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Le hockey a aidé le peuple ukrainien

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MONTRÉAL - Quand ta maison se fait démolir par les bombes russes et que tu passes près de mourir en voiture sous une autre attaque, ça prend un tout autre sens de pouvoir jouer au hockey de nouveau. 

Car oui, même si la guerre en Ukraine dure depuis plus d'un an, le hockey professionnel a relancé ses activités en octobre 2022. Pour le peuple ukrainien, ça devenait une manière supplémentaire de démontrer son immense résilience. 

« C'est un message à tous que le sport ukrainien est toujours vivant. Ça prouve qu'on est forts et que c'est très difficile de nous abattre. Ça me fait donc vivre des émotions positives de jouer au hockey de nouveau », a confié Vladimir Cherdak lors d'un entretien avec le RDS.ca.  

Au début de la guerre, le 24 février 2022, Cherdak jouait pour le HC Marioupol, une ville qui a été dévastée par l'armée russe. Craignant le pire, lui et sa femme avaient eu le temps de quitter leur résidence qui est tombée sous les bombes par la suite. 

Sergei Babinets« Une autre fois, il roulait en auto avec sa femme et un avion russe a largué une bombe qui a explosé tout près d'eux. Je me souviens qu'il m'avait envoyé ce message ‘Je viens de commencer une nouvelle vie parce que j'aurais pu mourir aujourd'hui' », a raconté Sergei Babinets, son coéquipier et ami, qui prenait aussi part à l'entrevue. 

Par chance, Babinets n'a pas frôlé la mort d'aussi près, mais il s'est impliqué de la plus belle des manières grâce à ses contacts dans le monde du hockey. Ce vétéran de 35 ans a utilisé le sport pour aider plusieurs centaines de jeunes hockeyeurs ukrainiens à se réfugier à l'extérieur du pays.  

« Au début de la guerre, l'idée était de sauver une génération entière de hockeyeurs. On leur a permis d'aller jouer ailleurs : en République tchèque, en Pologne, en Norvège, en Italie, en Slovaquie et en Suisse. Des familles ont accueilli les joueurs de notre pays. Environ 1000 personnes ont quitté notre pays via ces programmes », a expliqué Babinets qui a aidé la Fédération ukrainienne de hockey sur glace dans ce vaste chantier. 

« Je recevais des messages de joueurs ukrainiens, dans les régions les plus touchées par les frappes russes, qui me demandaient quoi faire. ‘On ne peut pas rester ici, on va mourir'. Nous avons tout fait pour aider ces gens. Certains jouent encore au hockey, mais ils sont surtout en sécurité », a ajouté Babinets en soulignant l'apport de Yuri Kirichenko, le directeur sportif de cette fédération qui a aussi servi de traducteur à quelques reprises pendant l'entrevue. 

À travers ces opérations de sauvetage, Kirichenko ne pourra jamais oublier celle d'une femme et ses deux garçons qui habitaient à Kramatorsk. Kirichenko avait tenté plusieurs fois de la convaincre de quitter cette région où les bombes frappaient régulièrement. 

« La journée qu'elle a décidé de partir, elle était à la gare quand il y a eu cette terrible attaque de la Russie (qui a tué environ 60 civils). Vous ne pouvez pas imaginer comment je me sentais, j'avais insisté pour qu'elle parte. Dieu merci, ils étaient toujours vivants et on a organisé du transport pour évacuer sa famille et plusieurs autres citoyens », a-t-il raconté. 

Difficile de gérer les émotions de cette nouvelle vie indésirée

Au milieu de l'entrevue, les bruits d'une attaque russe se font entendre. Les trois hommes reçoivent alors un message confirmant le tout via l'application dont ils disposent sur leur cellulaire. 

Devant notre regard effrayé qu'ils aperçoivent à l'écran, ils parviennent à esquisser un sourire. 

« On est habitués désormais, ça fait 1000 fois... C'était une autre histoire, lors de la première attaque, c'était tellement épeurant, une vraie horreur », a confié Babinets.  

