Jean Ratelle a vécu l’un des moments les plus touchants de son illustre carrière quand les Rangers de New York ont procédé récemment au retrait du chandail numéro 19 qu’il a porté fièrement durant plus de 15 ans. Pour les amateurs de hockey qui ne sont pas de sa génération, Ratelle était un élégant joueur de centre qui, sur la patinoire comme à l’extérieur, était reconnu comme la copie de Jean Béliveau

Rodrigue Gilbert, qui a joué la majeure partie de sa carrière au sein de son trio, dit de lui qu’il ne l’a jamais vu se battre ou blasphémer. Classe, grâce, élégance, dignité et talent sont les termes qui ont été les plus souvent utilisés pour le qualifier. Il a d’ailleurs remporté deux trophées Lady Bing.

À l’époque, il était assez rare que des joueurs étoiles profondément liés à une organisation changeaient de camp. La transaction qui l’avait fait passer des Rangers aux Bruins de Boston avait causé toute une surprise. Chose certaine, Ratelle ne l’avait jamais vu venir. Un bon matin de novembre 1975, alors que Bruins et Rangers connaissaient des débuts de saison difficiles, les directeurs généraux Emile Francis et Harry Sinden avaient décidé de s’asseoir et de bâcler une transaction qui avait ébranlé l’ensemble de la ligue. Ratelle et le défenseur étoile Brad Park avaient pris la direction de Boston en retour de Phil Esposito, qui venait de connaître une saison de 61 buts et de 127 points, du deuxième meilleur défenseur des Bruins, Carol Vadnais, et de Joe Zanussi.

L’état de choc avait été profondément ressenti dans les cercles du hockey parce que Bruins et les Rangers étaient deux organisations qui ne s’aimaient pas. Une animosité générale que les joueurs exprimaient d’ailleurs publiquement. Esposito avait même déjà déclaré qu’il détestait souverainement les Rangers et la ville de New York.

« Je me rappelle fort bien de tout ça, m’a confié Ratelle, il y a quelques semaines. L’entraîneur des Rangers, Ron Stewart, m’avait appelé à sept heures du matin pour me dire que Francis voulait me parler. Je ne pouvais pas le savoir à ce moment-là, mais la transaction qu’il m’avait annoncée s’est avérée fantastique pour ma famille et pour moi. »

Comment aurait-il pu savoir tout ça? Ratelle avait 35 ans. L’heure de la retraite se pointait au bout de la route. Après 10 saisons de plus de 20 buts, dont six de plus de 30 buts, il avait déjà beaucoup donné aux Rangers. Dans les circonstances, il s’attendait sans doute à ce qu’ils prennent soin de lui jusqu’à la fin de sa carrière. Cette transaction lui avait toutefois permis de prolonger sa carrière de six autres années à Boston et de devenir ensuite l’adjoint de l’entraîneur Gerry Cheevers durant quatre ans. Sa carrière s’est terminée dans un rôle de recruteur au sein des Bruins durant 16 ans.

« J’ai été chanceux que Brad Park fasse partie de cette transaction, a-t-il précisé. Avec les Bruins, j’ai joué 10 parties seulement avec Bobby Orr avant qu’il ne soit échangé à son tour aux Blackhawks. J’étais assis à ses côtés dans le vestiaire parce que c’était l’ancien casier de Vadnais. »

Ratelle est âgé de 77 ans. Cet hiver, il a effectué l’une de ses rares présences au Québec dans le cadre d’une exposition pour collectionneurs. Je l’ai retrouvé dans une salle privée de l’aréna, la tête recouverte d’une casquette, en train d’autographier plusieurs dizaines de ses photos. Il aurait voulu passer incognito qu’il n’aurait pas mieux fait. Après avoir rempli son mandat, il est parti aussi discrètement qu’il était arrivé, sans avoir croisé le public.

« Je ressens de l’anxiété quand je suis dans une foule. Je suis vraiment mal à l’aise », m’a-t-il expliqué.

Il y avait des lunes que je ne l’avais pas rencontré. Comme d’habitude, il a été poli et d’un commerce fort agréable. Pour la petite histoire, les Ratelle vivaient à Rosemont quand le père, qui était dentiste, rêvait de s’établir en bordure d’un lac. Jean avait trois mois quand ils ont tous déménagé au pays des bleuets, à Saint-Félicien. Ses trois frères et trois soeurs vivent aujourd’hui dans la région de Montréal.

