Dans la très grande majorité des sports, il n’y a aucun avantage à vieillir. Ce qu’on gagne en expérience, on le perd en vitesse ou en capacité de récupération. Tout devient plus difficile lorsque ce corps qui nous avait permis d’atteindre l’excellence de notre sport nous lâche et peine à fournir l’énergie des belles années. Pourtant, il y a de ces magnifiques histoires qui nous remontent le moral. Laissez-moi vous en raconter une. Celle de Bernard Lagat, véritable légende du demi-fond en course à pied.

Lagat est un coureur américain né au Kenya il y a 40 ans. C’est en 2004 que nos voisins du sud ont accepté de lui donner la citoyenneté américaine. Difficile de ne pas accueillir favorablement une demande émanant de ce grand coureur titulaire de 13 médailles mondiales ou olympiques à lui seul depuis les Jeux olympiques de Sydney en 2000! Peu de coureurs peuvent se vanter de l’avoir devancé au fil d’arrivée d’une course.

Bernard LagatLe 14 février dernier, Lagat a ajouté une pierre à l’édifice déjà très haut de sa légende en fracassant le record du monde des maîtres du mille lors de la réunion de Millrose, à Manhattan.  Son chrono de 3:54.91 lui permettait de surpasser par plus de trois secondes la marque établie en 1994 par l’Irlandais Eamonn Coghlan.  Lagat n’a pas remporté la course, se contentant d’une quatrième position derrière des coureurs beaucoup plus jeunes, mais tous les réflecteurs étaient tournés vers lui si bien que c’est dans un quasi-anonymat que le jeune Américain de 25 ans Matthew Centrowitz fut proclamé vainqueur (3:51.35).

Ce qu’il y a d’extraordinaire avec l’exploit de Lagat, c’est qu’il est survenu alors que le coureur en était à une première course intérieure sur cette distance depuis 2010. Cette année-là, Lagat avait remporté la course de Millrose pour une huitième fois, ce qui lui permettait alors de surpasser les sept sacres de Coghlan. Mais depuis ce temps, une concession normale au vieillissement, Lagat s’était tourné vers les plus longues distances. En décembre dernier, lors de son quarantième anniversaire, les organisateurs de la mythique course américaine du mille eurent l’idée de l’inviter dans le but avouer de battre le record dans la catégorie des maîtres (40 ans et plus). Lagat affichait une forme phénoménale puisqu’il venait d’établir, une semaine plus tôt à Boston, une nouvelle marque au 3 000 mètres chez les maîtres (7:48.33).

Bernard Lagat

Voilà une belle histoire pour le type dans la quarantaine que je suis. Elle prouve que de bonnes choses peuvent survenir malgré le passage des années. Lagatt n’est pas le seul « vieux » coureur à s’illustrer. Le plus récent vainqueur du marathon de Boston, Meb Keflezighi, avait 39 ans et Deena Kastor, 41 ans, a pulvérisé le record du monde du demi-marathon chez les maîtres récemment. Mais personne n’offre autant de compétition aux jeunots que Lagat! À preuve, en août 2014, il a remporté le Championnat américain du 5 000 mètres pour devancer un athlète de 27 ans. Lors des neuf dernières années, il a mis la main sur pas moins de douze titres aux États-Unis. À chaque fois, il a dû devancer des moins âgés que lui!

Lagat est un homme discret et humble. Pour expliquer ses succès, il vante le travail de son entraîneur de longue date, James Li, et de ses partenaires d’entraînement. Il explique également qu’il suit à la lettre les recommandations de son épouse, une diététicienne, en évitant la nourriture des fast food.

Pour conserver sa vitesse, il s’entraîne six jours par semaine avec intelligence en travaillant sur de courtes séquences mais intensément.  Grâce à sa vaste expérience, il est  également devenu un des meilleurs tacticiens en course du demi-fond.  Il ne peut plus se placer devant le peloton en souhaitant que les coureurs derrière lui soient incapables de le rejoindre. Désormais, il se positionne en embuscade et attend le bon moment pour exploser avec cette puissance d’accélération qui est encore sa marque de commerce.

Chose certaine, on n’a pas fini d’entendre parler de  Bernard Lagat puisqu’il a la ferme intention de réécrire le livre des records chez les maîtres aux 1 500 mètres et 5 000 mètres. D’ailleurs cette dernière distance est sa priorité déclarée lors du 15e Championnat du monde d’athlétisme, à Pékin, en août prochain. Il est également possible qu’il fasse ses débuts sur 10 000 mètres cette année. Si 2015 se déroule comme il l’entend, Lagat participera ensuite au Championnat du monde en salle, en 2016, à Portland. Enfin, il avoue avoir les Jeux olympiques de Rio dans sa ligne de mire. À l’âge de 41 ans, il participerait alors à ses cinquièmes jeux. Un exploit hors du commun en athlétisme.

Une fois rendu là, qui sait ce qui pourrait arriver. Sa condition physique jumelée à son expérience de course pourrait faire de lui un des plus vieux coureurs à grimper sur un podium olympique.

Avec un tel exemple, c’est beaucoup plus facile d’accepter de vieillir!