MONTRÉAL – Inutile de chercher les vedettes de la NFL, les terrains de football et les salles d’entraînement autour de lui, Mehdi Abdesmad est maintenant entouré d’ordinateurs et des meilleurs créateurs de jeux vidéo de la planète.

 

Même dans son environnement naturel, celui du football, Abdesmad se classe parmi les colosses avec sa charpente de six pieds six pouces et plus de 280 livres. Imaginez comment ce gentil géant peut ressortir du lot dans son nouveau monde, les bureaux d’Ubisoft, où il a reçu Didier Orméjuste et l'auteur de ces lignes pour cette entrevue que vous pouvez écouter dans la balado Le sac du quart.

 

Ce qui frappe quand on l’aperçoit au loin dans cet édifice, c’est aussi l’immense sourire qui ne disparaît pas de son visage. Tellement qu’on ne pourrait jamais croire qu’il annonce sa retraite du football professionnel à 26 ans.

 

Mais tout s’explique. Puisque ce sourire, il l’avait justement perdu en goûtant au côté plus sombre de la NFL, cet univers si compétitif. Il a donc choisi de miser son avenir après avoir atteint l’élite du football tout en s’impliquant pour partager ses acquis à la relève. Abdesmad sonne serein même s’il a encore été courtisé récemment par des équipes de la NFL et le Rouge et Noir d’Ottawa, la formation qui détient ses droits dans la LCF.

 

On comprend mieux l’aboutissement de sa réflexion quand on écoute son histoire. Quelques facteurs l’ont incité à opter pour cette décision empreinte d’audace et de maturité.

 

D’abord, il détient un plan B plutôt emballant. Déjà diplômé d’un baccalauréat en Finances à Boston College, il obtiendra sa maîtrise en administration et leadership dans quelques semaines.

 

Ensuite, il a été écorché par la cruauté professionnelle qui existe, encore aujourd’hui, dans le circuit américain.

 

Finalement, l’attrait de la famille était puissant pour celui qui a été éprouvé par le décès de son père en 2008. « Pour me dédier au football, j’ai été loin de ma famille de 19 ans à 26 ans. Maintenant, c’est le moment de rattraper le temps perdu avec ma mère et mes soeurs. Le football, c’est bien, mais tu dois aussi prendre soin de ta famille. Si elles partaient, le football resterait, mais elles ne seraient plus là. Dorénavant, je vais me concentrer à fond sur le monde autour de moi et sur mon avenir », a exprimé Abdesmad avec compassion dans la voix.

 

Le colosse peut bien avoir eu le goût de se recentrer sur l’essentiel. Il y a un an, tout allait bien pour Abdesmad qui se préparait en vue de sa deuxième saison avec les Titans du Tennessee. Avec l’expérience de ses deux premières parties régulières dans la NFL derrière la cravate à la fin de 2016, il a entamé le calendrier préparatoire de 2017 avec aplomb. Vous pouvez en parler à Bryce Petty qui a goûté à sa médecine sur ce sac.

 

Le tournant inattendu s’est produit quand il a ressenti une douleur à son genou gauche au terme du deuxième match préparatoire, celui contre les Panthers de la Caroline. Si vous croyez encore aux coïncidences, Abdesmad a appris, au lendemain des examens médicaux, qu’il était libéré de la bouche du directeur général, Jon Robinson. Bien sûr, les équipes de la NFL n’ont pas à payer un joueur libéré quand il n’est pas blessé.

 

« Voilà ce que le monde ne sait pas sur ce qui se passe dans la NFL. Il y a beaucoup de choses plates comme ça qui arrivent et ça m’a vraiment refroidi », a-t-il admis.  

 

« Il m’a fait accroire qu’il ne le savait pas. Il m’a dit de ne pas m’inquiéter et que je serais sur la liste des blessés », a ajouté Abdesmad qui révélait ces détails pour la première fois.

