Les désillusions de Caroline Veyre
Ce qui aurait pu être une séparation sans histoire s'est finalement transformée en procès sur la place publique. La fin de l'association entre Caroline Veyre et Groupe Yvon Michel annoncée il y a une dizaine de jours a ainsi permis de lever le voile sur les désillusions vécues par une athlète qui s'est butée à la dure réalité d'une industrie souvent cruelle. Retour sur l'affaire en cinq temps.
Un changement de gymnase nécessaire
La liste des doléances est longue, mais deux éléments ressortent : le temps et l'argent. Cela dit, c'est la décision de vouloir prendre ses distances de son entraîneuse Danielle Bouchard, révélée par le balado spécialisé 120 secondes, qui a mis la puce à l'oreille des journalistes qui couvent la scène locale. Veyre et sa gérante Katia Banel avaient en effet décidé de mettre le cap sur Las Vegas pour s'entraîner sous la supervision du réputé Kay Koroma afin de savoir si une alliance à plus long terme était envisageable. Mais dès le départ, un retour en arrière était inimaginable.
« Danielle est une très bonne coach. C'est une femme qui comprend qu'il y a des émotions qui finissent par entrer en ligne de compte, a expliqué Banel en entrevue téléphonique avec RDS.ca un peu plus tôt cette semaine. Caro avait cependant fait le tour des partenaires d'entraînement au gym. C'étaient souvent des boxeuses des rangs amateurs qui n'ont rien à voir avec les pros...
« Caro mettait souvent les gants avec Kim Clavel, mais comme elles ne sont pas du tout dans la même catégorie de poids, elle devait retenir ses coups. Si tu te contrôles tout le temps pendant tes séances de sparring, cela va se refléter dans tes combats. C'était exactement la même chose pour Mathieu Germain lorsqu'il mettait les gants avec Caro. Cela lui permettait de bouger et de rester actif, mais quand tu prends le temps d'y réfléchir, cela n'a simplement pas de bon sens. »
« À partir du moment où j'ai appris qu'elle partait [du gymnase de Bouchard et de son conjoint Stéphan Larouche], je n'avais plus d'intérêt, a répondu le promoteur Yvon Michel, mardi dernier, en marge d'une conférence de presse faisant la promotion des galas qu'il présentera les 4 avril et 16 mai au Cabaret du Casino de Montréal. J'aurais pu insister, mais dans les circonstances, je ne trouvais pas que cela valait la peine de se battre là-dessus. J'aime beaucoup Caroline et je crois toujours qu'elle a le talent pour devenir championne du monde un jour. Nous avions un plan, mais si elle [et sa gérante] pensent qu'elles auront un meilleur plan ailleurs, alors tant mieux. »
L'absence du luxe du temps
Âgée 35 ans, Veyre n'a malheureusement plus le luxe du temps. Passée chez les professionnelles après les Jeux olympiques de Tokyo qui ont été organisés en 2021, la Montréalaise née en France espérait livrer des combats significatifs tôt dans sa carrière et ainsi ne pas avoir à faire ses classes trop longtemps. Autant l'opposition a été intéressante à ses premières sorties, autant elle a été absente récemment. À son dernier duel en mars, sa rivale argentine Agustina Marisa Belen Rojas « surfait » sur une série de quatre revers. Elle en a évidemment subi un cinquième contre Veyre.
« Caroline possède énormément d'expérience dans les rangs amateurs (elle a notamment été médaillée d'or aux Jeux panaméricains en 2015 en plus d'être sacrée championne canadienne à 4 reprises, NDLR) et on ne peut pas la mettre devant quelqu'un qui a énormément moins d'expérience, a vivement déploré Banel. Il fallait la faire progresser rapidement et Yvon le savait bien lorsqu'il a décidé de la mettre sous contrat. C'est comme s'il n'avait pas de plan d'action. »
« Ç'a toujours bien été avec Caroline, mais il faut savoir qu'elle voulait uniquement se battre à 126 livres. Pas à 130 ou encore 122, a nuancé Michel. Il n'y a qu'une seule championne du monde à 126 livres (Amanda Serrano, qui possède les titres de la WBA, de l'IBF et de la WBO. Celui du WBC est vacant, NDRL). Il faut trouver le moyen de devenir incontournable et ça prend du temps. J'avais parlé de 2025 [pour un combat de championnat] mais ça semblait trop loin. »
Des moyens limités
Michel ne s'est pas défilé mardi : son organisation est en reconstruction et sans champion du monde comme Jean Pascal et Adonis Stevenson à une certaine époque, ses moyens sont limités. Le promoteur bénéficie donc d'un budget excessivement restreint pour meubler ses cartes en attendant de trouver la perle rare qui intéressera les amateurs et les réseaux de télévision. D'ici là, les boxeurs et boxeuses sous contrat doivent inévitablement revoir leurs attentes à la baisse.
