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RÉSULTATS

Danielle Bouchard, la pionnière qui sort de l'ombre

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Quand Danielle Bouchard est devenue en juillet 2008 la première boxeuse canadienne à livrer un combat de championnat du monde, l'événement n'avait pas exactement fait les manchettes.

Il faut dire que dans les heures qui précédaient son duel contre la championne des poids super-coq de la WBA Marcela Acuna à Buenos Aires, en Argentine, les Canadiens s'étaient assurés de monopoliser l'attention de la presse sportive en annonçant l'embauche de Georges Laraque.

Seul le vénérable chroniqueur boxe du Journal de Montréal Daniel Cloutier daignera consacrer un article avec citations au sujet de la défaite de Bouchard par décision unanime des juges. Il s'agira d'ailleurs du dernier choc professionnel de la Jonquiéroise alors âgée de 40 ans.

Heureusement, les temps ont bien changé depuis. Sous l'impulsion de Marie-Ève Dicaire, la boxe féminine a connu un essor fulgurant dans le marché québécois, si bien que la plupart des médias ne manqueront rien de l'affrontement opposant Kim Clavel à la championne des mi-mouches du WBC Yesenia Gomez organisé vendredi soir en finale d'un événement de Groupe Yvon Michel au Cabaret du Casino de Montréal. Le gala sera aussi présenté en direct à la télévision à la carte.

Et un peu plus de quatorze ans après l'amère déception vécue en Argentine, Bouchard aura une nouvelle occasion de vivre l'ivresse d'une conquête d'un championnat du monde, étant donné que c'est elle qui a conduit Clavel jusque-là. Portrait d'une pionnière qui sort enfin de l'ombre.

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À l'origine, rien ne prédestinait Danielle Bouchard à devenir entraîneuse. Sa carrière de boxeuse amateur donne l'impression d'être une suite de rendez-vous manqués : la boxe féminine est devenue un sport olympique qu'en 2012 et elle trop veille de 2 mois pour avoir le droit de se battre lors de la 1re édition des Championnats du monde à Scranton, en Pennsylvanie, en 2001.

N'ayant plus rien à retirer de la boxe amateur, elle est passée chez les professionnelles en 2002, mais les attentes étaient résolument modestes. « Je ne suis pas devenue championne du monde et je n'avais pas le temps de bâtir ma carrière pour le devenir, a confié Bouchard au cours d'un long et généreux entretien avec RDS.ca la semaine dernière. Ce n'était vraiment pas évident...

« Il n'y avait certainement pas l'engouement qu'il y a présentement. Les jeunes ont maintenant de beaux modèles, ce que nous n'avions pas à l'époque, à l'exception de Christy Martin. »

À vrai dire, c'est Bouchard elle-même qui était le modèle des boxeuses qui l'entouraient. C'est sa partenaire d'entraînement Nathalie Forget qui a été la première à vouloir obtenir ses conseils.

« Tu ne peux pas t'improviser entraîneuse de même. C'est Nathalie qui lui avait demandé d'être une de ses coachs, mais [Danielle] avait d'abord répondu qu'elle allait juste lui donner un coup de main, se rappelle le conjoint de Bouchard et entraîneur de réputation internationale Stéphan Laouche. Vicky Pelletier s'est par la suite greffée à ça, Ariane Fortin est venue faire des tours. »

Les succès s'accumulent et de fil en aiguille, Bouchard réalisera son rêve olympique aux Jeux de Rio en 2016 aux côtés de Mandy Bujold et Fortin. « J'étais la seule femme entraîneuse à part entière, explique-t-elle. Je ne voulais pas être simplement dans le coin et être celle qui donne de l'eau. Je voulais être dans le ring, être celle qui a la responsabilité. Ç'a été un très beau thrill. »

« Ce qui est surtout impressionnant, c'est qu'elle a un job à temps plein d'enseignante et elle est très impliquée là-dedans également, renchérit Larouche. Sa planification, son organisation et sa structure de travail avec tous ses athlètes font en sorte qu'elle finit toujours par avoir du succès. Elle a su développer de belles relations avec ses athlètes empreintes de respect et de justice. »

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Le travail dans les rangs amateurs et professionnels est fondamentalement le même, mais c'est vraiment lorsque les boxeurs connaissent du succès chez les pros que les entraîneurs reçoivent enfin de l'attention. Cela a été le cas pour Larouche. Cela l'a également été pour Marc Ramsay.

