MONTRÉAL – En 2006, l’entraîneur québécois Serge Pelletier cherchait un adjoint pour l’appuyer avec le club Fribourg-Gottéron. Louis Matte a refusé cette offre, mais il avait le candidat idéal à suggérer pour obtenir un entraîneur au profil similaire : son jumeau, René Matte. 

Après six saisons dans la LHJMQ, ce dernier sentait que le moment était bien choisi pour tenter la même aventure que son frère qui était établi en Suisse depuis 1997. 

S'exiler en Suisse pour goûter au hockey professionnel

« Ma première expérience comme entraîneur-chef (avec les Saguenéens de Chicoutimi) ne s’était pas très bien passée. Je suis revenu deux ans comme adjoint à Shawinigan avec Denis Francoeur et Éric Veilleux. Pendant la deuxième saison, une job s’est ouverte ici. Mon frère connaissait le milieu, j’avais déjà vu des matchs de la Ligue suisse et ça me tentait de toucher au hockey professionnel. Je me suis dit que j’irais voir pendant les neuf mois du contrat et ça fait 15 ans maintenant. Je pense que ça n’a pas trop été une mauvaise décision », a raconté Matte en souriant. 

« Les gens de Fribourg ne savaient pas si j’allais avoir de l’intérêt. Sauf que je ne partais pas dans l’inconnu. Oui, je prenais l’avion et quand la porte s’est fermée, j’espérais que j’avais pris la bonne décision. Mais je connaissais déjà la Suisse, j’avais déjà voyagé là-bas et j’avais été bien briefé par mon frère et Guy Lamontagne (qui a dirigé en Suisse). Il fallait juste que je m’adapte au pays parce que c’est un autre monde », a-t-il enchaîné. 

Pour notre série, c’est le troisième entraîneur québécois établi en Suisse avec lequel on a eu le plaisir de bavarder. Il semblerait que l’adaptation fut plus éprouvante dans son cas. 

« Je suis obligé de te dire que si on m’avait dit, après deux ou trois mois, ‘Tu reviens au Canada parce qu’on te fait une offre’, je pense que je serais revenu. L’adaptation a été difficile au départ. D’être seul avec un rythme de vie complètement différent. Oui, on est toujours à la maison et c’est incroyable pour la qualité de vie du côté du voyagement. Mais j’étais seul et je trouvais ça long. C’est congé le dimanche, rien n’est ouvert, c’est pour du temps en famille. J’avais de la misère à trouver ma place. Pour moi, je m’excuse, mais c’était un peu emmerdant », a-t-il avoué. 

Rien pour aider, son nouveau club traversait des difficultés financières, mais la situation s’est replacée avec une injection monétaire de la banque de Fribourg et il a choisi de poursuivre l’association. 

Fin 2020, Matte œuvre désormais pour Ambri-Piotta, un club aux moyens modestes, pour une quatrième année d’affilée et il a trouvé ses repères. 

« L’adaptation a été importante, mais tu me demanderais de faire le chemin inverse demain matin et je pense que ce serait difficile aussi. Tu te crées des habitudes », a convenu l’entraîneur de 48 ans.  

L'évolution d'un entraîneur

Le travail a joué un grand rôle, mais le plaisir en Suisse s’est aussi manifesté grâce à la rencontre, lors de sa deuxième saison, de celle qui allait devenir sa femme et la mère de leur fille. 

Mais ce facteur ne le retiendrait pas automatiquement dans son pays d’adoption. 

« Si je recevais d’autres offres, je regarderais quand même. On a déjà parlé du sujet ensemble et elle aimerait peut-être essayer de vivre au Canada. Toutes les portes sont ouvertes, mais je ne me pose pas trop de questions. Je suis dans la partie italienne de la Suisse, de l’autre côté du tunnel du Gothard. On s’est bien adaptés, on apprend une nouvelle langue. On espère que la saison se terminera d’une belle façon. On verra pour le futur, c’est ma dernière année de contrat », a commenté Matte qui a désormais un penchant pour le calibre professionnel. 

« Le hockey pro m’intéresserait plus. Sans dire que les jeunes vont te bouffer de l’énergie, tu passes moins de temps à travailler sur le côté tactique, la préparation des plans de matchs et développer tes joueurs », a-t-il admis.  

Parlant d’adaptation, c'est amusant de constater en quelques secondes qu’il n’a pas intégré l’accent suisse autant que son frère. 

René Matte conserve ses racines québécoises

« C’est pour une raison fort simple. Depuis 15 ans, je n’ai jamais eu à me forcer à bien parler. Je devrais plus dire par rapport à l’accent. Louis a commencé en coachant les jeunes, il a dû faire attention. De mon côté, je travaille en anglais plus de la moitié du temps. À Fribourg, c’était français et anglais. Ici au Tessin, c’est italien et anglais. Les seuls efforts que je dois faire, c’est quand je collabore à la télévision. Là, je ne dois pas sortir d’anglicisme et mon accent doit être moins prononcé. Mais sinon, avec ma femme et ma fille, je parle en Québécois. J’ai mes expressions. Elles m’imitent parfois et elles prennent mes expressions », a décrit Matte avec le sourire. 

