Comment la ville de Las Vegas s'est imposée comme la Mecque du sport?

-- Abonnez-vous au balado ESPRIT SPORTIF
SPOTIFY | APPLE PODCAST | I HEART RADIO

Selon l'âge de votre interlocuteur, la mention de la ville de Las Vegas suscitera une réaction différente.

Vos grands-parents, par exemple, pourraient spontanément fredonner « Viva Las Vegas » à la manière d'Elvis Presley comme dans le film du même nom qui fête cette année ses soixante ans. Ou encore, un air de Frank Sinatra se faufilerait dans la conversation, guidé par un élan de douce nostalgie.

Vos parents, aussi bercés par ces souvenirs, ajouteraient sans doute à l'équation la relation incestueuse entre la ville du vice et le crime organisé. Les années 70 et 80 ont donné à l'incessant cycle de nouvelles plusieurs anecdotes en provenance du Nevada alors que de grands criminels dirigeaient les casinos de la ville de façon légitime tout en tirant les ficelles de leurs organisations illicites en coulisses.

Les adultes dans la trentaine, eux, ont observé une transformation. Las Vegas, au 21e siècle, n'a plus la même réputation. On peut même dire que depuis les vingt dernières années, la ville du vice s'est débarrassée des squelettes dans son placard afin de devenir la plaque tournante incontestée des événements sportifs et culturels aux États-Unis.

Mais comment ce tour de force s'est-il orchestré ?

Le sport, ici, a montré la force de son influence à l'extérieur des différentes surfaces de jeux.

Ce qui arrive à Las Vegas… reste à Las Vegas

Sans tomber dans la longue leçon d'histoire, on pourrait placer le premier pion du nouveau Las Vegas en 2002 alors que la fameuse publicité « Ce qui se passe à Las Vegas, reste à Las Vegas » plaçait l'emphase sur la ville comme une destination vacances pour les adultes afin de prendre une pause de la vie quotidienne.

On s'éloignait ainsi du marché plus familial, des montagnes russes et des activités pour les petits et les grands.

En ciblant clairement les adultes, tout en titillant la quête du risque contrôlé, Las Vegas annonçait ses couleurs en reprenant le contrôle des notions de vices associées à son nom.

Au lieu des dangers de la mafia et du crime organisé, on mise sur les casinos, les salons de paris sportifs, le tourisme sexuel (par la bande) et les grands spectacles.

Cette oasis du vice, ironiquement, c'était le début d'une résonance positive au nom de Las Vegas.

Dans la foulée, le film The Hangover, en 2009, s'est installé dans l'imaginaire collectif comme une version extrême de ce que peut être Vegas pour les adultes en quête de sensations fortes.

À ce moment dans le temps, le sport est encore relativement marginal à Vegas. La boxe est bien installée, tout comme les arts martiaux mixtes. La NCAA aussi est présente, avec UNLV par exemple, ainsi que des formations des ligues mineures au baseball, mais les grands joueurs se tiennent loin en raison des stigmates laissées par le pari sportif.  

Après tout, la pratique est encore illégale à l'échelle du pays et les gens viennent se « cacher » à Las Vegas pour parier en paix. Difficile, dans ce climat, de réellement faire la promotion à l'échelle nationale pour les grandes ligues sportives.

La preuve : la NFL, en 2002, a refusé la diffusion de cette publicité lors du Super Bowl XXXVII malgré le désir de Las Vegas d'investir plus de deux millions de dollars pour le temps d'antenne.

Pour une NFL plus conservatrice, la simple mention de Las Vegas provoquait des grognements lors des rencontres. En faire la promotion, il n'en était pas question. Cette façon de faire datait de l'ancien commissaire Pete Rozelle, un farouche opposant à la légalisation des paris sportifs au milieu des années 70 et 80.  

Ironiquement, la montée aux boucliers de Roger Goodell et de la NFL a fait l'effet inverse et la publicité de Las Vegas, propulsée par cette controverse, est devenue un exemple enseigné dans les écoles de marketing encore à ce jour.

16 ans plus tard, le 14 mai 2018, après de longues démarches, la Cour suprême des États-Unis retire le Professional and Amateur Sports Protection Act de sa charte des lois et, de ce fait, la légalisation des paris sportifs perdait son principal obstacle.

