Lors de la finale du 800 mètres des Jeux olympiques de Rio, en 2016, la Canadienne Melissa Bishop a réalisé la course de sa vie. Vice-championne sur la distance lors des Championnats du monde de Pékin présentés l’année précédente, Bishop avait malgré tout dû se contenter de la quatrième position à l’arrivée sur la piste brésilienne.

Un vent d’indignation avait alors soufflé sur le stade. Tout comme les spectateurs, des millions de gens regardant la compétition à la télévision s’étaient déclarés indignés par le vol dont ils venaient d’être témoins.

Caster SemenyaPourquoi cette controverse? C’est que des gens mal intentionnés insinuaient que Bishop s’était fait devancer par trois hommes! En effet, Caster Semenya (Afrique du Sud), Francine Niyonsaba (Burundi) et Margaret Wambul (Kenya) sont des femmes hyperandrogènes. Leurs corps produisent naturellement beaucoup de testostérone et leur donnent une allure masculine. Mâchoire carrée, musculature imposante, absence de poitrine et acné importante sont certaines des caractéristiques physiques qui peuvent se manifester et qui ont fait dire à des milliers d’amateurs que Bishop était la véritable gagnante.

La Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) avait promis de se pencher sur la question. L’hyperandrogénie était un phénomène déjà connu, mais cette finale du 800 mètres présentée sur la plus grande des scènes sportives avait mis au jour le sourd malaise qui minait l’athlétisme. Devait-on laisser à ces femmes hyperandrogènes  le droit de compétitionner avec les autres?

Une bataille juridique

Cette importante question a été examinée toute la semaine à Lausanne, en Suisse, par la plus haute instance sportive de la planète, le Tribunal arbitral du sport (TAS), qui s’est penché sur le recours de Semenya. La Sud-Africaine est devenue le visage de la lutte des « femmes-mâles » pour se faire reconnaître le droit à la différence et l’accès sans restrictions aux compétitions féminines. Semenya est une immense championne. Elle gagne toutes les courses auxquelles elle participe. En plus de deux titres olympiques, elle est la triple championne du monde du 800 mètres.

Caster SemenyaSemenya s’oppose aux nouvelles règles de l’IAAF qui entend imposer aux femmes possédant une valeur élevée d’hormones mâles et voulant participer à des épreuves allant du 400 mètres au mile, d’utiliser une médication pour faire chuter leur taux de testostérone. Une bataille d’experts a fait rage tout au long de la semaine à ce sujet et une décision formelle devrait être rendue d’ici au 26 mars. Il est important de régler cette question avant les Mondiaux d’athlétisme, au Qatar, en octobre prochain.

Le sujet est délicat et soulève les passions. De nombreux experts se sont affrontés lors des audiences à Lausanne pour présenter diverses preuves scientifiques. Les dirigeants de l’IAAF ont dit vouloir agir au nom de l’équité et de la justice, alors que la championne sud-africaine affirmait qu’on voulait simplement la ralentir et demandait à ce qu’on célèbre son don génétique plutôt que de la discriminer.

Si vous voulez mon avis, cela ressemble à une attaque ciblée de l’IAAF contre Semenya. Pourquoi les nouvelles règles envers les femmes hyperandrogènes ne s’appliquent qu’aux épreuves allant du 400 mètres au mile? Par un curieux hasard, ce sont celles auxquelles la Sud-Africaine est susceptible de prendre part.

Mais qu’en est-il des sprinteuses? Pourquoi les 100 et 200 mètres ne sont-ils pas touchés par cette nouvelle réglementation, alors que les femmes qui y participent ont besoin d’une explosion fulgurante et qu’un taux élevé de testostérones est indéniablement un avantage? Pourquoi les sauts en hauteur et en longueur de même que les épreuves de lancers du poids, disque et javelot sont exemptés?

Semenya est une célébrité en Afrique du Sud. Le gouvernement de ce pays et sa population se sont massivement rangés derrière elle. D’ailleurs, la ministre des sports, Tokozile Xasa, s’est rendue à Lausanne pour la soutenir. De son côté, la ministre responsable de la Condition féminine, Bathabile Dlamini, a déclaré que si on célébrait la force, les compétences athlétiques et la domination d’un joueur de rugby de deux mètres et 140 kilos, alors on devrait faire la même chose avec une femme comme Semenya.

L’IAAF donne l’impression de fixer des règles pour déterminer à quoi devrait ressembler le corps d’une femme et les limites de ce qu’elle devrait être capable de faire. C’est un enjeu sérieux, mais, surtout, un jeu dangereux qui risque de heurter la susceptibilité de nombreux groupes féministes.

Il est évident que les femmes hyperandrogènes ont un avantage face à leurs rivales. Mais doit-on les bannir ou chercher à les diminuer? Elles ne se dopent pas et ne sont pas des tricheuses. Elles possèdent un attribut inné et au sens strict de la médecine, elles sont des femmes. Il ne s’agit pas d’hommes qui décident de changer de sexe, mais plutôt de femmes dont l’organisme sécrète naturellement des hormones mâles! Peuvent-elles être traitées comme les autres athlètes ou si l’IAAF fait bien de légiférer pour un « dopage naturel »?

Toutes ces réponses appartiennent au TAS. Il est à souhaiter que ce haut tribunal arrive à une conclusion honnête et respectueuse pour tous les athlètes et qui servira de jurisprudence.