Apprendre à aimer ses joueurs

Il fait référence à une période de deux ans durant laquelle il a agi en tant qu’analyste pour le réseau RTS. 

« Après Fribourg, j’ai été deux ans sans emploi comme entraîneur. J’ai fait plus de télévision avec la télé RTS en français. Deux ans comme analyste pour les équipes nationales et les matchs de la Ligue nationale A », a expliqué Matte qui a rebondi avec Ambri-Piotta. 

Ce club venait de connaître une saison très difficile menant au tournoi qui peut provoquer la relégation et il est devenu l’adjoint de Luca Cereda, un jeune entraîneur de 39 ans. 

« Après la saison, ils ont décidé de faire peau neuve et je suis rentré en contact avec leur nouveau directeur sportif pour signifier mon intérêt. Luca cherchait un partenaire avec de l’expérience et plus de cheveux blancs que lui pour l’aider », a noté Matte. 

Le défi ne s’annonçait pas reposant surtout que l’argent ne coule pas à flots à sa nouvelle destination.  

« C’est un club établi dans une petite vallée. Si tu viens au village d’Ambri, tu ne penses pas qu’un club professionnel est basé ici. Il doit y avoir 250 personnes. On a le plus petit budget de la Ligue. On doit composer avec ça et trouver des solutions pour améliorer nos joueurs sur différents aspects. On devrait avoir une nouvelle patinoire l’an prochain donc on espère que ça nous aidera à obtenir plus de financement pour hausser le budget. Sur 12 équipes, on est 12e », a reconnu Matte en nous donnant le goût d’aller découvrir ce petit coin paisible. 

Ça nous amène sur une réalité moins souvent explorée par rapport au hockey européen. 

« En Suisse, on n’a pas la manne de joueurs à notre disposition comme au Canada. Au Canada, si un ou deux joueurs ne veulent pas rentrer dans les rangs, tu dis ‘Vous n’avez pas compris et on passe à un autre appel’. Ici, un peu comme d’autres entraîneurs avec lesquels j’ai travaillés, tu dois apprendre à les aimer. Il faut faire avec nos joueurs et essayer de les améliorer, leur faire comprendre notre philosophie pour qu’ils poussent dans notre sens », a témoigné Matte en précisant que les joueurs suisses ont besoin de directives précises, ils raffolent moins de l’improvisation dans le jeu. 

Avec l'équipe de France grâce à son frère 

Depuis la saison 2018-2019, Matte a ajouté une corde très intéressante à son arc. Il exerce le rôle d’adjoint avec l’équipe nationale de France. C’est inusité, mais, encore une fois, le filon provient de son frère. 

« C’est sûr que je lui en dois plus qu’une. Il m’a donné quand même deux grosses opportunités », a mentionné Matte avant de dévoiler le contexte. 

Philippe Bozon, l’entraîneur de France et ancien joueur des Blues de St. Louis, a déjà dirigé avec Louis Matte dans le système junior de Genève-Servette. 

Miser sur le développement des joueurs

« Quand il a été promu, il avait offert un poste d’adjoint à mon frère. Pour lui, ce n’était pas possible avec son club, ça prenait des permissions. Louis a dit qu’il avait peut-être un candidat à suggérer et Philippe m’a appelé par la suite. Mon club devait pouvoir me libérer pour les trois pauses internationales en novembre, décembre et février tout comme en fin de saison et les dirigeants ont accepté », a expliqué Matte qui s’occupe des défenseurs. 

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a hâte de retourner sur la glace avec ce groupe. 

« J’y suis allé la première année. Mais, l’an passé, on était qualifiés pour la Ligue des champions donc j’ai raté le rendez-vous de novembre tout comme celui de décembre parce que j’avais la coupe Spengler à Davos. En février, bienvenue au coronavirus alors le Championnat du monde a été annulé en mai et c’est la même chose pour novembre. Ça faisait quasiment un an qu’on n’a pas travaillé ensemble, mais on se parle presque toutes les semaines au téléphone. En espérant que la pandémie arrêtera un jour », a lancé Matte. 

En attendant, il peut se rabattre sur le calendrier suisse qui est maintenu, au minimum, jusqu’au 1er décembre à moins d’une augmentation des restrictions de la santé publique. Il suit d’ailleurs le contexte particulier de la LHJMQ et il demeure en contact avec des confrères du Québec incluant Patrick Roy. 

« On se parle assez régulièrement, il me pose des questions sur la réalité ici et les règlements. Il a une immense expérience, il peut m’aider pour un avis. Fidèle à lui-même, il me dit la vérité, c’est blanc ou noir », a conclu Matte qui a dû apprendre à négocier avec quelques nuances de gris en lien avec la réalité du hockey suisse.