Match du CH à Québec : quelle mouche a piqué le ministre des Nordiques?
MONTRÉAL - Mettons une chose au clair tout de suite : j'ai toujours respecté les ministres des Finances. Peu importe leur nom. Peu importe leur allégeance politique.
Ils sont brillants et armés de diplômes. Ils sont forts en chiffres. Ils sont généralement convaincants, parfois même intimidants. Et même si les philosophies financières qu'ils ou elles appliquent varient de l'un ou l'une à l'autre, ils jonglent avec l'avenir financier d'une population au grand complet. Cette immense responsabilité les oblige donc à afficher une prudence essentielle considérant les conséquences néfastes qu'entraîneraient des décisions trop osées, voire farfelues.
Pour toutes ces raisons, je respecte le ministre des Finances Éric Girard, comme j'ai respecté tous ceux et celles qui l'ont précédé sur le siège réservé au grand argentier de la province.
Mais quand Éric Girard retire ses chics souliers de cuir de ministre des Finances pour chausser ses patins de ministre des Nordiques, il devient pas mal plus difficile à suivre et à comprendre.
Il en a fait la preuve par 7 millions $ l'automne dernier lorsqu'il a confirmé avoir fait ce don de fonds publics aux Kings de Los Angeles pour les convaincre de venir affronter les Bruins de Boston les 3 et 5 octobre prochain au Centre Vidéotron.
Le ministre des Nordiques n'a pas poussé le Québec vers la faillite en offrant ce montant aux Kings. Bien sûr que non! Mais dans le contexte socio-économique actuel, alors que la survie d'organismes importants est mise en péril en raison des coupures effectuées à droite et à gauche, ce don à un club qui patine déjà dans les millions $ a été mis en échec par des dizaines et des dizaines d'exemples démontrant que les 7 millions $ auraient pu être beaucoup mieux utilisés.
Surtout que les Kings, avant de venir trôner à Québec, iront croiser les Golden Knights de Vegas au Delta Center, à Salt Lake City, sans recevoir le moindre dollar en fonds publics de la ville ou de l'état.
Déjà qu'il était difficile de comprendre et impossible de justifier ce don offert aux Kings l'automne dernier, il devient plus difficile encore de comprendre ce qui a bien pu pousser le ministre des Nordiques à lancer qu'il voudrait voir le Canadien quitter le Centre Bell pour aller s'installer au Centre Vidéotron afin d'y disputer un match de saison régulière.
Trois jours après avoir confirmé qu'il avait formulé au Canadien et en avait parlé au commissaire de la LNH Gary Bettman à qui il a rendu visite à New York la semaine dernière, je cherche toujours à comprendre ce qui a bien pu le pousser vers une proposition qui patine sur la bottine pour reprendre un terme de hockey.
Un match préparatoire, on aurait pu comprendre. Surtout que le Canadien en a disputé 11 depuis 2002. Au Colisée d'abord et au Centre Vidéotron ensuite. Et les 11 fois, le Canadien est allé courtiser, avec plus ou moins de succès, les amateurs de hockey de Québec à ses frais, il est nécessaire ici de le rappeler.
Mais un match de saison régulière?
Vraiment?
Il est permis de se demander quelle mouche a bien pu piquer monsieur le ministre.
Des millions $ à rembourser
Est-ce que le ministre des Nordiques réussirait à convaincre le ministre des Finances de rembourser les quelque 1250 personnes qui travaillent au Centre Bell les soirs de match et qui seraient privées d'un revenu dont ils ont besoin pour les aider à boucler leurs fins de mois?
Oui! Oui! Ce sont bel et bien entre 1200 et 1300 personnes qui mettent le cap sur le Centre Bell, souvent après avoir complété une journée de travail ailleurs, pour devenir gardes de sécurité, hôtes ou hôtesses autour des gradins et à l'intérieur des loges, préposés dans l'un ou l'autre des comptoirs pour vendre bière, hot-dog, popcorn, souvenir sans oublier les nombreux employés qui passent une partie de la nuit à nettoyer le Centre Bell ou à le transformer d'amphithéâtre de hockey à salle de spectable.
Est-ce que le ministre des Nordiques convaincrait le ministre des Finances de rembourser le manque à gagner des entreprises qui payent le gros, le très gros prix, pour s'afficher aux quatre coins du Centre Bell dans le cadre des 41 matchs à domicile au cours de la saison régulière?
Est-ce que le ministre des Nordiques convaincrait le ministre des Finances de rembourser les détenteurs de billets de saison et de loges qui perdront un match? Ou de rembourser le Canadien qui pourrait s'occuper lui-même de rembourser ses clients?
Parlant du Canadien, est-ce que le ministre des Nordiques convaincra le ministre des Finances de compenser le manque à gagner en matière de revenus aux guichets? De revenus aux concessions? Aux kiosques de souvenirs?
Les conséquences financières associées à la perte d'un match à domicile, surtout pour des équipes de marchés importants comme Toronto, New York, Boston, Chicago et Montréal pour ne nommer qu'eux, sont colossales.
Elles oscilleraient certainement entre 3 et 4 millions $ par match perdu. Juste pour Geoff Molson.
Ajoutez à ça le salaire des employés et les revenus des restos autour du Centre Bell et les pertes deviennent tellement colossales, qu'elles rendent plus difficile encore de comprendre le souhait du ministre des Nordiques de voir le Canadien disputer un match de saison régulière à Québec.
Il souhaiterait même en obtenir plus d'un!
