MONTRÉAL – Tom Higgins gardait un œil distrait sur la période d’échauffement, ses joueurs à peine sortis du tunnel menant à la surface de jeu du Tim Hortons Field, quand la nouvelle est parvenue à ses oreilles comme une blague de mauvais goût.

Alan-Michael Cash, son plaqueur défensif étoile, venait de s’étirer un muscle d’un mollet et ne lui serait d’aucune utilité ce jour-là face aux Tiger-Cats de Hamilton, contre qui les Alouettes espéraient décrocher une septième victoire de suite et s’assurer du titre de la section Est.

« J’étais prêt à étrangler notre thérapeute athlétique quand il est venu me voir pour dire qu’il ne pourrait pas jouer », se remémore Higgins en réussissant presque à garder son sérieux.   

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Sans le bouchon qui scelle habituellement le milieu de leur ligne défensive, les Alouettes ont accordé 131 verges au sol, dont 93 au porteur de ballon Nic Grisby, dans une défaite de 29-15. Le résultat était contrariant puisqu’il les obligeait à emprunter la route la plus longue lors des éliminatoires.

« On se fait toujours un point d’honneur de neutraliser les attaques au sol adverses, c’est ce que prêchent nos entraîneurs sans arrêt. Notre but est limiter les porteurs de ballon à moins de 100 verges. Les gars ont réussi à le faire la dernière fois, mais c’était quand même trop », juge Cash.

Deux semaines plus tard, après avoir facilement disposé des Lions de la Colombie-Britannique en demi-finale, les Alouettes ont repris la direction de Hamilton avec la ferme intention de se reprendre. Cash, qui estime avoir pris le terrain à 90% de ses capacités contre les Lions, se dit maintenant complètement remis de sa blessure et déterminer à faire sentir sa présence contre les Tiger-Cats.

 « J’ai eu l’impression de laisser tomber mes coéquipiers. Je les voyais aller au combat sans l’un de leurs frères et ce n’était vraiment pas agréable. Le prochain match là-bas aura une signification particulière pour moi », anticipe-t-il.  

On a beaucoup parlé de l’importance pour les Alouettes de ne pas renier leur attaque au sol pour leur revanche contre les félins ontariens. Lors du dernier duel, le coordonnateur offensif Ryan Dinwiddie a commandé trois fois plus de passes que de courses et seulement cinq des douze jeux au sol exécutés l’ont été par le porteur de ballon Tyrell Sutton. Bilan final : une unité déséquilibrée qui n’a fourni que 17 verges au sol.

Mais la défensive des Oiseaux, glorifiée avec raison pour ses vaillants efforts tout au long de la saison, n’a pas nécessairement été un exemple de parfaite étanchéité récemment. Lors de ses deux dernières sorties, elle a accordé un total de 278 verges au sol. Dans des conditions climatiques qui ne s’annoncent pas idéales, dimanche, l’équipe qui saura faire progresser le ballon en le gardant le plus près possible de la pelouse devrait amplifier ses chances de succès.

Cash n’est pas le sauveur, mais les quelque 130 kilos supportés par sa charpente de 6 pieds 2 pouces ont tendance à éloigner l’adversaire de son profit avec beaucoup d’efficacité depuis son arrivée avec les Alouettes. Son travail est effectué dans l’ombre, mais il ne passe pas inaperçu aux yeux de ses coéquipiers.    

 « Il est un solide pilier pour notre ligne défensive, l’un de ces héros obscurs dont on ne parle que trop peu souvent, vante Higgins. Je suis très heureux qu’il soit de retour sur pieds et prêt à jouer. »

« C’est un gars tellement important pour notre défensive, reconnaît le maraudeur Marc-Olivier Brouillette. Des fois il prend deux ou même trois bloqueurs à lui seul et bouche complètement le milieu du terrain. Mais il fait aussi des jeux contre la passe! En visionnant les vidéos, on le voit souvent arriver le premier au receveur sur une passe captée à 15 ou 20 verges de la ligne d’engagement. Il est une pièce vraiment importante de notre défensive et on est pas mal contents de le revoir sur le terrain. »

Pièce centrale de la ligne à l’attaque des Alouettes, non seulement Luc Brodeur-Jourdain est-il confronté à l’équivalent ennemi de Cash sur une base hebdomadaire, mais il doit quotidiennement se frotter à l’Américain de 27 ans à l’entraînement.

