MONTRÉAL – L’injuste cancer de Maxence Parrot, les immenses épreuves de Laurence Vincent Lapointe, la fabuleuse ascension du décathlète Damian Warner et les aspirations gigantesques de Laurent Duvernay-Tardif, ne voilà qu’un aperçu des situations dans lesquelles le préparateur mental Jean-François Ménard a joué un rôle clé. 

Alors que la santé mentale est enfin devenue une préoccupation, il va de soi que les athlètes de haut niveau se tournent vers des ressources mentales pour les appuyer dans la quête de leurs objectifs. 

Pour la plupart des éditions olympiques, Ménard travaille donc auprès d’une dizaine d’athlètes de plusieurs disciplines. Déjà que son travail est complexe, il a été grandement affecté depuis le début de la pandémie.  Pas évident de rassurer, motiver ou relancer un athlète pour la plus grande compétition sportive internationale... à distance. 

« C’est devenu très important que je les prépare à ce qu’ils soient 100% indépendants. J’ai déjà une approche de fournir des outils pour qu’ils n’aient pas besoin de m’appeler en panique. [...] Ça n’a pas été facile parce que je les tiens tellement à cœur, mais leurs résultats ont été extraordinaires et ce fut un gros soulagement. Ils étaient prêts à danser avec la pression », a expliqué Ménard qui est également l’auteur du livre L’olympien au bureau

La stratégie la plus logique pour pallier à son absence était de se tourner vers les entraîneurs respectifs de ses athlètes. 

« J’ai fait beaucoup de travail avec eux et je sais qu’ils ont fait des interventions importantes de nature psychologique. Par exemple, l’entraîneur de Laurence Vincent Lapointe a été fantastique, il a vraiment eu une présence rassurante et Laurence a dit qu’il a été un grand facteur positif. Je l’avais préparé à devoir être aussi un peu son préparateur mental », a-t-il exposé. 

Ménard aurait le droit de cacher cette information. Mais, selon ses dires, il n’a pas eu de « crise » à gérer durant les JO, seulement une petite. C’est survenu quand un(e) athlète était incapable d’avaler son déjeuner le jour de sa compétition. 

En plein souper avec sa famille au Québec, Ménard a trouvé les bons mots pour lui changer les idées. 

« J’ai réussi à faire rire cet athlète et on a parlé de sujets qui n’ont rien à voir avec les Jeux olympiques. C’est le côté « artistique » du métier que tu n’apprends pas dans les livres. Je connaissais très bien cette personne donc j’ai su quoi dire au bon moment », a raconté Ménard. 

Au niveau personnel, puisque la pandémie a provoqué le report des Jeux olympiques de Tokyo en 2021, il n’existe qu’un minuscule répit de 180 jours entre leur conclusion et le déclenchement de ceux d’hiver à Pékin, dans moins de deux mois, le 4 février 2022. La pause la plus courte en près de 30 ans. 

Ménard se sent donc un peu comme les grenouilles dans le jeu de fêtes foraines dont le but était de se dépêcher à assommer leur tête avec un marteau pour les enfoncer dans l’eau. 

« Cet été, je me suis permis de prendre une semaine de vacances avec ma famille. J’ai eu l’impression que j’ai sorti ma tête de l’eau juste pour dire. Pas au complet, disons jusqu’au menton, et que quelqu’un me l’a repoussée dans l’eau en disant ‘Let’s go, les Jeux olympiques d’hiver s’en viennent’. En toute transparence, ce n’est pas évident », a admis Ménard. 

« Mais le fait que les athlètes puissent au moins participer aux JO, en contexte de pandémie, c’est ma motivation. Il y a tellement de distractions, tellement de choses qui sont différentes présentement. Les impacts sont psychologiques et émotionnels, ça ne passe pas du côté physique, technique ou tactique, c’est très mental », a-t-il ajouté. 

Quoi retenir de Laurence Vincent Lapointe, Damian Warner, Maxence Parrot, LDT...

Laurence Vincent Lapointe était sans doute au sommet, ou tout près, des athlètes soulagés de la tenue des Jeux olympiques de Tokyo. Les accusations de dopage desquelles elle a été blanchie ont provoqué une multitude d’embûches ce qui fait encore plus briller les deux médailles à son cou. 

« L’histoire de Laurence est exceptionnelle, tu peux presque faire un film avec son parcours. Elle n’a pas fait de compétition pendant deux ans ! [...] C’était tellement facile de s’inquiéter pour quelqu’un dans sa situation. Elle est habituée de dominer son sport et elle ne savait si elle allait retrouver la forme. Tout le crédit lui revient parce qu’elle a été extraordinaire pour respecter le plan », a commenté Ménard qui a également dû la préparer à retrouver sa concentration pour l’épreuve à 2 qui suivait très rapidement sa médaille libératrice en solo. 

