Passer au contenu principal

Alistair Johnston, le leader naturel

Publié
Mise à jour

MONTRÉAL – David Masur a commencé sa carrière d'entraîneur en 1984. En 38 ans, il a vu plusieurs centaines de joueurs entrer et sortir de son vestiaire. C'est en signalant son numéro que ça nous frappe : et s'il ne se rappelait pas d'Alistair Johnston?

Il répond, on se présente et on lui pose simplement la question. Dans sa voix, l'incrédulité. Comme si on venait de lui demander s'il savait qu'un ballon est rond.  

« Mais bien sûr que je me rappelle d'Alistair. Bien sûr! », s'exclame le sexagénaire.   

Bien sûr, où avait-on la tête? Après tout, il y a à peine cinq ans que Johnston a quitté le programme de l'Université St. John's, qui n'est pas réputé pour produire une tonne de joueurs d'impact en MLS. Normal qu'il ait laissé une profonde empreinte sur son alma mater.

Mais il n'y a pas que ça, et on le comprend un peu plus à chaque conversation qui tourne autour du joueur défensif de l'année chez le CF Montréal. Johnston n'est pas le genre de gars qu'on oublie une fois qu'on a appris à le connaître.

« C'est un vrai », résume simplement Samuel Piette, son coéquipier depuis un an au CF Montréal.

Le contexte dans lequel Piette nous fait cette confidence permet de cerner une facette de la personnalité de Johnston. Nous sommes au Centre Nutrilait pour discuter, à tour de rôle, avec les joueurs du CF Montréal qui sont considérés pour représenter la sélection canadienne à la Coupe du monde. Piette attend son tour à l'extérieur de la pièce; on lui fait signe de patienter un instant. Il nous reste une dernière question à poser à son coéquipier.

La réponse dure six, peut-être sept minutes.

« L'avenir de Kamal [Miller] est dans le sport. Quand il aura fini de jouer, il sera un coach ou un agent. Alistair n'aura pas d'après-carrière dans le soccer. Il sera un politicien ou quelque chose du genre », prédit Patrice Gheisar, qui a dirigé les deux joueurs au Vaughan Soccer Club dans la région de Toronto.

La contribution de Johnston dans les succès du CF Montréal n'a pas échappé à quiconque a pris la peine d'observer ne serait-ce qu'un match de l'équipe cette saison. Infatigable piston sur le côté droit du terrain, celui pour qui le CFM a payé un million de dollars en argent d'allocation pour en faire l'acquisition du Nashville SC a marqué quatre buts et fourni cinq passes décisives, deux sommets personnels. Il a terminé quatrième dans le camp montréalais pour le nombre de passes réussies dans le tiers offensif (619) et deuxième, derrière seulement Djordje Mihailovic, avec 29 centres.

Mais son impact s'est aussi mesuré dans les petits détails qu'on ne comptabilise pas sur la feuille de match. Son sourire indélébile, son gigantesque charisme et son entregent rassembleur en ont fait l'une des figures de proue de sa nouvelle équipe.

« Tous les gars sans exception l'adorent. Je n'ai pas vu beaucoup de gars s'intégrer aussi rapidement dans un groupe », souligne Piette.

Éclosion à Wake Forest

Bobby Muuss n'est pas surpris.

Muuss a été l'entraîneur de Johnston pendant deux ans chez les Demon Deacons de l'Université Wake Forest, l'un des meilleurs programmes de soccer de la NCAA. En 2018, après deux saisons à St. John's, Johnston a demandé à y être transféré même si on ne pouvait lui donner aucune garantie quant aux responsabilités qui lui seraient confiées.

« Quelques entraîneurs m'avaient fait miroiter de belles choses, se remémore Johnston. Bobby m'avait appelé et m'avait dit qu'il m'aimait beaucoup, mais qu'il ne pouvait me promettre rien d'autre que de m'offrir les outils qui me permettraient de connaître du succès. Ça m'a parlé. On ne m'avait jamais rien donné sur un terrain et j'aimais l'idée d'aller mériter mon poste là-bas. C'est la meilleure décision que j'aie jamais prise. »   

À sa première saison en Caroline du Nord, Johnston a fini par jouer dans 21 matchs, mais aucun dans un rôle de partant. Néanmoins, il s'est à ce point incrusté dans l'ADN de sa nouvelle équipe que Muuss en a fait son capitaine la saison suivante.

