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RÉSULTATS

Le printemps 2006 a tout changé pour Jean Huynh, adjoint au gérant de l'équipement du Rocket

Jean Huynh (au centre) - Rocket de Laval
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La Place Bell est bien tranquille en cet après-midi d'automne.

 

Le Rocket s'est entraîné en matinée et part le lendemain pour un voyage de trois matchs qui débutera à Utica.

 

Les joueurs ont tous quitté, ce qui permet une rare incursion dans les quartiers du club-école des Canadiens. Impossible de faire abstraction des immenses photos en noir et blanc qui ornent les murs. Maurice Richard est partout, comptant ou célébrant des buts comme il savait si bien le faire.

 

Quelque part dans ce labyrinthe se trouve le local occupé par l'adjoint au gérant de l'équipement, Jean Huynh. Son repaire est un atelier où on découvre une panoplie d'outils et des machines à coudre.

 

Comme tous ses confrères, le jeune homme travaille du matin au soir pour s'assurer du confort des joueurs et des entraîneurs. Ce qui le différencie des autres, ce sont ses origines vietnamiennes. Jean est une des rares figures asiatiques dans le milieu du hockey.

 

À première vue, rien ne le prédestinait à faire carrière dans cet univers. Ses parents ont immigré au Québec dans les années 80. Jean est né à Montréal et a grandi dans le quartier Saint-Michel. Personne dans sa famille ne s'intéressait de près aux performances des Canadiens.

 

« Encore aujourd'hui, quand on parle de moi, je suis le cousin qui aime le hockey » dit-il en riant.

 

En 2006, le Tricolore affronte les Hurricanes de la Caroline au premier tour des séries. C'est le principal sujet de conversation à l'école secondaire et l'adolescent se laisse prendre au jeu. Sa passion nait au moment où Cam Ward éteint les espoirs de la bande à Kovalev. À 13 ans, il commence à jouer au hockey, mais réalise rapidement que ce n'est pas sur la glace qu'il fera carrière.

 

Ses premiers pas comme gérant d'équipement s'effectuent avec l'équipe de hockey du collège Dawson, où il complète un diplôme en gestion de commerce. L'aventure se poursuit à l'université McGill, avec l'équipe féminine, en parallèle de ses études en relations industrielles.

 

L'entraineur-chef Peter Smith demeure, à ce jour, une figure marquante de son parcours : « Peter m'a fait confiance. Il a été le premier qui m'a poussé là-dedans et ça m'a aidé. »

 

Des Maritimes à la couronne Nord

 

Jean fait ensuite sa valise, direction Bathurst au Nouveau-Brunswick, afin de joindre l'organisation du Titan dans la LHJMQ pour la saison 2017-2018, lui qui n'a jamais quitté Montréal se retrouve désormais à quelques 800 km de la maison.

 

« J'ai juste foncé pour ma carrière et j'ai été chanceux» Chanceux, oui, de remporter la Coupe du Président et la Coupe Memorial à l'issue de sa première saison dans le junior majeur.

 

Chanceux aussi parce que son parcours s'est poursuivi avec le Phoenix de Sherbrooke, les Lions de Trois-Rivières dans l'ECHL et finalement avec le Rocket de Laval depuis août dernier. Mais surtout, parce que ses années dans le hockey n'ont pas été marquées par des épisodes de racisme comme d'autres ont dû endurer.

 

 C'est sûr que je ressors du lot, mais je ne me suis jamais senti poussé dans un coin. Je suis chanceux d'avoir croisé de bonnes personnes, mais je sais que ce n'est pas partout comme ça. »

 

D'un ton posé, le travailleur de l'ombre admet qu'il a déjà entendu des blagues ou des remarques stéréotypées, mais jamais dans le but de le blesser. Il reconnait avoir vécu des incidents frustrants qu'il attribue à de l'ignorance plus qu'à du racisme, comme lors de cette soirée avec des amis dans un bar de Bathurst.
 

« Quelqu'un a commencé à me dire des mots comme chinchong, comme s'il pensait parler asiatique. Des gens que je ne connaissais pas sont allés le voir pour lui dire que c'était ignorant ce qu'il faisait et que ce n'était pas approprié. » Cet appui de la communauté l'a profondément marqué.

 

En 2022, le hockey professionnel demeure un milieu majoritairement masculin et blanc, mais des exemples féminins ou issus de différentes communautés ethniques commencent tranquillement à émerger. Dans la LNH, Nick Suzuki, Kailer Yamamoto ou Jason Robertson représentent fièrement leurs origines asiatiques.

 

À l'inverse, certaines controverses prouvent que la roue tourne encore très lentement. Récemment, les Bruins de Boston ont accordé un contrat à Mitchell Miller, coupable de racisme et d'intimidation à répétition auprès d'un jeune élève, alors qu'il était au secondaire. La décision a été renversée après une pluie de critiques, y compris en provenance du vestiaire de l'équipe.

 

Lorsque je demande à Jean ce qu'il pense de ce dossier, il prend un instant pour formuler sa pensée et répond plutôt en s'interrogeant : « Est-ce que c'est une décision éthique ou une décision business? Est-ce que ça pèse plus d'aider l'équipe à gagner ou d'avoir une équipe morale? [...] À quel point es-tu prêt à mettre tes valeurs de côté pour gagner»

 

La réflexion est lancée.

 

Le temps file. Jean doit retourner travailler. Une dernière question avant de quitter : « Ton nom de famille, Huynh, ça se prononce comment? »

« Win, comme gagner en anglais. »

Son nom et son parcours sont synonymes de victoire. Et ça ne fait que commencer.