MLS : la patience sélective de Mohamed Farsi
MONTRÉAL – À travers l'écran, Mohamed Farsi approche son téléphone pour bien bétonner son propos. « Il n'y a qu'une reprise qui montre clairement le coup », dit-il avant de faire jouer l'extrait divulgateur. La vidéo lui donne raison. On y voit Caleb Wiley, un défenseur d'Atlanta United, lui piétiner le mollet alors qu'il vient de chuter dans la surface de réparation.
« Ça faisait tellement mal, mon premier réflexe a été de toucher ma cheville pour voir si elle était encore rattachée à ma jambe! », raconte le footballeur québécois avec un calme déstabilisant. La discussion a lieu cinq jours après sa mésaventure. Il a probablement déjà fait son deuil du match qui vient contre Minnesota, mais il sait qu'il a évité le pire.
Un an plus tôt, la même blessure aurait peut-être été plus lourde de sens. Farsi était alors un jeune qui avait tout à prouver. Surtout utilisé avec la réserve du Crew de Columbus, il devait gagner la confiance d'un nouvel entraîneur. Sa marge de manœuvre était inversement proportionnelle aux ambition de l'équipe.
Avec plus de 2500 minutes de jeu ajoutées à son compteur, une bague de champion au doigt et un nouveau contrat en poche, ses assises sont beaucoup plus solides aujourd'hui. C'est du moins ce qu'on lui suggère en abordant la question de cette nouvelle entente qu'il vient de signer et qui pourrait le lier au Crew jusqu'en 2028.
Poliment, il nous remet à notre place.
« La vérité, c'est que la manière dont j'ai grandi, dont ma carrière a commencé et dont elle se déroule, je ne suis pas quelqu'un qui pense comme ça, mais vraiment pas, corrige le fier produit du Plateau Mont-Royal, à Montréal. C'est pas vrai que parce que j'ai un nouveau contrat, je vais commencer à me dire que j'ai une sécurité. J'en ai vraiment rien à faire de tout ça. »
« Là, je suis blessé, mais je ne suis pas en mode "Ok c'est pas grave". Je veux jouer. Si je dois me faire piquer, il n'y a pas de problème! Peut-être qu'une autre personne serait confortable de rester sur le côté, mais moi non. J'ai toujours eu cette mentalité. Je pense même que je suis un peu immature par rapport à ça parce que même quand je suis blessé, je veux jouer à tout prix. Des fois je dois prendre le temps, mais je n'ai pas encore cette maturité. On doit m'obliger. Ou mon corps doit vraiment m'obliger. »
« Sois patient »
Déjà de nature plutôt terre à terre, Farsi a vécu des trucs dans la dernière année qui ont renforcé chez lui cette conviction que rien dans la vie ne nous est dû, que tout doit être mérité.
Après l'arrivée de Wilfried Nancy à la barre du Crew, il a été titularisé dans 21 des 22 premiers matchs de la saison 2023 de la MLS. Quand est arrivée la trêve estivale qui laissait place à la Coupe des Ligues, son équipe n'avait perdu que deux de ses douze derniers matchs. Pourtant, à la fin juillet, le Crew a fait l'acquisition du vétéran Julian Gressel, un latéral droit plus expérimenté qui connaissait lui aussi du succès avec les Whitecaps de Vancouver.
Le nouveau venu lui a ravi son poste dès son arrivée. Farsi n'a débuté que deux autres matchs avant la fin de la saison et a commencé les éliminatoires sur le banc. « Forcément, j'étais un peu frustré », admet-il. Mais il n'a pas vous laisser la déception définir la suite de sa saison.
« Moi, dans la vie de tous les jours, comment je réfléchis, c'est ‘sois patient'. Je suis un musulman, je crois en Dieu. Dans notre religion, on prône la patience. Il y a d'autres trucs aussi qui sont arrivés dans ma vie. De nos jours, les gens patientent de moins en moins par rapport à ce qui les entourent. Moi j'ai vu que la patience, ça amène toujours des trucs bien. »
Farsi a repris sa place de partant au troisième match des séries, un duel décisif contre Atlanta. Il est ensuite demeuré dans le XI pour des victoires successives contre Orlando, Cincinnati et LAFC. Sa rédemption s'est conclue dans les confettis.
Dans l'entre-saison, Gressel s'est vu montrer le champ libre pour s'engager à l'Inter Miami. Le Crew a quant à lui accepté de renégocier le contrat de Farsi même si celui-ci avait une entente valide pour deux autres campagnes.
« Ils auraient pu attendre, mais ils ont voulu me récompenser et c'est grandement apprécié, reconnaît l'ancien joueur de futsal. Ça me pousse encore plus à vouloir gagner le maximum de trophées. »
Si Farsi, à son retour au jeu, continue dans la même veine que ce qu'il a eu le temps de montrer avec de se blesser contre Atlanta, ses patrons seront comblés.
Dubaï, Canada et Algérie
Même s'il préfère concentrer ses pensées sur le moment présent, Farsi réserve, comme nous devrions tous le faire, une partie de son cerveau pour entreposer et cultiver ses prochains objectifs. À 24 ans, il ne cache pas ambitionner de décrocher du boulot « de l'autre côté de l'océan ».
Cet hiver, des rumeurs ont prêté à un club de Dubaï de l'intérêt à son endroit. Comme par hasard, après sa saison, Farsi a publié des photos d'un séjour dans les Émirats. Tactique de négociation? « Des vacances avec des potes », affirme-t-il. « Il y a eu une histoire derrière tout ça, ajoute-t-il. De ce que j'ai compris, il y avait de l'intérêt, ça s'est un peu mal fait. »
Les questions sur l'exportation de son talent ne s'arrêtent pas là. Malgré un profil plus que pertinent, Farsi n'a toujours pas été appelé par l'équipe nationale canadienne. La semaine dernière, Canada Soccer a publié une liste préliminaire contenant le nom de 57 joueurs admissibles à participer à un match de barrage pour une qualification à la Copa América. Le sien n'en faisait pas partie.
Scandale? Pas du tout. Farsi explique que le Canada lui avait fait de l'œil avant la plus récente Gold Cup, mais qu'il avait demandé à son agent de mettre carte sur table. Celui qui a représenté l'Unifolié au niveau U23 possède aussi la nationalité algérienne et désire bien étudier ses options avant de prendre un engagement.
« Je ne veux pas me cadenasser directement avec une sélection en particulier. Je veux d'abord avoir un dialogue avec l'équipe nationale algérienne, parce que c'est une sélection qui m'intéresse tout autant que celle du Canada. Quand j'aurai eu une conversation concrète, je prendrai une décision par rapport à 1) ce que je veux du cœur et 2) ce qui est le mieux sportivement. Ça se peut que les deux diffèrent. Je veux vraiment prendre le temps. Je ne veux pas aller quelque part et prendre la mauvaise décision pour x ou y raisons. »
Farsi justifie sa stratégie en indiquant que « des trucs se sont passés » il y a longtemps avec Canada Soccer et qu'il ne veut « juste pas répéter les mêmes erreurs ». Combien de temps se donne-t-il pour prendre sa décision?
« Je pense que t'as compris que je suis quelqu'un de patient dans la vie! », rappelle-t-il.