Le hockey a été bon pour lui, même si le retrait de son chandail est survenu 33 ans après son intronisation au Panthéon. Un peu plus et les Rangers l’oubliaient, lui dont le retrait du chandail est également survenu près de 40 après celui de Gilbert, un peu comme ça s’est passé dans le cas de certains grands Glorieux qui ont dû attendre très longtemps avant d’être honorés de cette façon.

Il est fier de sa réussite. Il a beaucoup gagné, sauf peut-être la coupe Stanley. Il a participé aux séries à ses 15 dernières années. Il a remporté la Série du siècle avec Équipe Canada en 1972. Il a connu 13 saisons consécutives de 25 buts et terminé sa carrière avec 491 buts et 1 267 points au compteur.

Sur le plan familial, la transaction qui l’avait obligé à déménager à Boston a nécessité des ajustements pour sa femme et ses trois enfants. À l’époque, les joueurs ne s’installaient pas dans une autre ville aussi rapidement qu’ils le font aujourd’hui. Après l’échange du 9 novembre, sa famille était venue le rejoindre à Boston à quelques jours de Noël.

« Ce ne fut pas un très beau Noël, a-t-il rappelé. Nous n’étions pas encore organisés; nous n’avions même pas d’électroménagers. Nous avions été incapables d’obtenir une réservation au restaurant car c’était complet partout. En désespoir de cause, nous avions acheté des hamburgers congelés pour notre souper en famille. À l’école, on avait demandé aux enfants de décrire leur Noël. Ma fille, âgée de 13 ans, qui écrivait fort bien, avait intitulé son texte : " Le Noël d’une famille d’un joueur de hockey qui vient d’être échangé ". Impressionné, son enseignant avait remis son texte à un quotidien d’une banlieue de Boston pour publication. Elle enseigne l’écriture aujourd’hui. »

Rivalité avec le Canadien

Si les équipes de Ratelle n’ont jamais remporté la coupe Stanley, on imagine assez facilement qu’elles en ont eu plein les bras lors de leurs affrontements contre le Canadien. L’ex-brillant joueur de centre a admis qu’il n’y avait rien de facile contre Montréal.

« C’était une formation tellement talentueuse, a-t-il rappelé. La défense était solide avec Dryden, Savard, Robinson et Lapointe. Même si l’attaque était puissante, tout le monde jouait bien défensivement. »

À l’adolescence, sa première idole a été Dickie Moore dont il avait fait la connaissance au stade de baseball Delorimier où il avait la responsabilité de tracer les lignes sur le terrain. Quant au rapprochement qu’on a souvent fait entre Béliveau et lui, il a toujours trouvé la comparaison trop flatteuse. Il s’en défend encore aujourd’hui.

« Ça me flattait beaucoup parce que Béliveau était l’une de mes idoles. Même si nous préconisions le même style, cette comparaison était exagérée parce qu’il était une grande étoile. »

Cette remarque remplie d’humilité est faite par un membre du Panthéon du hockey qui a joué durant 21 ans et qui a amassé près de 1 300 points. À l’image de l’homme et de l’athlète qu’on a toujours connu.

Les Geoffrion perdent leur chef

Qui ne se souvient pas de la soirée mémorable au cours de laquelle on a retiré le chandail de Bernard Geoffrion quelques heures seulement après qu’il eut rendu l’âme, en 2006. C’est son épouse Marlene qui avait rassemblé enfants et petits-enfants autour d’elle alors qu’ils pleuraient le père et le grand-père qu’ils adoraient. Sur la patinoire, elle avait été d’une grande solidité en participant au dernier hommage de la brillante carrière de son mari. À partir de ce moment, en l’absence du Boomer, elle était devenue très clairement la chef du clan Geoffrion.

Or, la chef du clan n’est plus. À 84 ans, Marlene, une femme admirable et courageuse, n’a pas survécu à une intervention chirurgicale au coeur visant à remplacer deux valves. Elle a subi un arrêt cardiaque peu de temps après l’opération.

« Nous sommes tous heureux qu’elle soit partie rejoindre papa », a fait remarquer Linda, sa fille.

À la famille Geoffrion, nous offrons nos plus vives sympathies.