participé au retrait de son chandail durant une soirée chargée d'émotion au cours de laquelle il avait soulevé la foule du Centre Bell en lançant: « Ce soir, je rentre chez nous » Les amateurs montréalais ont toujours aimé voir leurs grandes vedettes partis dans la discorde, Maurice Richard, Guy Lafleur et cette fois Roy, revenir dans le giron familial.

Bref, Roy était prêt à reprendre du service au niveau de la patinoire. Il rêvait de gagner une autre coupe Stanley, cette fois dans un rôle d'entraîneur. Malheureusement, il a su très vite qu'il n'appartenait pas à la courte liste du nouveau directeur général qui privilégiait l'embauche d'un homme d'expérience.

Pour quitter ses Remparts et accéder à un plus haut niveau, il n'avait que deux organisations en tête: Le Canadien et l'Avalanche, les deux équipes qui avaient contribué à faire de lui un gagnant.

Jamais il n'a été question pour lui d'attendre le retour des Nordiques, comme on l'a laissé supposer au cours des deux derniers jours. Il avait des raisons qui lui sont personnelles pour se refuser le droit de revenir dans la Ligue nationale dans sa propre ville. Il ne l'aurait pas fait même si on avait appris au début de la semaine que la ville de Phoenix perdait sa concession au profit de Québec.

La destinée de Roy continue de bien le servir. Pour la deuxième fois de sa carrière, le Canadien lui glisse entre les doigts au profit de l'Avalanche. Et aux deux occasions, il en est sorti gagnant. Quand il a été échangé au Colorado après l'esclandre du Forum en 1995, il a donné un second souffle à sa carrière en allant gagner deux autres coupes Stanley avec les anciens Nordiques. Jamais il n'aurait obtenu à Montréal les riches contrats qu'il a paraphés à Denver.

Cette fois, en n'obtenant pas le poste qu'il convoitait à Montréal, l'Avalanche lui a accordé tout le pouvoir dont il rêvait. Un pouvoir qui lui aurait échappé à coup sûr à Montréal.

Les deux seuls joueurs à avoir mérité le trophée Conn Smythe avec l'Avalanche ont maintenant la responsabilité de remettre sur les rails ce qui a déjà été une très belle machine. Quand on est reconnu comme le joueur par excellence d'une longue marche vers la coupe Stanley, c'est qu'on est une source d'inspiration et un gagnant. Roy et Joe Sakic ont reçu ce trophée après en avoir fait la démonstration.

On aimerait être un petit oiseau pour être témoin du silence qui va envelopper le vestiaire quand Roy s'y plantera pour faire ses recommandations. Non seulement est-il reconnu comme un homme pour qui tous les trucs étaient bons pour gagner, mais l'Avalanche serait encore en quête de sa première coupe si Réjean Houle ne lui avait pas fait la faveur de l'échanger à la formation qui était dirigée par son ex-agent.

Roy est devenu l'unique entraîneur de la Ligue nationale à posséder quatre bagues de la coupe Stanley. Un seul autre coach a gagné une coupe, une seule, Kirk Muller. Dans le même ordre d'idée, pas moins de 14 entraîneurs n'ont jamais évolué dans la ligue. Dans certaines villes, en voyant un inconnu obtenir le poste, il y a probablement des joueurs qui se sont demandés d'où il sortait celui-là. Avec Roy, la question ne se posera pas. Seth Jones, le futur premier choix de l'Avalanche que Roy dirigera la saison prochaine, n'était pas né quand le gardien a remporté sa deuxième coupe avec le Canadien. Il avait deux ans quand il a donné à l'Avalanche sa première coupe. Toutefois, vous pouvez parier tout ce que vous possédez qu'il sait déjà parfaitement qui il est.

Tout un pouvoir de négociation

De mémoire d'homme, on ne se souvient pas qu'un entraîneur issu du niveau junior, convoité par une organisation de la Ligue nationale, ait joui d'un tel pouvoir de négociation. Ça ne se voit jamais une situation comme celle-là. Un coach junior qui se verrait approcher de cette façon, sauterait sur l'invitation sans poser la moindre question. Il accepterait des conditions monétaires modestes sans protester pour pouvoir jouir d'une telle chance.

Au cours des derniers jours, Roy s'est appliqué à négocier son pouvoir. Il tenait absolument à être impliqué dans toutes les décisions reliées aux joueurs. Roy et Sakic sont devenus des vice-présidents aux opérations hockey. Le premier donnera fermement son opinion. Le second aura le dernier mot. On verra pendant combien de temps ils parviendront à cohabiter dans cet organigramme qui n'est pas simple et qui pourrait donner lieu à des discussions orageuses avec le temps.

Une chose est certaine, il n'y aura plus de paresseux au sein de l'Avalanche, comme l'avait laissé entendre le gardien Jean-Sébastien Giguère dans les derniers moments de la saison. Roy verra à ce que le deuxième étage ne soit jamais satisfait. Les entraîneurs adjoints sont mieux d'être alertes quand le coach sondera leurs opinions. Quant aux joueurs, être dirigés par un homme qui était reconnu pour manger les bandes n'est jamais reposant.

L'arrivée de Roy aura le même effet sur les gens de Denver que celui de Marc Bergevin et Michel Therrien en a eu sur le public du Québec. Elle redonnera espoir à des amateurs qui avaient déserté le Pepsi Center ces dernières années. L'équipe a été exclue des séries au cours des trois dernières années et quatre fois au cours des cinq dernières. Tomber aussi bas après avoir paradé avec la coupe à deux occasions dans le centre-ville, ça laisse des traces.

Les amateurs, qui devraient retrouver le chemin de la billetterie, sont probablement impatients de voir ce que cela va donner. Ils ne sont pas les seuls. Sakic est calme et pondéré. Roy est émotif et explosif. Comme dirait l'autre, ça ne risque pas d'être plate autour de l'équipe.

Au début de son règne, Roy aura peut-être deux prises contre lui. La Ligue nationale a énormément changé depuis qu'il l'a quittée. S'y reconnaîtra-t-il? Il y a aussi une énorme différence entre diriger des joueurs juniors et des professionnels. Mais le copropriétaire des Remparts est un drôle de pistolet. Ce n'est pas parce qu'il a deux prises contre lui qu'il ne croit pas pouvoir frapper un circuit.