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RÉSULTATS

LPHF : la révolution sera télévisée

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C'est un matin gris et froid de décembre à Utica. Le caméraman et les deux reporters qui l'accompagnent rassemblent leur équipement et s'empressent de traverser le stationnement qui mène à l'entrée principale du complexe sportif où se déroule le camp d'évaluation de la nouvelle Ligue professionnelle de hockey féminin. À leur arrivée, collé en plusieurs copies sur les grandes portes vitrées de l'édifice, un avertissement sans équivoque les attend : « ACCÈS INTERDIT AUX MÉDIAS ».

Ce n'est pas la première fois que la relation entre les journalistes et les sujets qu'ils viennent couvrir est, disons, compliquée depuis le début de l'événement. Ce jour-là, la petite équipe de RDS réussit, grâce à la gentillesse et au discernement de quelques intervenants, à décrocher quelques entrevues. Elle décide ensuite de revenir vers Montréal une journée plus tôt que prévu avec autant de questions que de réponses au sujet de cette ligue qui s'apprête à voir le jour.  

Près de cinq mois plus tard, la LPHF a le vent en poupe. L'équipe montréalaise vient de remplir le Centre Bell pour un match contre Toronto. Dans la majorité des marchés, les amateurs ont adopté le produit avec enthousiasme. La ligue jouit d'une couverture sérieuse, les commanditaires majeurs sont au rendez-vous et les critiques– qui s'en fait encore pour une histoire de noms et de logos? – ont été pour la plupart réduites au silence. Se dégage de tout ça la forte impression qu'on ne reviendra pas en arrière. Le hockey féminin est dans la conversation pour y rester.

Tout n'est pas parfait pour autant. Imaginez un canard qui se prélasse sur les eaux paisibles d'un lac. Au premier regard, le palmipède donne l'impression de se déplacer sans effort, mais sous la surface, ses pattes s'activent frénétiquement pour le maintenir en équilibre. L'analogie de l'avion qu'on construit en plein vol, entendue à maintes reprises en début de saison, est toujours d'actualité.

Le couteau entre les dents

Les campagnes marketing et les beaux discours vont attirer les curieux à l'aréna, mais la qualité du spectacle est toujours ce qui les incitera à revenir. Pour la rétention du client, les joueuses impliquées dans la saison inaugurale de la LPHF ont rempli leur part du marché. Quiconque a pris la peine de déposer son regard sur un match en toute bonne foi pourra en témoigner : l'amateur a eu droit a du gros hockey.

Le fait que la ligue a finalement réuni sous la même enseigne, après des années de moyens de pression et d'approches divergentes, les meilleures joueuses évoluant en Amérique du Nord y est évidemment pour beaucoup. Mais il n'y a pas que ça. Vous savez ce qu'on dit sur l'importance de laisser une bonne première impression. Après avoir attendu pendant si longtemps pour une plateforme de cette envergure, les filles ont semblé se passer le mot.

Dès le camp d'entraînement, le couteau était bien visible entre les dents des quelque 180 joueuses qui bataillaient pour un poste. Après deux matchs préparatoires, l'équipe du Minnesota avaient déjà trois blessées dont la disponibilité pour le début de la saison était remise en question. On ne se faisait pas de quartier. Ces athlètes qui étaient habituées à jouer dans ce que la capitaine de l'équipe nationale américaine, Hilary Knight, a déjà décrit comme des ligues de garage de luxe, avaient maintenant un poste à gagner, un job à conserver, un salaire à protéger.

L'aspect physique qui a conséquemment teinté le jeu aura été un thème récurrent tout au long de cette saison inaugurale. Jadis interdite (la Suède l'avait légalisée lors de la saison 2022-2023), la mise en échec s'est immiscée sans aucune subtilité dans le jeu féminin nord-américain. Reconnaissant l'empressement et l'enthousiasme avec lesquels ses joueuses l'ont intégrée et la plus-value évidente que cette dimension apportait à son produit, la Ligue a assoupli ses règles et demandé à ses officiels de s'ajuster en conséquence.

Le tout ne s'est pas fait sans heurt. Joueuses et entraîneurs déplorent régulièrement, à ce jour, le manque de constance dans le jugement des arbitres. Un passage obligé, il nous semble, lorsqu'on souhaite mener à terme une petite révolution.

Le calibre relevé du circuit naissant a changé la donne pour plusieurs joueuses. Certaines, parmi elles des cadres parmi les plus connues, ont mis du temps à s'endurcir aux rigueurs d'un calendrier plus chargé. D'autres ont carrément dû accepter un rôle différent de celui qu'elles connaissaient auparavant. Aucune des dix meilleures marqueuses de la saison 2022-2023 de la Premier Hockey Federation (PHF), la ligue qui a été dissoute pour laisser place à la LPHF, n'est reconnue comme une contributrice offensive constante dans le nouveau circuit.

