Lorsque la Ligue nationale de hockey a mis la saison sur pause en début d’après-midi le 12 mars dernier, la Ligue suisse venait de carrément annuler la sienne.

«On était sur le point de commencer les séries, mais c’était la chose à faire», a indiqué Christian Dubé joint, jeudi après-midi, par RDS.ca à son domicile de Fribourg en Suisse.

Entraîneur et directeur sportif du Fribourg-Gottéron, Dubé s’est alors assuré du bien-être de ses joueurs dont le Québécois, et ancien du Canadien, David Desharnais qui, en compagnie de sa conjointe, a vite mis le cap sur le Québec comme tous les autres Québécois et autres Nord-Américains évoluant au sein des 24 équipes composant les deux ligues suisses. Douze en première division, le même nombre en deuxième.

Dubé s’est aussi assuré de mettre ses parents et amis en garde.

« Nous sommes aux premières loges en Suisse pour voir ce qui arrive en Italie, en Espagne et dans les autres pays qui nous entourent et qui sont eux aussi touchés. Quand j’ai appelé mes parents à Sherbrooke, je leur ai dit : préparez-vous! Ça va faire mal. Vous n’y échapperez pas », a mentionné Dubé qui, avec son épouse et ses deux garçons, complète sa troisième semaine de confinement.

« Ce n’est pas évident pour personne, mais les Suisses sont très résilients. Ils respectent des consignes et prennent les moyens pour minimiser les conséquences néfastes de la pandémie. Les écoles sont toujours fermées, mais contrairement à ce qui se passe en ce moment au Québec, il y a des industries qui fonctionnent toujours. Des chantiers qui sont ouverts. Mais tous ceux et celles qui travaillent doivent respecter des normes très strictes en matière de sécurité et de santé publique. Les gens prennent ça vraiment au sérieux. On profite des communications par internet pour rester en contact avec nos parents et nos proches. On donne des nouvelles et l'on en prend. Mais il est clair que personne n’échappe à la pandémie en ce moment.  »

L’un des meilleurs joueurs juniors de son époque, Christian Dubé a mis le cap sur la Suisse à l’âge de 22 ans. L’attaquant au coup de patin vif et aux mains agiles était confiné à Hartford, dans la Ligue américaine, par les Rangers de New York qui lui préféraient des joueurs en fin de carrière surfant sur de gros noms et des réputations plus grosses encore. Une offre de transaction qui l’aurait fait passer des Rangers au Canadien l’a titillé un instant. Mais il a maintenu sa décision d’aller passer au moins une saison en Suisse afin de reprendre confiance et surtout de retrouver le plaisir de jouer au hockey.

Il n’est jamais revenu.

Après une prolifique carrière de 16 saisons comme joueur à Lugano (trois ans), Berne (neuf ans) et Fribourg-Gottéron (quatre ans), il a pris sa retraite en 2015, mais demeure très actif depuis à titre de directeur sportif à Fribourg. Le collègue Nicolas Landry a d’ailleurs rédigé un texte relatant les grands moments de la carrière de ce brillant hockey et des grandes frustrations avec lesquelles il a dû composer avant de s’expatrier en Suisse, où il a passé une partie de sa jeunesse, puisque son père Normand y a complété lui aussi sa carrière de hockeyeur au début des années 1980.

Recrutement déjà amorcé

Privé de séries éliminatoires, Christian Dubé prépare la prochaine saison tout en composant avec les aléas du confinement.

«Ce n’est pas évident. Ça complique le recrutement, mais on se tourne vers les vidéos et on fait aller nos contacts pour mousser notre banque de candidats en vue de la prochaine saison. Les joueurs sont tous retournés chez eux, mais on prépare déjà la période d’entraînement estival. Ce sera un peu compliqué parce qu’en plus de la Covid-19, nous sommes en train de compléter les rénovations de notre amphithéâtre, mais on va passer à travers », a poursuivi Dubé qui est établi avec son épouse – elle aussi de l’Estrie – et leurs deux enfants.

« Nous sommes toujours Canadiens, mais nous sommes Suisses également. C’est ici qu’on vit. On a trouvé un milieu de vie exceptionnel ici. On baigne dans toutes sortes de cultures. Je parle trois langues. Mes garçons aussi. Ma femme en parle cinq. En temps normal, on peut faire le tour de l’Europe et faire découvrir des tas de choses aux enfants. En plus d’un très bon niveau de hockey, c’est ce genre de vie que la Suisse offre aux joueurs québécois et nord-américains que nous courtisons. David (Desharnais) n’a pas été chanceux cette année, car sa saison a été amputée en raison d’une blessure à une main subie dans le cadre de la coupe Spengler. Mais il a vraiment découvert un nouveau milieu dans lequel jouer au hockey. »

Autres Québécois expatriés

Christian Dubé n’est pas le seul Québécois à composer avec la COVID-19 dans son pays d’adoption. Marc-Antoine Pouliot – choix de première ronde (22e sélection) des Oilers d’Edmonton en 2003 – vient de compléter sa quatrième saison consécutive à Biel où il a été échangé par Dubé en 2016-2017 à sa quatrième saison avec le Fribourg-Gottéron.

Un autre Québécois, Garry Sheehan, dirige Ajoie en deuxième division sans oublier le Montréalais Serge Pelletier entraîneur-chef de Lugano, qu’il a d’ailleurs conduit aux séries.