Ce moment semble maintenant venu pour Bouchard, car Clavel pourrait devenir la deuxième Québécoise après Dicaire à s'emparer d'une ceinture mondiale vendredi soir. Cela s'avèrerait l'apothéose d'une association de plus de onze ans qui remonte évidemment aux rangs amateurs.

« Je l'ai rencontrée à un camp d'entraînement de l'équipe nationale après avoir remporté mon premier championnat canadien à 18 ans, raconte Clavel. Avec elle, j'ai vu plein de choses que je n'avais jamais vues auparavant dans mon patelin à Joliette. Je me demandais pourquoi je n'avais jamais vu tout cela et c'est à ce moment-là que je lui ai demandé si elle voulait me coacher.

« Je n'enlève rien à mon ancien entraîneur Michel Morin, qui est un très bon entraîneur qui m'a donné confiance, mais Danielle m'a donné des ailes. Elle m'a montré c'est quoi être une athlète de haut niveau : comment penser, réfléchir et devenir meilleure. C'est une vraie pionnière. »

Sans chercher à corriger sa protégée, Bouchard refuse de s'accorder tout le mérite. « Quand j'ai décidé de devenir entraîneuse, j'avais fait ma présentation au sujet de mon équipe, dit-elle. C'est extrêmement important d'entourer les athlètes de gens en qui ils ont vraiment confiance.

« Je pense à notre préparateur physique Fred [Laberge], à Stéphan, le mentor de tout le monde, à [mon frère] Pierre, qui est là depuis le début, à Sara [Kali], mon bras droit. Tout le monde prend soin d'un peu tout le monde, tout le monde s'entraide. C'est pour ça que ça marche! »

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Ce ne sont pas tous les athlètes de pointe qui réussissent une telle transition, mais Bouchard avait deux atouts pour connaître du succès : des connaissances et l'art de les communiquer.

« Elle a vu tout le développement des Éric Lucas, Lucian Bute, Leonard Dorin et Jean Pascal. Elle a vu beaucoup de choses à travers le monde et avait des connaissances qui dormaient en elle, énumère Larouche. Mais c'est surtout une grande communicatrice et ça joue un rôle majeur.

« Le respect qu'elle témoigne et son habileté à communiquer font en sorte que ses athlètes sont motivées et obtiennent ensuite des résultats. Elle s'occupe de plusieurs choses : structure, calendrier, horaire et planification des entraînements et des combats. C'est naturel pour elle. »

Regrette-t-elle d'être passée à côté de quelque chose? De ne pas avoir pu récolter le fruit de son dur labeur?

« Au début, il fallait être visionnaire, il fallait vraiment y croire, concède Bouchard. [La lutteuse] Martine [Dugrenier] et moi nous inspirions du hockey féminin à l'époque, ça nous donnait beaucoup d'espoir même si nous savions que c'était un processus d'environ 20 ans avant que nos sports apparaissent aux Jeux. Mais reste que nous ne sommes pas loin de la parité. Il nous manque que des rounds de 3 minutes et des combats de championnat du monde de 12 rounds.

« Je n'ai peut-être pas eu la chance de participer aux Jeux, mais mon parcours d'entraîneuse m'a permis de réaliser mes rêves d'athlète. Et je peux affirmer que c'est tout aussi gratifiant. Je n'ai jamais cessé d'y croire : je me disais que le futur serait beau pour celles qui allaient y arriver. »