Six mois après ce jugement historique, la NBA, la LNH et la MLB avaient des partenariats avec des sites de paris sportifs.

Les valves étaient ouvertes et Vegas était prête à recevoir toute cette attention.

Des Golden Knights jusqu'au Super Bowl

En avril 2016, avant la légalisation possible des paris sportifs aux États-Unis, Las Vegas ouvre le T-Mobile Arena à même sa fameuse Strip. Quelques mois plus tard, Bill Foley reçoit la licence d'expansion de la part de la LNH et les Golden Knights sont confirmés. En octobre 2017, l'équipe joue son premier match à domicile devant les partisans du Nevada.

Nous sommes toujours, à ce moment, avant la légalisation des paris sportifs. Mais l'opération séduction de Las Vegas est amorcée et on discute avec les grandes ligues au quotidien, ou presque.

La LNH et les Knights, c'est la première équipe native de Las Vegas dans une grande ligue américaine. On ne parle pas d'un déménagement ou d'une relocalisation. Les Knights sont apparus à Vegas et c'était le banc d'essai pour tout le monde.

Les succès fulgurants ne se sont pas fait attendre et le reste a déboulé très, très vite.

En mars 2017, Mark Davis obtient l'autorisation de la NFL pour déménager les Raiders à Las Vegas. Trois ans plus tard, en 2020, en plein milieu de la crise sanitaire de la COVID-19, l'équipe baptise l'Allegiant Stadium construit en un temps record à même la fameuse Strip de Las Vegas. Même sans spectateur dans le stade pour sa première saison, l'impact est immédiat et une promesse de Super Bowl venait avec la construction de ce temple à la fine pointe de la technologie.

C'est arrivé en 2024. Le Super Bowl LVIII est devenu le théâtre du deuxième triomphe consécutif de Patrick Mahomes et des Chiefs de Kansas City et, surtout, l'événement s'est déployé comme une série de cartes postales incontournables pour la grande capitale du jeu.

Depuis quelques années, le slogan « Ce qui arrive à Las Vegas, reste à Vegas » est devenu « Ce qui arrive à Las Vegas n'est possible qu'à Vegas ». Une nuance importante dans le ton et l'intention. Désormais, il y a une certaine convoitise dans le regard des grandes organisations de ce monde quand on parle de s'inviter au Nevada le temps d'un événement.

Avant le Super Bowl, par exemple, la Formule 1 a fait un retour remarqué avec un circuit routier en plein cœur de Las Vegas Boulevard, contrairement à son passé plus modeste dans le stationnement du Ceasar's Palace.

La F1 et ses nouveaux propriétaires, Liberty Media, ont placé Vegas au centre de l'expansion américaine du circuit automobile et les installations permanentes de l'organisation sont accessibles aux visiteurs à longueur d'année.

Devant tous ces succès, la MLB aussi désire sa part du gâteau et les Athletics d'Oakland, après une longue relation conflictuelle avec les autorités californiennes, planifient leur déménagement sur la Strip alors que la démolition du mythique hôtel Tropicana servira de terreau fertile à la levée d'un tout nouveau stade de baseball.

Dans tous ces scénarios, ne resteraient que la NBA sans équipe à Vegas et quand on observe les dernières années, ce n'est qu'une question de temps avant qu'Adam Silver, le commissaire, offre son équipe au désert du Nevada. Après tout, le tournoi de la NBA Cup s'est déroulé à Las Vegas et on a aussi utilisé la ville comme bulle sanitaire durant la COVID-19 pour présenter des matchs à huis clos.

Sinon, la WNBA a aussi déménagé une équipe à Vegas lors des dernières années et la montée en popularité du basketball féminin offrira une autre vitrine à la ville. Sans parler du basketball de la NCAA, fièrement représenté par plusieurs équipes dans la région, en plus des sports de combat qui ont toujours eu une affectation affichée pour la démesure des grands hôtels de la Strip.

Le UFC, notamment, promet d'organiser une soirée à l'intérieur de la très populaire sphère, la plus récente installation de la ville qui fait jaser de par sa démesure et son brio technologique depuis son inauguration en 2023.