Michel a également souligné que Veyre n'avait pas atteint ses objectifs de ventes de billets dans la dernière année, un phénomène plutôt rare selon ses dires. Banel ne l'a pas nié, au contraire, mais a rappelé que le vétéran promoteur savait ce qu'il faisait lorsqu'il a embauché sa protégée.
« J'envoyais des courriels à Danielle et Yvon et Danielle approuvait rapidement le choix des adversaires proposées. Yvon, lui, ne répondait pas. Dans un de ses derniers combats, il y a huit adversaires qui ont refusé parce que les bourses n'étaient pas assez hautes. Elles savent à qui elles ont affaire... avec des bourses aussi faibles, les adversaires le sont également. Et comme le dernier gala n'a pas été diffusé, je ne pouvais pas prendre l'argent d'un éventuel commanditaire pour aller chercher une adversaire de meilleure qualité. Je n'avais pas de visibilité à proposer. »
« Je ne m'occupe pas du matchmaking, je le fais juste pour les combats principaux. [Pour la sous-carte] je laisse ça à l'agent et au matchmaker, a rétorqué Michel. Mais ce que Vincent Morin (l'apparieur de Groupe Yvon Michel, NDLR) m'a dit, c'est qu'il se faisait refuser beaucoup plus d'adversaires qu'il y en avait d'acceptées. Je n'en avais jamais entendu parler avant aujourd'hui. Je n'ai pas reçu de plainte de leur part, de demande de rencontre pour discuter de la situation. »
La ceinture de la discorde
Si Michel n'avait visiblement pas les moyens d'offrir des adversaires d'envergure à Veyre, il n'en avait pas non plus pour lui permettre de mettre la main sur des ceintures mineures, généralement la porte d'entrée des classements mondiaux. Il faut savoir que les frais de sanction pour ces titres sont particulièrement élevés : environ 12 000 $ pour une ceinture convoitée par la Montréalaise.
Mais ce qui semble le plus profondément irriter Banel, c'est que toute l'organisation n'en avait que pour Clavel. La gérante ne se cache pas pour continuellement jouer le jeu des comparaisons.
« Il ne semblait pas y avoir [de possibilité de se battre pour un] titre mineur pour personne, alors que Clavel s'est battue pour un titre mineur immédiatement après son combat [d'unification perdu] contre [Yesica Nery] Plata, a-t-elle souligné. Yvon a énormément d'expérience, mais il ne peut pas travailler autour d'une seule boxeuse. Cela n'a pas de bon sens de nous demander d'aller chercher de l'argent pour obtenir un titre mineur. À quoi bon avoir un promoteur alors?
« Si Kim est l'ancrage qui fait tenir le bateau, c'est bien correct pour elle, mais il faut penser à tous les boxeurs [de l'organisation]. Tous les boxeurs devraient en être la fondation. Yvon est un promoteur qui a énormément d'expérience, mais il ne peut pas travailler qu'avec une boxeuse. »
« Les ceintures, c'est le fun pour ta promotion personnelle, mais il faut aller les chercher quand ç'aura un impact sur ta position au classement, a répliqué Michel. Caroline est déjà classée cinquième [à l'IBF]. Je n'étais pas prêt à investir si tôt. Ce n'était vraiment pas le bon moment...
« Après, si Katia était prête à investir de son côté, parce qu'elle croit en sa boxeuse, je n'ai aucun problème avec ça. C'est d'ailleurs ce qu'elle nous avait dit dans une rencontre de planification en janvier dernier. J'étais prêt à m'arranger pour leur dénicher une ceinture, mais ça s'arrêtait là. »
Un énorme défi à relever
Veyre n'est pas la première ni la dernière athlète à être en brouille avec son promoteur, mais la marche vers le sommet sera extrêmement compliquée sans machine, aussi en difficulté soit-elle, pour l'épauler. Cela est d'autant plus vrai depuis qu'un nombre limité de joueurs ont assuré leur mainmise sur le sport ces dernières années. La vie est encore plus ardue pour les indépendants.
Et malgré tout son talent, Veyre n'a pas le charisme d'une Clavel ou encore les ressources d'un Germain pour arriver à ses fins. Même l'ennemi juré de Michel, Camille Estephan, a vite fermé la porte à un potentiel partenariat avec l'ex-Olympienne. Finalement, il est possible de compter sur les doigts d'une seule main les pugilistes d'ici qui ont connu une fructueuse carrière à l'étranger.
« J'ai énormément de bâtons dans les roues, mais je suis prête à relever le défi, a conclu Banel. Je sais que certaines personnes attendent avec impatience de voir si nous allons nous planter, mais je me sens bien placée (elle représente aussi les participants aux Jeux de Paris Tammara Thibeault et Wyatt Sanford). Tout le monde oublie que les athlètes doivent avoir du fun là-dedans. C'est important que les gens se sentent bien quand ils ou elles montent dans le ring. »