Catherine Beauchemin-Pinard n’avait pas autant fait parler d’elle avant d’arriver à Tokyo, mais la judoka québécoise a épaté en route vers une médaille de bronze. 

« C’est un exemple parfait d’une athlète tellement, mais tellement acharnée.  Elle avait perdu son premier combat aux JO de Rio en 2016 et ç’avait vraiment été un coup de couteau au cœur. Si tu ne regardes que ses résultats au niveau international, sa médaille peut être une surprise, mais pas pour ceux qui la connaissent bien. Pour ceux qui lisent ceci, ça démontre que ça finit par payer d’avoir une éthique de travail exemplaire », a vanté Ménard. 

Ménard demeure émerveillé par l’histoire du décathlète Damian Warner qui a savouré l’or à Tokyo. Ménard a eu la brillante idée de penser à un concept mental pour aider Warner à faire la transition psychologique entre chacune des épreuves. 

« On parle de 10 sports en 2 jours! Ce sont des journées qui sont tellement longues et c’est très important de ne pas se laisser trop affecter par les expériences très négatives ou même celles très positives pour ne pas être déstabilisé ensuite. Si tu viens de « torcher » tout le monde avec un 100 M en 10,12, c’est normal d’être très excité, mais tu dois effectuer l’épreuve très technique du saut en longueur moins d’une heure après. On a pensé à l’idée qu’il n’avait plus le droit de penser à l’épreuve qu’il vient de compléter quand il retire les chaussures de cette épreuve. Je l’ai défié de garder ses chaussures une ou deux minutes de plus s’il n’était pas prêt à se concentrer sur la prochaine épreuve », a exposé Ménard qui décrit Warner comme une personne encore plus exceptionnelle que l’athlète qu’il est. 

Si ces athlètes ont fait vivre de grandes émotions à Ménard, rien n’égalera la résilience du planchiste Maxence Parrot qui a surmonté un cancer tout en redevenant un maître de sa discipline.  

Maxence Parrot« J’ai encore de la misère à en parler aujourd’hui. Quel être humain, lui aussi! Il a gagné les X Games à peine quelques mois après son dernier traitement de chimiothérapie. Je pleurais quand il m’a annoncé la nouvelle de son cancer et je ne savais pas quoi faire. Il m’a regardé et il m’a dit ‘Je n’ai pas fini de vivre et je n’ai pas fini ma carrière de snowboard. Tu m’as aidé pour les X Games et les Jeux olympiques. Là, mon défi, c’est de gagner cette bataille contre le cancer. Je veux que tu m’enseignes de la même façon, mais pour un défi différent‘ », s’est souvenu Ménard avec admiration. 

« J’ai fait le voyage en Norvège et c’est l’un des moments dont je vais me souvenir toute ma vie. Ce sont des moments qui justifient pourquoi je fais mon travail et qui me disent à quel point je privilégié d’accompagner ces athlètes », a-t-il enchaîné. 

Ménard conseille également des athlètes professionnels comme Laurent Duvernay-Tardif. On déduit qu’un préparateur mental était loin d’être superflu à ses côtés avec autant de grands projets sur la table. 

« Tous les athlètes qui arrivent aux Jeux olympiques ou au Super Bowl sont bien préparés physiquement et techniquement. Ceux qui obtiennent les meilleures performances, ce sont ceux qui sont prêts pour gérer l’anxiété et la pression du moment. On se souvient que Laurent a écopé de punitions au Super Bowl et c’est tellement facile de tomber dans un piège négatif du style 'Euh, je vais coûter le Super Bowl à mon équipe, on va me renvoyer au Québec...'. En plein match, tu n’as pas une semaine pour t’en remettre. Laurent état bien équipé pour le faire, on avait travaillé sur plusieurs techniques pour lui permettre de rebondir d’échecs et il a connu une fin de match extraordinaire », a décrit Ménard. 

« J’ai toujours dit que le cerveau, c’est le moteur de la performance. Tu peux être la personne la plus brillante au monde ou la personne la plus éduquée, mais si tu n’es pas capable de t’autogérer dans des moments extrêmement cruciaux, ton intelligence ne vaut pas grand-chose », a noté le préparateur mental. 

Ménard se réjouit que le parcours de LDT et celui d’autres grands athlètes comme Tessa Virtue et Scott Moir ou Mikaël Kingsbury permettent d’anéantir les vieux préjugés selon lesquels la préparation mentale démontrait une faiblesse. 

Maxence Parrot et Jean-François Ménard