Un pont entre les nations
Hockey jeudi, 28 févr. 2013. 09:16 samedi, 14 déc. 2024. 04:53MONTRÉAL - Marc-André Fournier ne tenait pas à tout prix à retourner avec le Prolab de Thetford Mines et oui, l’idée de jouer pour une dernière fois avec son meilleur ami l’intéressait au plus haut point. Mais à l’autre bout du fil, Daniel Jacob venait de lui donner deux jours, pas plus, pour accepter de déménager dans un pays qu’il n’aurait même pas pu situer sur une carte géographique.
Du hockey en Serbie, vraiment?
Jacob aussi l’avait trouvé bien drôle quand Marko Kovacevic, un expatrié qu’il avait rencontré dans un gymnase de l’Université McGill, lui avait raconté comment il avait été initié à ce sport nordique dans son pays natal. Mais pendant qu’il préparait son corps pour les rigueurs d’une autre saison en première division suédoise, le grand défenseur ne pouvait écarter de son esprit les histoires des Balkans que lui avait fait miroiter son partenaire d’entraînement.
Curieux, Jacob a commencé à poser des questions et les réponses qu’il a obtenues lui ont donné les arguments nécessaires pour convaincre son ami d’enfance. À Novi Sad, où était prêt à les accueillir le Montréalais globe-trotter Fred Perowne, ils pourraient terminer leur carrière dans le même uniforme tout en ayant l’occasion de s’impliquer au sein du programme de hockey mineur. Sur papier, le projet était béton.
À l’automne 2006, Jacob et Fournier ont donc annulé tous leurs engagements et se sont envolés vers l’Europe de l’Est. Si l’idée s’avérait désastreuse, se disaient-ils, ils n’auraient qu’à précipiter leur retour et en rire autour d’une bonne bière.
Ils y sont restés pendant quatre ans.
« Les quatre plus belles années de notre vie », dit Jacob, qui a ramené de Serbie, en plus de la femme de sa vie, l’inspiration pour fonder, avec ses autres complices aventuriers, le programme Hockey Sans Frontières.
Officiellement né d’ambitions modestes en novembre 2011, Hockey Sans Frontières est un organisme à but non lucratif en pleine évolution par l’entremise duquel ses fondateurs espèrent participer à la croissance du sport et à la propagation de ses bienfaits dans des communautés où sa pratique est marginale, voire inimaginable. L’objectif est de déployer des volontaires capables d’épauler le travail d’entraîneurs locaux qui rêvent de voir leurs bonnes intentions combinées aux ressources et aux connaissances d’étrangers compétents.
« Nous ne cherchons pas seulement à envoyer de bons entraîneurs, mais bien des gens qui puissent devenir des mentors pour les jeunes qui profiteront de leur enseignement », précise Matthew Robins, un jeune ambassadeur qui a déjà effectué trois voyages pour le compte d’une cause qu’il a décidé d’embrasser dès qu’elle lui a été présentée.
« Dans cette région du monde, le hockey ne permettra à personne d’atteindre l’université ou la Ligue nationale. C’est plutôt un programme social, une façon d’éloigner les jeunes des problèmes et de leur inculquer des valeurs et des qualités qui leur serviront dans leur vie d’adulte. C’est ce que représente le hockey là-bas, et c’est la direction dans laquelle nous souhaitons travailler. »
Déjà jumelés au travail de bénévoles locaux en Serbie et en Bosnie, les efforts d’intégration de HSF sont en cours à Ankara, en Turquie. Par la magie du bouche à oreilles, des associations sportives de Bulgarie et de Croatie ont aussi manifesté leur intérêt à profiter de l’implication des Québécois dans le mouvement.
« Pour être franc, ça prend déjà des proportions que je n’aurais jamais imaginées », s’étonne Fournier.
Un bel esprit de famille
Le moment exact où l’expérience européenne aurait pu être qualifiée d’échec total et celui où elle est officiellement devenue une réussite ne sont séparés que par quelques minutes. Marc-André Fournier peut encore les relier dans leurs moindres détails.
L’autobus de l’équipe qu’il avait prise en main avec Jacob – une bande de jeunes de 10 et 11 ans – avait roulé pendant environ une heure en direction sud pour atteindre la capitale, Belgrade, où était prévu le deuxième match de la saison. Contre toute attente, Novi Sad parvient à causer la surprise en l’emportant 3-2, en prolongation de surcroît. Fous de joie, les jeunes vainqueurs sautent sur la glace pour célébrer, s’avancent pour serrer la main des joueurs adverses et... initient une bagarre générale.
