TORONTO - « Mon père n’aimait pas être sous les projecteurs. Mais je regarde son sourire sur la bannière accrochée là-bas – dans une des grandes fenêtres ceinturant le grand hall du Temple de la renommée du hockey – et je ne peux m’empêcher de croire que pour une fois, il accepterait l’honneur qu’on lui fait avec cette intronisation », lance Éric Lacroix en parlant de son père Pierre qui sera immortalisé, lundi, à titre de grand bâtisseur du hockey.

« Il serait mal à l’aise devant les journalistes, il s’assurerait encore de partager avec tous ceux qui l’ont entouré au cours de sa carrière une grande part de la responsabilité de ce qui lui arrive en fin de semaine, mais il serait vraiment content », rajoute fièrement le fils du nouvel intronisé.

« Son rêve est réalisé et je suis certaine qu’il fête avec nous en fin de semaine », renchérit son épouse Colombe qui a perdu « l’homme de ma vie » en décembre 2020 lorsque Pierre Lacroix est décédé des suites de complications reliées à la Covid.

Mariée à Pierre Lacroix en 1968, alors qu’ils n’avaient que 20 ans, Colombe Prénoveau a été une témoin privilégiée de tous les grands moments de sa carrière. En fait, elle a vécu ces grands moments d’une carrière au cours de laquelle Pierre Lacroix a brillé autant à titre d’hommes d’affaires, d’agent de joueur ou de directeur général des Nordiques de Québec devenus Avalanche du Colorado. Sans oublier le rôle de père de famille.

« Un papa gâteau qui était aussi capable d’être sévère afin d’obtenir ce qu’il voulait », soutient-elle.

Et cette manière d’être à la fois sévère et « gâteau » Pierre Lacroix ne l’appliquait pas seulement à ses propres enfants.

« Pierre était comme ça avec ses clients aussi. Il faut dire qu’ils étaient pas mal jeunes quand il les prenait sous son aile. Il les guidait dans leur carrière et dans leur vie. Chaque mois d’avril, il les convoquait sur ce qu’ils appelaient la "chaise électrique" parce qu’ils devaient passer en revue toutes les dépenses effectuées au cours de l’année. Pierre s’assurait qu’ils n’exagèrent pas. Qu’ils planifient l’avenir. Pierre avait une façon bien à lui d’agir avec ses clients. Mais je crois que la meilleure façon de le décrire c’est qu’il agissait avec ses clients dans son bureau, de la même façon qu’il agissait avec ses enfants à la maison. Il prenait soin de tout le monde avec les mêmes attentions. Il a appelé sa firme Jandec parce qu’il s’occupait de ses clients de janvier à décembre. Mais je peux aussi t’assurer qu’il s’occupait d’eux sept jours par semaine et 24 heures par jour entre les mois de janvier et décembre », a ajouté Colombe Prénoveau croisée dans le grand hall du Temple de la renommée vendredi après-midi.

Plus tard en soirée, elle a pris la relève de son mari et a accompagné les autres intronisés – Pierre Turgeon, Caroline Ouellette, Tom Barrasso, Henrick Lundqvist, Mike Vernon et Ken Hitchcock – au centre de la patinoire du Scotiabank Arena pour la mise en jeu protocolaire précédant le match opposant les Maple Leafs aux Flames venus de Calgary.

Turgeon se souvient

Pierre Lacroix a été le conseiller – un titre qu’il chérissait davantage que celui d’agent – de plusieurs des plus grands joueurs québécois à avoir atteint la LNH. De Mike Bossy et Robert Sauvé devenu son principal associé à la fin de sa carrière, à Michel Goulet et Denis Savard, en passant par Patrick Roy, Vincent Damphousse, Pierre Turgeon et Alexandre Daigle, Lacroix a bâti un véritable empire. Un empire qui a dicté, grâce à lui, les courants financiers qui ont marqué la LNH et qui ont permis à bien des joueurs d’assurer leur avenir financier, celui de leurs enfants et de leurs petits-enfants.

Un empire qui a aussi mené à un lock-out alors que les propriétaires et la LNH se sont dressés pour imposer une limite salariale aux recrues après que Lacroix eut obtenu un contrat d’entrée de 12,5 millions $ pour cinq ans à Alexandre Daigle, la veille de sa sélection à titre de tout premier choix du repêchage de 1993 qui se tenait à Québec.