Ça rend impossible de s'imaginer les émotions vécues par Cherdak, Babinets et tous les autres hockeyeurs professionnels ukrainiens (la Ligue ukrainienne compte 6 équipes) quand ils s'amusent sur la patinoire d'un aréna de Kyiv.Vladimir Cherdak

« Ce n'est pas toujours évident d'encaisser les émotions qu'on doit traverser au quotidien, absorber le tout et aller sur la glace ensuite. C'est difficile parce que des gens meurent chaque jour », a noté Cherdak. 

« Quand on était sur la glace, pour le premier match, on était très fiers pour notre pays et nos compatriotes. On est encore en vie et on joue encore au hockey. Ce sont des émotions bouleversantes, mais je ne sais pas qui peut encaisser ça outre les Ukrainiens », a souligné Babinets. 

Nul doute, le statut de héros, en Ukraine, n'appartient plus aux athlètes, il revient à ceux qui se battent au front. Mais les hockeyeurs utilisent leur plateforme à bon escient. 

« La semaine dernière, on a organisé un événement très important. Pendant un match, chaque joueur portait un chandail avec le surnom d'un partisan de son choix qui est décédé durant cette guerre », a expliqué Babinets en précisant que ces chandails seront vendus à l'encan

« Avant le match, on a visionné des vidéos de ces partisans qui ont perdu la vie. On a rendu hommage à ceux qui défendent notre pays », a-t-il ajouté. 

Une amitié brisée avec d'anciens coéquipiers russes

Si les Ukrainiens doivent accepter que leur vie ne sera plus jamais la même, ce constat s'applique également à leurs amitiés avec des Russes. Cherdak et Babinets ont chacun joué en Russie durant leur parcours professionnel et ils avaient des coéquipiers russes avant le déclenchement de la guerre. 

« C'est impossible pour nous de parler avec des Russes qui jouaient ici, ils savent que nous sommes de bonnes personnes. Tous les joueurs ont une plateforme, ils peuvent écrire des messages pour arrêter la guerre. Mais personne qui jouait ici ne l'a fait…. Si bien qu'on n'a plus aucun ami en Russie », a statué Babinets. 

« Heureusement, on a des amis au Canada, aux États-Unis et en Europe. On sait qui sont nos vrais amis. Avant, on voyait pourtant la Russie et le Bélarus comme des frères », a-t-il poursuivi.  

« Je n'ai conservé que deux amis en Russie, car ils s'opposent à la guerre », a précisé Cherdak. 

« Au début de la guerre, on a demandé aux Russes qui jouaient en Ukraine de dire la vérité sur nous. On sait qu'en Russie, chaque jour, il y a de la propagande. Ça dit que nous sommes des méchants, que notre pays est le mal... », a tenu à mentionner Kirichenko. 

Leur expérience leur donne les arguments pour torpiller ceux qui oseraient prétendre que le sport n'est pas lié à la politique en Russie.  

« Vladislav Tretiak est le président de la Fédération russe de hockey et il est un membre du parlement. Quand ils disent que le sport n'est pas de la politique, c'est totalement faux », a visé Kirichenko. 

« Je voudrais que les athlètes russes ne puissent pratiquer aucun sport. Parce que le sport est un gros outil politique pour la Russie ainsi que Poutine et son armée », a plaidé Babinets. 

Le peuple ukrainien a plutôt utilisé le sport de manière positive. Il va sans dire que son plus grand souhait demeure que cette guerre cesse pour de bon. 

« Quand la guerre a commencé, ma première pensée a été de me dire ‘Nous sommes morts, ce sera la fin de l'Ukraine'. Je ne voyais pas comment on pouvait gagner. Mais, après un an, je crois qu'on peut y parvenir », a évoqué Babinets qui a conclu en remerciant les citoyens du Canada pour leur appui. 

*Avec la collaboration spéciale du Montréalais Eliezer Sherbatov qui a établi le contact avec Sergei Babinets et Vladimir Cherdak.