On y reviendra plus tard, mais cet écart ne fera que s'accentuer au cours des prochaines années.

Un laboratoire

Pour façonner la personnalité de leur nouveau bébé, les dirigeants de la LPHF n'ont pas qu'emprunté le meilleur de ce qui existait déjà. Ils ont eu l'audace d'innover.

La Ligue a d'abord adopté le système qui accorde une valeur de trois points à une victoire en temps réglementaire. D'accord, le mot « innovation » a ici le dos large. Il est vrai que le calcul, qui récompense les équipes capables de disposer d'un adversaire de façon plus décisive, était déjà utilisé en Europe. Mais la LPHF est le premier championnat nord-américain à l'avoir adopté.

Son impact potentiel sur la qualité du spectacle a pu être mesuré lors de la dernière visite du Minnesota à l'Auditorium de Verdun. En déficit d'un but en troisième période, Montréal a renversé la vapeur en marquant deux fois dans les deux dernières minutes du match. Plutôt que de reculer à sept points du deuxième rang détenu par son adversaire, il s'en est approché à un point.

À Utica, de nouvelles règles potentielles pouvant affecter le travail des unités spéciales ont été testées. On a tenté de forcer l'équipe punie à purger l'entièreté de leur sentence, même en cas de but de l'adversaire, ou à l'empêcher de dégager son territoire avant d'avoir franchi la ligne centrale. On a exploré la possibilité d'augmenter les « longs changements » afin d'ouvrir davantage le jeu. La nouveauté qui a finalement été adoptée pour le début de la saison fut celle de « l'évasion », jailbreak en anglais, qui permet à une équipe en désavantage numérique de récupérer sa joueuse punie si elle marque en son absence.

On s'est demandé si toutes ces propositions seraient accueillies favorablement par les joueuses. Naïvement, peut-être, on les imaginait se plaindre d'être utilisées comme des rats de laboratoires, qu'on dénature le sport à leurs dépens afin de capter l'attention de quelques curieux. Ce fut tout le contraire. Celles à qui nous avons parlé ont unanimement applaudi ce brassage d'idées, ravies de pouvoir participer à un examen du statu quo.

Quelques mois plus tard, alors que la saison battait son plein, les cerveaux de la LPHF ont pondu de nouvelles idées. Pour leur originalité et leur pertinence, elles ont été reçues avec enthousiasme. En mettant un peu d'épices dans la façon de déterminer les affrontements en séries éliminatoires, mais surtout en proposant une solution à l'auto-sabotage motivé par l'attrait d'un bon choix au repêchage, la LPHF a touché un point sensible dont plusieurs reprochent à la LNH de ne pas s'approcher avec assez de sérieux.

« Pour être honnête, c'était un peu notre but de prendre nos distances de la LNH, nous disait alors Laura Stacey. On ne voulait pas se contenter de suivre leurs règles, suivre leur plan, cueillir ce qui était devant nous. On est une ligue distincte, on est la LPHF et je crois que c'est super que les deux ligues empruntent des trajectoires différentes tout en continuant de se supporter mutuellement. »

Succès aux guichets

Dans la majorité des marchés où on a décidé d'établir les six équipes originales, la réponse des amateurs a été incontestablement positive.

Montréal a terminé sa saison avec des assistances moyennes de 6870 spectateurs. En plus de remplir le Temple du Canadien, le club s'est déplacé à Laval pour quatre matchs à la Place Bell. Il y a joué deux fois devant des salles combles. La directrice générale Danièle Sauvageau a un fort attachement envers l'Auditorium de Verdun, mais il serait logique qu'elle envisage de faire jouer son équipe dans un local plus spacieux dès l'An 2.

L'un des plus beaux succès de cette saison inaugurale a été constaté à Ottawa, où on a joué à sept reprises devant des foules de plus de 8000 personnes. L'équipe de la capitale canadienne a attiré une moyenne de 7496 amateurs à ses parties locales.

Toutes les équipes de la LPHF n'étant pas débarquées dans des environnements qui s'équivalent, les chiffres doivent être interprétés avec prudence. Toronto, par exemple, n'a attiré que 4175 en moyenne à ses joutes. D'un côté, ce chiffre a été gonflé par sa visite éphémère sur la patinoire des Maple Leafs, mais de l'autre, sa croissance a été limitée par la modeste capacité d'accueil de son domicile permanent. Là aussi, un déménagement dans un amphithéâtre plus grand pourrait être étudié.