 

Comble de l’insulte, Abdesmad a ensuite reçu un message de son agent lui informant de la décision officielle de l’organisation. Le problème, c’est que les Titans n’ont pas respecté leur parole en ne l’inscrivant pas sur la liste des blessés.

 

À partir de ce moment, Abdesmad aurait pu s’objecter, mais ses chances de dénicher un nouveau contrat ailleurs auraient été affectées. Il a opté pour consulter le médecin qui l’avait opéré au genou durant son parcours à Boston College. Celui-ci lui a confirmé qu’il pouvait continuer de jouer en dépit de cette blessure et que cette option pourrait l’aider à s’entendre avec un autre club. Mehdi Abdesmad

 

La stratégie a été la bonne puisque les Buccaneers de Tampa Bay lui ont fait signe. En dépit d’un très bref apprentissage de quatre jours avec les Bucs, il s’est signalé dans le dernier match préparatoire contre les Redskins avec deux plaqués, dont un pour perte, et un ballon recouvré.

 

« Des vétérans comme Gerald McCoy et Jameis Winston sont venus me voir durant le match pour me dire que je connaissais toute une partie et que c’était certain que j’allais faire l’équipe. Même les entraîneurs étaient étonnés de voir que je me démarquais autant après quatre jours avec eux », s’est-il souvenu.

 

Sauf que ce ne fut pas assez. Les dirigeants des  Buccaneers l’ont libéré à leur tour afin de ne pas renoncer à leurs vétérans. Les plus sceptiques pourraient croire que les dirigeants des Bucs avaient eu vent de son pépin au genou gauche.

 

« Ouais, je crois qu’il s’est passé quelque chose. Ce n’est pas normal, je n’ai pas reçu d’autres offres pendant la saison et même pour l’équipe d’entraînement », a-t-il songé.

 

Ces propositions sont revenues sur la table en vue de la saison 2018. Les Giants de New York l’ont d’ailleurs approché récemment, mais il a jugé que ç’en était assez.

 

« J’ai pris une décision avec ma mère, mes sœurs et mes proches que c’était mieux que je ne joue plus. Plein de joueurs font l’erreur de continuer d’essayer jusqu’à 30 ans. Rendu à cet âge, tu as été un joueur de football, mais bonne chance pour te trouver une job après », a exposé l’homme aux origines tunisiennes.

 

Abdesmad a également consulté ses entraîneurs à Boston College qui en sont arrivés à cette conclusion. « T’as décidé d’être un homme », lui ont lancé ses mentors.

 

Puisqu’il n’a jamais été repêché si bien que les Titans n’ont pas investi une somme d’argent considérable sur son avenir, Abdesmad s’est retrouvé sur la « corde raide ». La pression quotidienne de pouvoir perdre son poste ne rend pas les choses très amusantes.

 

Mehdi Abdesmad« Moi, le football, c’était pour le plaisir. Je m’amusais sur le terrain à faire des sacs et plaqués derrière la ligne de mêlée. Mais quand t’es toujours sous le stress de ‘Oh my God, qu’est-ce qui se passe si je me blesse ?’ Quand tu perds ce fun, tu n’as plus le goût de te lever le matin et d’aller frapper des gars pendant plusieurs heures », a-t-il reconnu.

 

« Si t’as été repêché et que ton contrat te garantit de l’argent, la vie est belle. Je peux vous raconter des histoires de gars qui niaisent, mais que les entraîneurs gardent parce que l’équipe a dépensé des millions sur eux. Il y a plein de joueurs pour lesquels les entraîneurs ne peuvent rien faire pour cette raison. »

 

La relève au coeur de ses préoccupations

 

N’allez surtout pas croire que le Québécois regrette son passage dans la NFL. Bien au contraire, il a atteint son rêve et il en gardera aussi de précieux souvenirs.