La nouvelle Mecque du sport

Le concept de La Mecque est calqué sur la ville du même nom en Arabie saoudite. La ville, selon la tradition, serait le lieu de naissance du prophète Mahomet et est devenue, au fil des générations, l'ultime point de rassemblement pour les gens de confessions musulmanes.

Appliqué au monde du sport, La Mecque, c'est souvent le Madison Square Garden de New York. Ce temple des grands événements, de la boxe à la lutte en passant par le hockey, le basketball et les grands concerts, détonne de par sa forme unique à quelques pas de Time Square et attirent des touristes de partout dans le monde.

Mais si vous avez visité Las Vegas lors des dernières années, vous savez qu'il y a une version miniature de la ville de New York près du T-Mobile Arena avec sa propre version de la statue de la Liberté. Tout comme il y a un hôtel inspiré de Venise, de Paris et de la gloire de l'empire roman.

En fait, Vegas à l'habitude de reprendre ce que le monde offre de plus grandiose pour l'offrir à ses visiteurs à sa sauce. Ainsi, La Mecque qu'est le Madison Square Garden reçoit toute une compétition de la part d'une ville qui est articulée, depuis une vingtaine d'années, autour des événements sportifs.

Comment un seul édifice peut-il résister à l'assaut d'une ville entière?

C'est le nouveau Las Vegas, point de convergence pour les amateurs de sports de la planète et mappemonde méticuleusement improvisée pour les envieux de faire la même chose là où les fortunes nationales peuvent rivaliser avec la lourdeur des coffres des casinos de Las Vegas.

Si ça fonctionne à Vegas, pourquoi pas à Riyad? À Tokyo? Ou sur une île humainement construite peut-être? (ne riez pas, le Moyen-Orient a des plans d'expansion drôlement loufoques qui n'excluent pas la construction de nouvelles entités terrestres.)

Évidemment, les enjeux ne sont pas seulement économiques, mais Las Vegas a démontré qu'avec un plan politique clair et des investissements stratégiques, il est possible de changer la réputation d'un endroit malgré des décennies de mauvaises presses.

Ce qui était l'une des villes les plus dangereuses d'Amérique est devenu une destination touristique familiale où tout est possible, ou presque. La Strip elle-même, épicentre de l'action à Vegas, est un lieu aseptisé et placardé de publicités pour tout ce que Vegas peut offrir … incluant les activités réservées aux adultes.

La « vieux Las Vegas », autour du Golden Nugget, par exemple, est devenu un gigantesque centre d'achat à ciel ouvert avec des installations étourdissantes pour les visiteurs qui veulent en avoir plein les yeux. Les néons caractéristiques de l'époque, pour la plupart, sont remisés dans un musée.

Chaque année, de nouvelles installations s'invitent à l'intérieur de cette improbable bulle et le sport, comme un cœur au centre de la poitrine, garde la mesure pour les activités de la région.

Le Super Bowl retournera au Allegiant Stadium plus tôt que tard, tout comme la finale de la Coupe Stanley via les Golden Knights. On ne sait pas si les A's auront une équipe de calibre pour la Série mondiale, mais les dépenses seront certainement plus significatives que lors des dernières années à Oakland.

Tout ce qui manque, présentement, c'est l'apport inestimable du temps.

Vos enfants et leurs enfants ne garderont pas de souvenirs du Las Vegas associé au crime organisé. Même Elvis Presley ne sera qu'un nom quelconque vaguement reconnu. Par contre, La Mecque du sport sera inévitable et incontournable.

Avec la mondialisation des sports, c'est important de conserver un port d'attache. Un lieu de pèlerinage pour les indéfectibles. Même qu'avec un peu de patience, vous pouvez marcher autant à Las Vegas qu'à Compostelle, sauf que votre ressourcement ne sera résolument pas le même.

Après tout, ce qui se passe à Las Vegas ne se passe qu'à Las Vegas et les téléspectateurs du monde entier regarderont, avec envie, chaque grand événement qui s'emparera de la ville le temps d'une euphorie collective.

« Viva Las Vegas » sonne plus vrai que jamais.