« Il est arrivé au camp d’entraînement y a trois ans et il avait rapidement été blessé, donc on a appris à le connaître tranquillement, mais il a toujours bien progressé et tu sens qu’il a le cœur à la bonne place, qu’il travaille fort pour obtenir ce qui lui revient », complimente Brodeur-Jourdain.

« En plus d’être très dynamique, il a un centre de gravité très bas et est donc capable de bien prendre les blocs. En d’autres mots, il est capable de jouer comme un gros bonhomme, mais il a la finesse d’un petit. Et il possède vraiment un amalgame de techniques. Il est difficile à bloquer en pratique. Je dois l’affronter tous les jours et il est très tannant! »

Dans l’ombre de Woods

Chez les Alouettes, la saison 2014 fut notamment celle de l’éclosion de Bear Woods. De simple contribuable sur les unités spéciales, le secondeur à la chevelure torsadée a atteint un statut de super vedette. Il s’est placé au deuxième rang de la Ligue canadienne avec 89 plaqués et ses sept sacs du quart lui ont valu le troisième rang à ce chapitre chez les Alouettes. Il a été l’un des onze joueurs des Alouettes nommés sur l’équipe d’étoiles de la section Est et est finaliste pour le titre de joueur défensif de l’année dans la LCF.

Woods reçoit les accolades, c’est son nom qui défraie les manchettes, mais ses succès vont de paire avec ceux du colosse qui se cambre devant lui dans le front défensif.

« Il y a un lien direct entre l’efficacité de Cash et les performances de Bear Woods », approuve sans hésiter Brouillette.

Selon Brodeur-Jourdain, la contribution du gros numéro 91 est si significative qu’elle a permis aux Alouettes de modifier l’ensemble de son approche défensive.

« Dans les années antérieures, je pense qu’on était une équipe qui apportait beaucoup de pression en créant des surnombres. Maintenant, on peut arriver au même résultat simplement par permutation de joueurs. Un gars comme Cash va prendre deux blocs pour qu’on se retrouve avec un secondeur libre. Ce rôle demande une implication émotionnelle particulière parce que tu sais que ce n’est pas nécessairement toi qui va récupérer les statistiques. Mais tu le fais pour le bien de ton équipe, pour le bien de ta défensive. »

Brodeur-Jourdain sait de quoi il parle. Pour un joueur de ligne offensive, le succès est souvent défini par les accomplissements de ceux qui l’entourent. Pour chaque quart-arrière qui termine son match avec des pantalons propres, pour chaque un porteur de ballon qui affiche 100 verges au compteur, vous avez cinq joueurs de ligne qui dormiront d’un sommeil profond à leur retour à la maison.

Alan-Michael Cash, qui a réussi 33 plaqués, trois sacs du quart et recouvré trois ballons échappés cette saison, mesure la qualité de son rendement selon les mêmes critères. Son bonheur, ce sont les prouesses de Bear qui le lui procurent.

« Avant chaque match, je lui dis que personne ne parviendra à lui toucher aujourd’hui, qu’il pourra courir aussi vite et aussi librement qu’il le désire. Il adore ça quand je lui dis ça, alors c’est ce qui me motive, je ne veux pas le décevoir. Je dois abattre la sale besogne dans les tranchées pour qu’il puisse faire son travail. »

Sur la feuille de pointage, l’absence de Cash ne semble pas avoir été un facteur déterminant dans la défaite du 8 novembre. Son remplaçant, Scott Paxson, a réussi un sac du quart et a forcé un échappé. Woods a quant à lui dominé l’équipe avec neuf plaqués.

Mais les gains au sol des Tiger-Cats dérangent encore Cash, qui promet que ça ne se reproduira pas.

« Ils nous ont pris par surprise ce jour-là. Ils ont été en mesure de s’imposer au sol... mais pas cette semaine! »