La seule déception se trouve à New York. Pour des raisons autant géographiques que logistiques, l'équipe établie dans le Connecticut a peiné à fidéliser son public. Sa récente saucette au New Jersey, où elle a attiré plus de 5000 spectateurs, est toutefois source d'espoir.

ASSISTANCES DANS LA LPHF ( en date du 29 avril)
Équipe (nombre de matchs locaux) Meilleure foule Moyenne
BOSTON (10) 4607 3551
MINNESOTA (12) 13 316 7055
MONTRÉAL (11) 21 105 6870
NEW YORK (10) 5132 2539
OTTAWA (12) 8452 7496
TORONTO (10) 19 285 4175

Impact outre-mer

Un grand succès à l'échelle locale, l'arrivée la LPHF a aussi commencé à affecter la façon dont est opéré le hockey féminin à travers le monde.

La Série de la rivalité, qui oppose depuis quelques années les équipes nationales canadienne et américaine, plus récemment dans une série de sept matchs, risque d'être affectée. Le calendrier de la LPHF, qui passera de 24 à 32 matchs par équipe en 2024-2025, ne permettra probablement pas de continuer à tenir l'événement dans le format que l'on connaît.

Lors du dernier Championnat du monde, les dirigeants de la Fédération internationale de hockey sur glace (IIHF) et ceux de la LPHF ont discuté de vivre-ensemble.

L'IIHF a notamment démontré une ouverture pour synchroniser la date de tous ses championnats mondiaux avec la trêve internationale de la LPHF afin de permettre à toutes les joueuses d'être présentes sur les deux tableaux sans conflit d'horaire. Elle souhaite aussi arrimer son livre des règlements avec celui des ligues professionnelles afin de s'ajuster à leur tolérance vis-à-vis la mise en échec. L'adoption de certains règlements propres à la LPHF est aussi sur la table.

Les ligues professionnelles européennes ont aussi commencé à ajuster le tir pour tenter de combattre l'exode attendu de leurs meilleures joueuses vers le rêve américain. La SWHL, en Suisse, a augmenté ses salaires afin d'influencer la réflexion de joueuses qui pourraient être tentées de quitter ou d'en attirer d'autres en provenance d'autres pays européens.

Futur effervescent

Aussi fascinante la naissance de la LPHF a-t-elle été à documenter, la suite promet de l'être encore davantage.

Le prochain repêchage, prévu en juin, devrait déjà changer le visage de la ligue de façon considérable. Un afflux majeur de joueuses en provenance de l'Europe – des joueuses qui étaient contractuellement liées à leur club domestique lors de la création de la LPHF – est prévu. Leur arrivée, combinée à la graduation d'une nouvelle cohorte en provenance des rangs universitaires américain, augmentera exponentiellement le niveau de jeu du circuit Walter.

Des joueuses ayant participé à l'An 1 baisseront inévitablement dans la hiérarchie de leur club. Plusieurs autres ne seront pas en mesure de parapher un autre contrat.

Quel sort sera réservé à ces « exclues »? Contrairement à ses pendants masculins, la LPHF n'est pas affiliée à une ligue de développement et le concept d'équipe réserve ne fait pas partie de sa structure. Même un agrandissement de ses effectifs est peu envisageable tant que les termes de la convention collective ne seront pas renégociés. Présentement, chaque équipe de la LPHF est composée de 23 joueuses régulières et trois joueuses réservistes qui ne peuvent être promues qu'en cas de blessure.

Le scénario le plus attrayant pour les joueuses qui perdront leur poste serait alors de s'envoler pour l'Europe.

Une expansion réglerait le problème, mais même s'il est clair que les succès vécus dans les six marchés originaux feront des petits, rien n'est dans les plans à court terme. Un dirigeant interrogé sur la question croit que l'ajout de nouvelles franchises pourrait survenir à la fin du présent cycle olympique.

D'ici là et même au-delà, de nombreuses batailles devront continuer à être menées. Les conditions dont bénéficient les meilleures joueuses de hockey au monde grâce à la création de la LPHF sont plus avantageuses que ce qu'elles ont jadis connu, mais elles sont encore loin de ce qui est accordé à leurs homologues masculins.

En introduction du balado que nous avons enregistré sur le sujet, la collègue Daphnée Malboeuf demande si le temps est venu d'enfin crier victoire. On est tenté de répondre qu'il est certainement de mise de crier « enfin! », mais qu'il est encore trop tôt pour parler de victoire.