Le voyage de retour est lourd. Confrontés à une situation qu’ils jugent inacceptable, les entraîneurs promettent qu’il y aura des conséquences. Leurs protégés doivent finalement attendre une semaine avant de rechausser les patins, mais la leçon parvient aux oreilles des parents, qui ne la trouvent pas drôle.
« Ça fait deux semaines qu’on est là et déjà, nos méthodes sont fortement remises en question, se remémore Fournier en riant. Dans la salle où on est convoqués, les parents partent en peur dans un langage qu’on ne comprend évidemment pas. Puis, par miracle, le président du club prend la parole et commence à lever le ton. Soudainement, tout le monde se met à applaudir, vient nous serrer la main et nous remercie pour notre travail. On n’a jamais vraiment compris ce qui était arrivé, mais à partir de ce moment-là, tout s’est bien passé. »
Engagés dans une courte saison d’une vingtaine de matchs, les joueurs-entraîneurs ont amplement le temps de se consacrer à leur mission auprès de la relève. Avec le temps, ce qui devait au départ n’être qu’un passe-temps est presque devenu une vocation.
« On se retrouvait avec des dizaines de jeunes âgés entre 5 et 18 ans. Au début, quand tout le monde se retrouvait sur la glace en même temps pour un entraînement, c’était beaucoup de travail d’essayer de donner une structure à tout ça. C’était un beau projet, disons, mais on trippait ben raide avec les jeunes », se rappelle Fournier.
« À force de coacher, on s’est rendu compte qu’on tissait des liens incroyables, prend la peine d’ajouter Jacob, un ancien joueur des Redmen de McGill qui occupe un poste d’entraîneur adjoint avec l’organisation depuis son retour à Montréal. Dans un coin du monde qui fait encore peur à certaines personnes, on se considère chanceux d’avoir pu découvrir une culture exceptionnelle, des gens chaleureux et un bel esprit de famille. »
L’influence canadienne
À force de coacher, Jacob a aussi rapidement compris pourquoi son travail et celui de ses compagnons était apprécié.
« Il y avait eu toutes sortes d’entraîneurs qui s’étaient occupés des jeunes avant qu’on arrive. Du Russe louche qui les faisait sauter dans des pneus à travers un filet au Canadien à moitié saoul qui venait juste ramasser son chèque, les exemples sont nombreux. »
« Leur mentalité était davantage axée sur le développement des aspects techniques et des habiletés individuelles, a aussi remarqué Fournier. Nous, on mettait surtout l’accent sur l’esprit d’équipe et le leadership, des notions que personne ne leur avait implantées auparavant. »
Les Québécois ont aussi eu l’idée de regarnir les faibles réserves d’équipement de l’association sportive de leur ville d’adoption. Une vingtaine de sacs de pièces usagées ont été reçus avec la complicité de Martin Raymond, qui était alors à la tête du programme des Redmen. Une vingtaine d’autres, contenant du matériel neuf, sont aussi arrivés par le biais d’un projet initié par l’Association des joueurs de la LNH.
« Pendant nos trois années à Novi Sad, on est passé d’environ 50 à 150 jeunes joueurs de hockey. Ça a vraiment explosé », se félicite Jacob.
Conscients que la tangente inverse serait probablement observée si le fruit de leur travail était laissé à l’abandon, Jacob et ses compatriotes se sont dit qu’ils ne pouvaient délaisser complètement leur deuxième chez-soi lorsque le temps est venu de revenir pour de bon à la maison. « On se demandait comment on pouvait rester impliqués avec ces gens qui avaient été si bons pour nous. Comment pouvait-on leur retourner la faveur? », s’est questionné Fournier.
La réponse est apparue dès que les premiers passionnés mis au parfum de cette aventure outre-mer ont accepté de relever le défi. L’an dernier, Robins a passé quatre mois à Subotica, dans le nord de la Serbie, pour donner un coup de main à Uros Brestovac à la tête du programme HC Spartak. Trois jeunes entraîneurs canadiens ont accepté de vivre la même expérience cet hiver. Deux autres se trouvent présentement à Sarajevo.
Hockey Sans Frontières, une idée un peu folle née sur un véritable coup de dés, est maintenant un mouvement concret et de mieux en mieux organisé.
« C’est très excitant de voir l’enthousiasme des entraîneurs qu’on envoie là-bas et des jeunes qui reçoivent leur aide, constate Jacob avec satisfaction. Quand on était là, on a vu la différence dans le comportement des jeunes qu’on avait sous notre aile. Il y a tellement d’autres milieux qui ont besoin d’un coup de main et qui pourraient utiliser le hockey pour donner une chance à des jeunes qui en ont besoin. Le plus de gens on peut toucher, le mieux c’est. »
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