Pression sur le CH? Sur Bettman?
Je reviens à la question de base : pourquoi diable le ministre des Nordiques s'est-il lancé sur la patinoire avec des patins aussi mal aiguisés?
Pour mettre de la pression sur le Canadien afin qu'il démontre son appui au retour des Nordiques?
L'appui du Canadien au retour de la LNH à Québec est déjà très bien documenté. Geoff Molson l'a confirmé plusieurs fois publiquement lors des réunions des gouverneurs de la LNH. En français, en anglais, aux journalistes venus du Québec – et de Québec – et tous les autres coins de la planète hockey, Molson, qui est membre du comité exécutif en passant, a toujours répété qu'il voterait en faveur d'un retour du hockey de la LNH à Québec si le dossier devait un jour se rendre jusque-là.
Je sais! La valeur de cet appui est souvent remise en question par ceux et celles qui prétendent que Molson ne croit pas un mot de ce qu'il avance publiquement. Qu'il lance ça simplement pour sauver son image, celle de son club de hockey et de sa brasserie.
Il sera impossible de faire changer d'idée ceux et celles qui adhèrent à cette théorie.
Mais à titre de ministre des Finances, Éric Girard est à même d'accorder la pleine valeur qui lui revient à un appui comme celui donné au retour des Nordiques à Québec par le grand boss du Canadien.
Pour mettre de la pression sur Gary Bettman? Pour mousser la candidature de Québec dans sa quête de revenir dans la LNH?
Ce serait là de bien vilaines stratégies.
Premièrement, il est très difficile de tenter de mettre de la pression sur Gary Bettman. Ça peut même devenir périlleux. Parlez-en à Jim Balsilie qui croyait pouvoir renverser le commissaire et la Ligue au grand complet dans sa quête de transférer les Penguins de Pittsburgh à Hamilton.
Et pour mousser la candidature de Québec, il faudrait regarder ce qui se passe autour de la LNH en ce moment pour comprendre comment on doit vraiment s'y prendre.
D'abord à Salt Lake City où Ryan Smith n'a pas besoin des interventions du maire de Salt Lake ou du gouverneurs de l'Utah pour solliciter Gary Bettman et faire bonne impression autour de la table regroupant les 32 propriétaires de la Ligue.
Il a fait les choses lui-même. Il a mis cartes sur table. Il a démontré le sérieux de ses intentions et de son projet en appuyant sa quête d'obtenir une équipe d'un relevé financier bien à lui et juste à lui.
Et ce qui est vrai à Salt Lake l'est aussi à Houston, à Atlanta et dans les autres villes qui frappent à la porte de Gary Bettman. Pas pour lui dire qu'ils aimeraient avoir un club. Mais pour lui prouver qu'ils sont capables et prêts à en recevoir un.
Je rêve toujours au retour des Nordiques à Québec. Parce que Québec a beau être un petit marché, la capitale demeure une bien meilleure ville de hockey que bien des villes autour de la LNH.
Mais tant que ce sera le ministre des Nordiques qui ira faire des «courbettes» dans le bureau de Gary Bettman et non un ou des investisseurs qui déposeront, eux aussi, un chèque signé sur lequel il ne restera que le montant à ajouter histoire de prouver leur sérieux dans cette aventure, le retour de Québec dans la LNH ne sera qu'un rêve.
Je me permettrais un petit conseil offert gratuitement au gouvernement du Québec s'il tient vraiment à s'impliquer dans le dossier: pour vraiment tenter d'intéresser Gary Bettman, ce serait une bonne idée que ce soit François Legault et non Éric Girard qui se rende à New York. Pas question une fois encore de manquer de respect aux ministres des Finances qui qu'ils soient, mais Bettman aime mieux transiger avec les premiers ministres qu'avec leurs ministres si vous voyez ce que je veux dire...
Matchs en territoire neutre
Ah oui! Il est vrai que des équipes perdent déjà des revenus lorsqu'elles vont jouer outre-mer; lorsqu'elles disputent des matchs en plein air; sans oublier qu'il est même déjà arrivé que des équipes disputent des matchs en territoire neutre.
Cette comparaison est toutefois facile à mettre en échec.
Les matchs disputés outre-mer en début de saison (Global Series) et les matchs en plein air – le Canadien en a d'ailleurs disputé à Edmonton, Calgary, Boston et Ottawa – sont gérés par la LNH.
Non seulement Gary Bettman rembourse tous les frais supplémentaires encourus par les deux équipes pour la tenue de ces matchs, mais il rembourse aux équipes qui perdent un match à domicile, tout ce qu'elles perdent, dans le cadre de cette partie. Et comme ces matchs sont quand même présentés dans les villes du club local, les détenteurs de billets de saison et de loge, de même que les employés n'y perdent pas trop au change.
Quant aux matchs en territoire neutre, c'est vrai qu'on en a vu au fil des ans. Malheureusement, ces matchs annoncent rarement de bonnes nouvelles pour le club invité à perdre une soirée à domicile.
Les Jets de Winnipeg et les Whalers de Hartford se sont déjà croisés à Saskatoon en 1992-1993. Quelques années plus tard, les Jets étaient devenus les Coyotes et avaient migré en Arizona. Les Whalers avaient déménagé en Caroline pour devenir les Hurricanes.
Rappelez-vous aussi l'agonie des Expos au baseball. Lorsqu'ils sont allés disputer des matchs à Porto Rico, il était clair que leur départ définitif de Montréal n'était plus qu'une question de temps.