Pierre Turgeon a d’ailleurs rendu un vibrant hommage à celui qui l’a aidé à se rendre jusqu’au Temple de la renommée.

« Pierre était déjà l’agent de mon frère Sylvain qui était 4 ans plus vieux que moi. Il a commencé à s’occuper de moi quand j’avais 14 ans il me semble. Je partais de l’Abitibi l’été pour passer un ou deux mois chez lui afin d’aller dans des écoles de hockey. Il a été une très grande influence pour moi. Il m’a appris à bien structurer ma vie autant que ma carrière. J’ai peut-être attendu longtemps avant d’être invité ici, mais ça me permet d’y entrer en même temps que lui et c’est un grand honneur », a commenté Pierre Turgeon.

Sollicité de toutes parts, Patrick Roy a indiqué qu’il livrera ses commentaires sur l’intronisation de celui qui a été bien plus qu’un agent pour lui seulement lundi lors de la cérémonie.

Grandes transactions, plus grande discrétion

Parlant de Patrick Roy, le gardien intronisé en 2006 a été au centre de l’une des plus importantes transactions conclues pas Pierre Lacroix. Une transaction qui l’a fait passer, en compagnie de Mike Keane, du Canadien à l’Avalanche du Colorado en retour de Jocelyn Thibeault, Martin Rucinsky et Andreï Kovalenko. 

Le Canadien mettra des années avant de se remettre de cette transaction conclue le 5 décembre 1995. Une transaction qui a propulsé l’Avalanche à ses deux premières conquêtes de la coupe Stanley.

De fait, il aurait été bien mieux de réaliser, en début de saison 1995-1996, la transaction qui permettait au Tricolore d’obtenir Stéphane Fiset et Owen Nolan en retour de Roy. Une transaction qui ne s’est jamais matérialisée puisque Serge Savard, alors directeur général du Canadien, a été congédié quelques heures seulement avant de pouvoir la finaliser avec son homologue de l'Avalanche.

Cette transaction, comme les autres gros coups multipliés par son père, Éric Lacroix les a appris en même temps que tout le monde.

« Papa était un gambler. C’est peut-être pour ça qu’il s’est établi à Las Vegas après être devenu président de l’Avalanche. Mais il était d’une très grande discrétion. Il n’annonçait jamais ses coups d’avance. Je n’ai jamais rien su de ce qu’il tramait. Quand j’ai été échangé par les Kings – en juin 1996 – mon directeur général de l’époque m’a appelé pour me dire que j’étais échangé en ajoutant que je devais déjà être au courant. Je lui ai répondu : mais de quoi tu parles? C’est là qu’il m’a annoncé que l’Avalanche venait de faire mon acquisition. Même ma mère n’avait pas la moindre idée que je m’en venais les rejoindre à Denver », raconte Éric Lacroix en riant.

Éric Lacroix (au centre), le fils de Pierre Lacroix.

Bien que son père ne reculait jamais devant les décisions qui amélioraient son équipe, Éric Lacroix assure que son père était souvent tourmenté à l’idée de secouer la vie personnelle des joueurs touchés.

Il a d’ailleurs difficilement encaissé les contrecoups d’une transaction pourtant brillante qui lui a permis de faire l’acquisition du grand défenseur Rob Blake des Kings de Los Angeles en septembre 2001 en retour d’Adam Deadmarsh.

« Papa était très proche de son monde. Il aimait les joueurs. Il tissait des liens avec eux. Il s’intéressait à leur vie à l’extérieur de la patinoire. Je me souviens qu’il avait été très marqué par sa décision d’échanger Adam Deadmarsh parce qu’il aimait beaucoup Adam, mais aussi parce que lui et son épouse venaient d’avoir un enfant né prématurément. L’échange s’ajoutait à leurs ennuis personnels et papa n’aimait pas ça. Je sais qu’Adam lui en a voulu pendant un bout de temps, mais ils ont renoué quelques années plus tard », rappelle Éric Lacroix. 

Cette anecdote illustre bien la vraie nature du père qui l’a guidé comme homme et comme joueur de hockey tout autant.

« Papa était un gars de famille. C’est d’ailleurs pour ça qu’il a décidé d’arrêter. J’ai toujours pensé qu’il avait arrêté trop vite. J’ai toujours cru que le travail lui manquait. Mais il voulait reprendre le temps perdu avec son monde. Maintenant qu’il entre ici, on n’a plus à se poser de questions. Il serait fier et c’est tout ce qui compte », conclut Éric Lacroix.