TORONTO – Dès la première écoute, un petit je-ne-sais-quoi dans la voix de Herbie Kuhn titille l’oreille et pique la curiosité. Les accents germaniques ne sont pas passés au broyeur. Les « r » hispanophones sont parfaitement roulés. Quand l’annonceur-maison des Raptors de Toronto prend sa voix du dimanche pour annoncer dans un français impeccable l’entrée dans le match de Serge Ibaka, on se dit qu’on a affaire à un personnage particulier. 

De courtes recherches confirment cette première impression. Fils d’un père allemand et d’une mère guyanaise, Kuhn, la voix officielle des Raptors depuis leur entrée dans la NBA, est un moulin à paroles polyglotte qui – surprise! – a vu naître cette carrière insoupçonnée lors de son passage de deux ans au cégep Vanier de Montréal de 1992 à 1994.

« À l’école secondaire, je faisais beaucoup de théâtre et les gens me disaient souvent qu’ils aimaient ma voix, racontait passionnément le souriant moustachu avant un récent match contre les Bulls de Chicago au Scotiabank Arena. On me disait que je devrais penser faire de la radio. J’ai ensuite travaillé dans un supermarché pendant quelques années et c’est moi qui avait le mandat d’annoncer les spéciaux dans les haut-parleurs. Le plus drôle, c’est que mes messages étaient enregistrés et, je vous jure que c’est vrai, il m’arrivait d’entendre des compliments sur ma voix pendant que je me promenais dans les allées! À force de se le faire répéter, on finit par croire qu’il y a peut-être quelque chose à faire avec ça. »

Au début de la vingtaine, cherchant à donner un sens à sa vie, Kuhn entend parler d’une particularité du système d’éducation québécois qui permet de faire un cours pré-universitaire en deux ans. Il remplit un formulaire d’admission en Langues étrangères et littérature à Vanier et reçoit une réponse positive quelques mois plus tard. 

« Au début de ma première année, j’étais assis dans le complexe sportif quand un homme du nom de Bruce Ruiter s’est arrêté devant moi. Il m’avait entendu parler, m’a dit que j’avais une très belle voix et m’a demandé si je connaissais quoi que ce soit au football. Je lui ai dit oui et il m’a répondu qu’il y avait un match le samedi suivant sur le terrain juste derrière l’école et qu’il avait besoin d’un annonceur. Je n’avais jamais fait ça et je n’avais aucune idée comment faire, mais il m’a dit qu’il me donnerait 20$ et j’ai accepté. »

Juché sur le toit d’une vieille remise entre le banc des Cheetahs et celui des Spartiates du Vieux-Montréal, après avoir souligné un touché de l’équipe locale comme si sa vie en dépendait, Kuhn a une épiphanie.

« Les joueurs étaient gonflés à bloc, les partisans sautaient partout. J’ai regardé mon micro, j’ai regardé autour de moi et j’ai fait le calcul suivant : j’ai crié, ils crient...et on me paye pour faire ça! À ce moment précis, une lumière s'est allumée. Je ne savais pas comment exactement, mais j’ai compris que je pourrais faire ça de ma vie. »

L’année suivante, le mandat de Kuhn s’est élargi aux équipes de basketball du cégep.  

Un CV sur VHS

Toronto s’est vue accorder une franchise de la NBA en 1993, au moment où elle se préparait à être la ville hôtesse du Championnat du monde de la Fédération internationale de basketball (FIBA). Kuhn a postulé pour – et obtenu - l’un des douze postes d’annonceur-maison.

« Laisse-moi te dire que je m’étais préparé comme ce n’est pas possible pour ces Mondiaux. Espagne, Porto Rico, Argentine, Corée, Croatie... J’avais fait mes recherches, j’avais trouvé des gens qui parlaient chacune de ces langues pour m’assurer de prononcer les noms de la bonne façon. Mon premier match opposait la Croatie à Cuba au Maple Leaf Garden. Imaginez le rêve pour un petit gars de Toronto! »

À la fin de la première journée du tournoi, un annonceur a été congédié et tous ses matchs ont été ajoutés à l’horaire de Kuhn qui, dix jours plus tard, avait prononcé le nom des joueurs de 13 des 16 pays inscrits à la compétition. La cassette VHS sur laquelle il a compilé son travail allait, un an plus tard, être son ticket vers la NBA.

Selon une recherche absolument pas scientifique effectuée sur Wikipedia, 228 joueurs, de Quincy Acy à Sharone Wright, ont porté l’uniforme des Raptors au cours des 24 dernières années. Tous sans exception ont entendu leur nom gueulé par Herbie Kuhn. Il était à Halifax pour le premier match préparatoire de l’histoire de la concession, puis au SkyDome pour son baptême officiel en NBA. La légende veut qu’il n’ait pas raté un seul rendez-vous au fil de son impressionnante carrière.

« Mais c’est faux, corrige-t-il avec empressement. J’en ai probablement raté une vingtaine depuis le début. L’an dernier, j’ai attrapé la pire grippe de ma vie en février et j’ai dû déclarer forfait pour quatre ou cinq matchs, c’était terrible! Alors ne croyez pas tout ce que vous entendez! J’ai manqué des matchs, mais j’en ai aussi fait beaucoup, probablement plus de 1200. Et cette année, on en ajoutera plusieurs autres! »

Le basket, une religion

L’histoire de Herbie Kuhn n’a pas fini de vous surprendre : depuis 23 ans, il est aussi l’aumônier des Raptors. Avant chaque match local, il rassemble les joueurs volontaires dans un espace clos de l’amphithéâtre et propage la parole de Dieu. À l’occasion, il se rend aussi au centre d’entraînement de l’équipe pour étudier les messages de la Bible et examiner leur signification dans nos vies contemporaines.

« On parle des vrais défis de la vie, on s’encourage, on apprend et on prie les uns pour les autres », affirme celui qui est aussi le messager du Seigneur auprès des joueurs des Argonauts de Toronto et de l’équipe d’athlétisme de l’Université York.

Les doubles fonctions de Kuhn lui ont permis de bâtir au fil des ans des relations indéfectibles avec certains joueurs.

« Del Curry et sa femme Sonya avaient l’habitude de venir à la messe avec ma femme Stephanie et moi. D’ailleurs, Seth et Stephen Curry, qui étaient hauts comme trois pommes quand leur père jouait ici, sont deux jeunes hommes formidables. »

Kuhn aimerait être à son poste pour célébrer les Noces d’argent des Raptors en 2020.

« Je ne sais pas quels sont les plans des Raptors, mais je n’ai pas l’intention d’accrocher mon micro prochainement. Tant que Dieu me donnera une voix en santé, je crois que je vais continuer de le faire. Et pour le reste, dis-toi que les pasteurs ne prennent jamais leur retraite! »