 

« Depuis que j’étais jeune, mon but était de m’y rendre donc c’était vraiment gros pour moi. J’ai développé des amitiés pour la vie, je suis encore en contact avec des gars comme Jurrell Casey et Derrick Morgan. C’était une expérience vraiment bien. Tous les sacrifices que j’ai effectués, je ne les regrette pas », a voulu nuancer Abdesmad.

 

Voilà pourquoi il souhaite donner un coup de pouce à la relève. Il veut permettre à d’autres athlètes d’atteindre la NFL tout en ayant à cœur leur progression académique. C’est essentiel pour lui après avoir entendu les histoires de quelques coéquipiers qui l’enviaient.

 

« Un joueur trouvait que c’était génial que je travaille chez Ubisoft. Lui, il devait jouer au foot parce qu’il n’a rien d’autre dans la vie. Je me rappelle d’une histoire de fou, un vétéran de huit saisons qui vient me dire qu’il a un immense mal de tête depuis 4h du matin. Je lui ai suggéré d’aller voir le docteur et il m’a dit qu’il ne pouvait pas. Il craignait de perdre son poste à son réserviste et il n’avait pas de plan B dans la vie. Il devait s’occuper de sa femme et ses quatre enfants », a-t-il raconté.

 

« Il y a des gars qui mettent leur santé de côté parce qu’ils n’ont rien d’autre. Ça frappe et on n’en parle pas beaucoup. Ça fait de la peine. Ils sont allés à l’université pendant quatre et ils n’ont pas été en mesure de préparer leur avenir. »

 

C’est sans parler des crèmes et des injections – à risque - que des joueurs doivent utiliser pour évacuer temporairement des douleurs pendant les matchs.

 

Son message aux jeunes sera axé dans ce sens à travers sa nouvelle école de football et son encadrement.

 

« Je vais faire un camp de perfectionnement et je vais aussi aider ceux qui veulent partir étudier aux États-Unis. Ce sera l’un des services que je vais faire. Je parle d’envoyer les vidéos et faire des suivis avec les entraîneurs. J’ai encore plusieurs contacts à Boston College, Michigan, Alabama, USC, Ohio State… Je vais aider et pousser tous les jeunes que c’est leur rêve de faire ça. Je veux montrer aux jeunes, que le football, c’est bien, mais il y a d’autre choses après. Il faut que tu te prépares sinon tu tombes de haut quand ça frappe », a expliqué Abdesmad qui ne veut pas profiter des jeunes en exigeant des frais élevés pour ce support.Laurent Duvernay-Tardif et Mehdi Abdesmad

 

Question de les faire rêver également, il pourra leur parler de ses plus beaux souvenirs comme ce premier match régulier qui a mené à cette photo avec Laurent Duvernay-Tardif.

 

« Je dirais ce premier match contre les Chiefs, c’était vraiment bien. En plus, dans ce stade qui est si bruyant, il faisait froid et on a gagné avec un placement de 53 verges à la toute fin. Je pense aussi à mon sac contre les Jets parce que j’ai massacré le gars. Tout le monde était comme ‘Tu l’as juste démoli’. Ce sont deux gros moments forts, mais ce sont ceux dans le vestiaire qui marquent le plus. En vieillissant, les moments sur le terrain vont partir et ce sont ceux dans le vestiaire qui vont rester », a confié Abdesmad qui est attitré chez Ubisoft à la supervision d’une équipe qui développe un jeu vidéo.

 

Sa mémoire ne risque pas d’effacer non plus l’expérience qu’il a permis à sa mère de vivre en l’accueillant à Nashville pendant six mois.

 

« Je voulais qu’elle vive comment se passe mon quotidien d’un athlète. Des joueurs me demandaient si ma mère était vraiment avec moi à la maison. Je répondais ‘Oui, et puis après’. Quand je rentrais à la maison, j’avais un couscous qui était prêt. J’ai pu partager des beaux moments avec elle », a conclu Abdesmad avec une phrase qui explique son attachement à sa famille.