« On a terminé en huitième place derrière Fribourg-Gottéron, mais nous étions des séries. C’est dommage de ne pas avoir pu les disputer et de terminer la saison comme ça, mais disons que le hockey passe deuxième », a convenu Pelletier qui s’est expatrié en Suisse il y a déjà 30 ans.

« J’ai cessé de jouer en 1989 à l’Université du Québec à Trois-Rivières et je suis venu coacher le club junior de Lugano. Je suis ici depuis ce temps. J’ai reçu mon passeport suisse il y a dix ans. Ma vie et celle de ma famille sont ici. On vit le confinement avec les mêmes sentiments que tout le monde. Les journées sont longues pour tout le monde. Les enfants reçoivent par courriels des travaux scolaires à 8 h tous les matins. Ça aide à maintenir les acquis. Pour le reste, on fait du travail de recrutement avec des moyens limités », a raconté Pelletier lorsque joint en Suisse jeudi.

Comme Christian Dubé et les autres Québécois qui ont élu domicile en Suisse, Serge Pelletier garde contact avec sa mère qui vit à Marieville sur la Rive-Sud de Montréal et les autres membres de sa famille.

« Les nouvelles semblent plus encourageantes au Québec qu’elles ne le sont ici. Le nombre de cas a pris l’ascenseur au cours des derniers jours. On est rendu à 17 000 cas. Lugano est dans le canton de Tessin. Nous sommes collés sur l’Italie. C’est d’ici que les mesures de prévention – matchs présentés à huis clos, interdictions de rassemblements de plus de 20 personnes – ont débuté en Suisse. On se tient tous très tranquilles. Mais tout va bien. Personne n’est touché chez nous. Normalement, on revient au Québec pour y passer quelques semaines en juillet. Je crains qu’on ait à sauter une année », a conclu Serge Pelletier.

Organisations poussées vers la faillite?

Grand amateur de hockey, en Suisse bien sûr, mais aussi dans la LNH et du Canadien de Montréal dont il vient épier les faits et gestes deux fois par saison, le collègue Emmanuel Favre de l’agence Sport-Center travaille de son domicile de Sierre.

Tout en respectant le confinement, le collègue Favre assure que la COVID-19 ne fait pas que priver les amateurs du sport qu’ils aiment. En Suisse ou ailleurs sur la planète hockey. Il craint que la pandémie puisse menacer la survie d’une ou plusieurs formations dans son pays.

« Les conséquences économiques pour nos clubs sont énormes. Nos 12 clubs de première division fonctionnent avec des budgets qui oscillent autour de 17 millions de francs suisses (environ 22 millions $ en devises canadiennes). Le Gouvernement a déjà indiqué qu’il couvrirait 80 % des salaires des joueurs jusqu’à un maximum de 144 000 francs suisses (près de 190 000 $ canadiens). Ça aidera les clubs, mais les joueurs de top niveau touchent autour d’un million $ de francs annuellement. La moitié en salaire et l’autre moitié en frais divers puisqu’ils sont hébergés, que les équipes leur fournissent une voiture et différentes primes du genre. Les clubs font leur argent avec les billets vendus, mais aussi avec les commandites des grosses compagnies qui s’associent à eux. Ces compagnies ont de gros ennuis chacune de leur côté en ce moment. Elles peinent à payer leurs employés. Et ces employés n’auront pas les moyens de s’offrir des billets selon la durée de la pandémie et ses conséquences qui sont encore bien difficiles à chiffrer. Autant sur le plan humain que sur le plan économique. Il est clair que certaines des 24 formations de notre ligue seront durement touchées elles aussi. »

De Sierre, municipalité qui a tenté d’obtenir les Jeux olympiques d’hiver de 2002 et 2006, des Jeux qui ont finalement été tenus à Salt Lake City et Turin, Emmanuel Favre garde aussi un œil sur la Ligue nationale de hockey. Un œil qu’il a froncé lorsque la LNH s’est mise à jongler avec la santé de leurs joueurs et de leurs partisans en repoussant la pause des hostilités.

« Ici en Suisse nous sommes deux semaines en retard sur ce qui se passe en Italie et deux semaines en avance sur ce que vous vivez au Québec. Les nouvelles qui viennent de Montréal et que je lis quotidiennement sont le reflet de ce que nous avons vécu il y a 15 jours. Je n’en revenais pas de voir que des équipes comme les Sharks, les Blue Jackets et les Capitals ont défié les autorités qui demandaient que les matchs soient présentés à huis clos avant que la saison ne soit stoppée. Compte tenu de ce qu’on vivait ici, je trouvais que ces clubs et la Ligue étaient inconscients du danger qui les guettait. Surtout qu’on avait un exemple frappant avec ce qui arrivait en Italie.

« Je vis à quatre heures de route de Turin si je vais dans une direction et à quatre heures de route de Milan si je vais dans une autre. C’est impossible de rester insensible à ce qui se passe chez nos voisins. Ici, pour le moment, on évite le pire. La rigueur des Suisses y est certainement pour quelque chose. Les règles sont strictes, mais elles sont respectées. Ça aidera à traverser tout ça le plus vite possible. En espérant qu’on pourra reprendre le hockey rapidement une fois la vie revenue à la normale. »