Plus de larmes que de mots
Impact dimanche, 22 oct. 2017. 21:04 jeudi, 12 déc. 2024. 23:47MONTRÉAL – Comme il avait l’habitude de le faire avant chaque rencontre, Patrice Bernier a rassemblé ses coéquipiers au centre du vestiaire avant de les mener vers le terrain pour y disputer le dernier match de sa carrière.
C’est une occasion pour laquelle le capitaine choisissait habituellement judicieusement ses mots. De précieuses secondes qu’il voyait comme un privilège, une chance d’utiliser son statut afin de motiver ses gars avant de les envoyer au combat.
Dimanche, le moment était si significatif qu’aucune parole ne pouvait lui rendre véritablement justice. Ça tombe bien, parce que Bernier a eu toute la misère du monde à formuler une phrase complète.
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« C’est peut-être le pire speech que j’ai jamais fait », a-t-il confié, de belle humeur, après la défaite de 3-2 de l’Impact en clôture de saison.
« Ça venait du cœur et ça n’a pas été long, a confirmé Samuel Piette, souriant, dans le vestiaire des perdants. Il a dit deux ou trois mots et a commencé à pleurer, ce qui est normal. Tu voyais que ça le touchait, ça se sentait que c’était son dernier match. Il n’y avait pas grand-chose à dire. Tout était sur la table. »
« Oui, il a versé des larmes, a corroboré son bon ami Hassoun Camara. Moi j’étais triste, mais joyeux en même temps parce qu’il a de la chance de vivre ces moments. Il peut être fier d’avoir bouclé la boucle de cette façon. Il mérite tout ce qui lui arrive aujourd’hui. »
« D’habitude, tu as l’énergie pour inspirer, mais là tout ça vient t’habiter et tu réalises que c’est la dernière fois que tu parles au groupe. Les émotions ont pris le dessus, se rendait à l’évidence le motivateur bafouilleur. Je ne sais pas s’ils vont en faire un vidéo, mais clairement, ce n’est pas le discours dont je suis le plus fier! »
Bernier a admis que sa bataille contre la nervosité n’était toujours pas gagnée lorsque le début du match a été signalé. La finalité dont il était désormais séparé par 90 minutes, et qu’il ne pouvait chasser de son esprit, a alourdi ses jambes et raréfié son oxygène.
Le vétéran avait refait ses réserves d’énergies quand l’arbitre Rubiel Vazquez a accordé un penalty à l’Impact dans les arrêts de jeu de la première demie. Pour la douzième fois depuis son retour à Montréal, Bernier s’est emparé du ballon et s’est avancé vers le point peint à une dizaine de mètres du gardien.
Pour la première fois, l’importance du moment s’est immiscée entre ses deux oreilles.
« D’habitude je suis très, très calme. Mais là, ça faisait un bout de temps. La dernière fois, c’était à Vancouver et je n’avais pas marqué. En plus, je savais que mes parents étaient juste derrière, donc ce n’était pas évident. Tu penses à beaucoup de choses auxquelles tu ne penses pas d’habitude. Mais j’ai pris mon inspiration normale et le reste s’est placé. »
Une sortie à l’image du joueur
Mauro Biello avait prévenu son capitaine qu’il prévoyait offrir du temps de jeu au joueur recrue Shamit Shome, qui n’avait toujours pas vu le terrain à sa première année en MLS. Quand la fatigue a commencé à le gagner, en fin de deuxième demie, Bernier s’est mis à regarder de plus en plus fréquemment vers le banc des siens.
Il était prêt pour le signal. Prêt à partager le moment, son moment, avec un jeune de 20 ans.
« Je ne voulais pas juste continuer à jouer et qu’il entre pour deux minutes. Je me suis dit que si je sortais un peu plus tôt, ça lui donnait une dizaine de minutes pour vivre la réalité du terrain. J’aurais pu faire semblant et continuer, mais le jeune qui continue, s’il peut avoir quelques vraies minutes plutôt que quelques secondes, juste pour dire qu’il est le gars qui est entré pour Patrice Bernier... »
À la 82e minute, le panneau du quatrième officiel s’est finalement allumé. En vert, on pouvait y lire le numéro 28 de Shome. En rouge, le 8 de Bernier. D’un bond, la foule s’est levée pour saluer une dernière fois son favori qui, comme il l’avait fait au début de son discours d’avant-match, a craqué. Sa longue marche vers la sortie, interrompue par l’étreinte de ses coéquipiers et de ses adversaires, a été le moment fort d’un match dont le pointage allait toujours être secondaire.
« Par moment, j’avais l’impression que c’était moi qui prenais sa retraite, a décrit Piette. Pat, c’est un de mes très bons amis et un très bon coéquipier. Je n’ai peut-être pas vécu les mêmes émotions que lui, mais j’ai certainement ressenti ce que la foule lui transmettait aujourd’hui. »
« Je ne vous cacherai pas que j’ai versé ma petite larme », a dit Camara, qu’une blessure a empêché de revêtir l’uniforme pour cette soirée d’adieux. « Tout le monde aime Patrice, il fait l’unanimité dans toutes les sphères. C’est quelqu’un qui fait preuve de beaucoup d’humilité, contrairement à ce qu’on peut entendre dans le milieu du football. Il est là pour aider les gens, les soutenir, il est toujours gentil, ne dit jamais un mot de travers. Je mets au défi quiconque de trouver quelqu’un qui dira du mal de Patrice. C’est difficile, quasi-impossible. C’est un modèle pour moi et je suis vraiment fier d’avoir évolué à ses côtés. »
Les éloges de Camara s’ajoutaient à la myriade de compliments dirigés en direction de Bernier au cours des semaines précédentes. Leur destinataire les a tous entendus et dimanche, il les a interprétés avec beaucoup d’humilité lorsqu’on lui a demandé s’il pouvait mesurer l’héritage qu’il laissait au monde du soccer québécois.
« J’ai été le premier de l’ère MLS et dernier de l’ère NASL, A-League et Centre Claude-Robillard. Aujourd’hui, c’est un nouveau cycle. Il y a des gars comme Piette et Jackson-Hamel qui continuent. Je serai simplement heureux si, plus tard, un jeune accède à ce niveau et dit qu’il a été inspiré en me voyant jouer. Avant tout, je voulais performer, vendre le soccer et l’Impact de Montréal et faire réaliser qu’ici, ce n’est pas juste une place pour le hockey. »