Handicap visuel : Oui, mais comment?

Matthieu Croteau-Daigle est un athlète de haut niveau en paracyclisme, plus précisément en tandem. « Parfois les gens me demandent si c’est moi qui pilote. Je leur réponds en riant que si la personne qui embarque avec moi tient à sa vie, c’est mieux que ce ne soit pas moi soit en avant! »  La condition visuelle de Matthieu découle d’une rétinite pigmentaire atypique. Une quoi Matt? « En gros, je ne vois plus dès que la lumière du jour s’estompe. Je vois légèrement de tandemproche, mais très flou et pour lire un texte, je dois utiliser ma visionneuse pour y arriver (appareil permettant d’agrandir considérablement les lettres). » Pour ceux qui aime les comparaisons, ce que nous voyons au loin à 120 mètres, Matthieu lui, le percevra à 6 mètres ou encore, quand il percutera l’obstacle devant lui! « Je ne vois pas vraiment de loin. Ça fait en sorte qu’il peut arriver des situations cocasses, comme rentrer dans un poteau quelconque! Je trouve ça drôle et avec mes amis on en rit. D’ailleurs ils me font souvent des jokes avec ça! » En 2013, alors qu’il roulait à vélo seul, il n’a pas ris du tout lorsqu’il a chuté lourdement. Résultat : Clavicule cassé et commotion cérébrale. « J’ai décidé à ce moment que c’était trop dangereux et c’est là que j’ai découvert le tandem.

 

Paracyclisme : Confiance aveugle?

Comme vous le savez, le tandem est un vélo double avec une personne en avant et une en arrière. Matthieu est jumelé avec un pilote qui lui prête ses yeux pour faire des compétitions partout sur la planète afin de se qualifier pour les Jeux Paralympiques. Pour ceux qui se questionne si Matthieu pédale et génère de la puissance tout comme son pilote, la réponse est définitivement oui! « Crois-moi si je ne pédale pas ou si je décide de me la couler douce, mon pilote le sait instantanément et il ne tarde pas à me le dire! Je pédale autant que lui, c’est un travail d’équipe qui doit être impeccable et où le synchronisme de l’effort doit être en symbiose totale. » Lors de mon entretien avec Matthieu, je lui ai demandé si c’était cliché d’utiliser l’expression confiance aveugle, mais il n’a pas hésité à me dire que c’était la meilleure façon de décrire son rôle sur le tandem. En paracyclisme, les compétitions se déroulent comme au Tour de France, c’est-à-dire en peloton. Évidemment, des chutes peuvent survenir et les vitesses varient de 45 à 70 km/h. Ils œuvrent sur des routes étroites, avec des dos d’âne, des descentes excessivement rapides, des routes en pavés, des virages à 180 degrés et j’en passe. Ce peloton est composé de deux paires de jambes par vélo et d’un athlète qui ne voit pratiquement pas. Je vous laisse imaginer la suite! En étant arrière, Matthieu doit faire entièrement confiance à son pilote. Il n’a pas d’autre choix. Il doit écouter les informations que son pilote lui donne, rester alerte et réagir le plus vite possible, même s’il ne sait pas toujours ce qui se passe. « Je dois toujours rester calme et me concentrer sur mon effort, même si parfois mes coudes ou mon guidon touchent une autre personne dans le peloton ou si j’entends un cycliste crier dans une langue étrangère! Si je ne fais pas confiance à mon pilote, je mets le tandem à risque et c’est là que ça peut être épeurant. »

 

Nutrition : Comment s’y retrouver à l’épicerie et en compétition?

Je ne vous apprends rien en vous disant que Matthieu ne possède pas de voiture, vous me direz que vous aussi vous n’en possédez pas, et alors? Un athlète doit se nourrir de façon optimale afin de performer à un niveau désiré, vous allez me dire que vous aussi, vous mangez bien et alors? Un athlète avec un handicap visuel au sein de l’équipe nationale du Canada sait que sa performance découle d’une alimentation qui frôle la perfection, un peu plus difficile de vous identifier ici n’est-ce pas!? Lorsqu’il prend l’autobus de la ville pour se rendre à l’épicerie avec sa canne et sa rétinite pigmentaire atypique, Matthieu m’explique visionneuseque ça lui prend le triple du temps pour faire l’épicerie. « C’est certain que c’est plus long, car je m’alimente sous les conseils de mon nutritionniste et je dois utiliser ma visionneuse sur pratiquement chacun des produits pour savoir le prix et la valeur nutritive. Parfois, je ne trouve pas l’article et je demande à un préposé. Je n’ai pas de problème à demander de l’aide, ça fait partie de mon quotidien. Après avoir passé à la caisse, je prends un taxi pour retourner à la maison avec tous mes sacs. Je vais toujours à la même épicerie, car c’est plus facile de m’y retrouver. » En compétition, il doit toujours être accompagné de son pilote ou un autre membre de l’équipe nationale pour lui indiquer ce qui se retrouve dans les buffets, l’emplacement des assiettes, des ustensiles ainsi que la table où il prendra son repas. « C’est certain que ça m’aide si quelqu’un est là pour mettre la bonne chose dans mon assiette et ça évite surtout bien des dégâts! Je ne peux pas faire la différence entre du riz ou du yogourt, alors ça peut goûter drôle! Je suis chanceux, j’ai toujours quelqu’un pour m’aider en compétition, il y a un bel esprit d’entraide. »

Entrainement : Comment voit-il ses données?

En cyclisme, les athlètes ont tous un appareil (Garmin dans ce cas-ci) qui indique la puissance, le rythme cardiaque, la vitesse, la cadence, le nombre de kilomètre etc. Matthieu n’a pas toujours la possibilité de s’entrainer en tandem avec son pilote puisqu’ils habitent dans des villes différentes. Cela fait en sorte qu’il doit souvent se débrouiller seul chez lui. Son entraineur lui envoi le type d’entrainement à faire par courriel. En voici un exemple : 6 fois 2m30 avec 2 minutes à 100 RPM (RPM : rythme par minute) et 30 secondes de sprint. Déjà, ça lui prendra un moment pour lire ce courriel avec sa visionneuse. Ensuite, Matthieu a plus d’un tour dans son sac en ce qui attrait à sa façon de fonctionner! « Dans un premier temps, je mets ma visionneuse sur mon Garmin pour regarder les RPM. Pour le chronométrage des efforts, je mets une horloge avec des chiffres énormes sur un lutrin à 50 centimètres de mon visage. Ensuite, pour être capable de bien voir mon rythme cardiaque, je mets une lumière frontale (même le jour) et je suis en mesure de les voir sur ma montre. C’est ma façon de faire, il en existe plusieurs. Avant, j’utilisais ungagnant métronome pour l’efficacité de mon coup de pédale, mais avec l’expérience, je n’en ai plus besoin. » À cela s’ajoute des séances de musculation où un entraineur doit l’assister pour lui donner son programme, mais par la suite Matthieu est capable de le faire seul. Le nombre d’heures d’entrainement pour Matthieu est d’environ 15 heures par semaine, puisqu’il a aussi un emploi à temps plein qui peut varier 24 à 40 heures par semaine, selon les saisons. Finalement, il doit combiner le tout avec ses déplacements à l’étranger afin de réaliser son rêve de représenter le Canada aux Jeux Paralympiques.

Matthieu tu es une inspiration, merci pour ta générosité. Pour ce qui est des Jeux, tu les vois, ça je n’en doute pas une seconde!