« Un leader incroyable, s'épate encore l'entraîneur des années plus tard. Porter le brassard de capitaine à Wake Forest après seulement un an, c'est du jamais vu. Mais la rapidité avec laquelle il s'est intégré et a tissé des liens avec les gars est inouïe. Ce genre de transition ne se fait jamais sans quelques petits accrochages, mais je m'imagine difficilement comment ça aurait pu être plus fluide que ça. »

« Alistair est juste le genre de gars avec qui tu veux passer du temps, enchaîne Muuss. Même cette année, notre équipe était en camp d'entraînement en Floride et Alistair n'avait pu suivre son équipe au Mexique en raison de la COVID. Il avait besoin d'un endroit où garder la forme et il a passé la semaine avec nous. Il a pris nos plus jeunes sous son aile et a fait du temps supplémentaire avec eux à l'entraînement. Les joueurs, les coaches, le personnel... tout le monde tournait autour de lui. »

La voie rapide

Dans ce naturel élan de générosité, Johnston a sans doute aussi vu l'occasion de rembourser une partie de la dette qu'il avait contractée durant son parcours scolaire. Parce qu'autant il avait été bon pour Wake Forest, autant Wake Forest a été bon pour lui.

« Bobby Muuss a changé Alistair en le convertissant en défenseur, relate Patrice Gheisar. Avant sa dernière année à l'université, je peux te garantir qu'aucune équipe de la MLS n'avait ce gars-là sur son radar. Il a tout simplement explosé. »

Johnston évoluait au poste de milieu offensif en arrivant à Wake Forest. Pour dire à quel point la citation de Gheisar frappe dans le mille, voici ce que Johnston se rappelle avoir pensé quand on lui a annoncé qu'on voulait lui imposer une transition à une nouvelle position : « Je savais qu'une équipe de la CPL allait me repêcher comme milieu central. Qu'est-ce qui allait m'arriver si je ne valais pas un rond comme défenseur? J'imaginais le pire, je voyais mon rêve de jouer pro s'envoler. »

Faute d'alternatives plus constructives, Johnston a décidé de relever la tête et de regarder son nouveau défi en face. Il s'est donné comme objectif de devenir le meilleur latéral droit de la puissante Atlantic Coast Conference (ACC). Il s'est enfermé dans la salle de vidéos, s'est forcé à prolonger ses entraînements et s'est fait un devoir d'entraîner Justin McMaster, l'ailier droit de l'équipe, dans son obsession. Les deux ont rapidement développé une dangereuse complicité.

« Plus la préparation pour la saison avançait, plus je réalisais que ça allait finalement être un très bon "move" pour moi. D'une certaine façon, ça m'a libéré de mes chaînes, si je peux dire. J'avais la liberté de courir et de démontrer mes qualités athlétiques. Je n'oublierai jamais un entraînement en particulier où moi et Justin, on sprintait dans le couloir, on se dédoublait, on envoyait des ballons dans la surface en malade... j'avais jeté un coup d'œil vers le coach et il avait ce grand sourire accroché dans le visage. Il se demandait pourquoi il n'avait pas essayé ça avant. »

Finalement, ce que Johnston voyait comme un tapis de clou sur son modeste parcours a plutôt été son clignotant vers la voie rapide. À la fin de la saison, le Nashville SC l'a sélectionné avec le 11e choix au SuperDraft de la MLS.

« Les équipes savaient que je n'avais que trois ou quatre mois d'expérience à cette position. Elles se demandaient ce que ça serait quand j'aurais plus d'expérience. »

Un silence d'or

L'avenir a démontré qu'il s'agissait d'un judicieux pari. Après deux ans à Nashville, Johnston a été échangé à Montréal en retour d'une compensation monétaire dans les sept chiffres. Le système de Wilfried Nancy lui a permis de s'éclater dans son couloir et de connaître la meilleure saison offensive de sa jeune carrière. Parallèlement, il est devenu un incontournable au sein de la dynamique sélection canadienne.

« Ça fait juste prouver qu'il y a tellement de façons d'accéder au niveau professionnel, philosophe-t-il. Tout le monde ne peut pas être Alphonso Davies. »

La sagesse et la paix d'esprit ne lui ont toutefois pas fait oublier les affronts qu'il a subis en début de parcours. Derrière ce grand blond au sourire charmant se cache un compétiteur belliqueux qui cherche encore à faire propager le regret chez ceux qui n'ont pas cru en lui.

Sa première poupée vaudou porte les couleurs du Toronto FC. La cause de sa rancune : Johnston jouait dans une équipe « paquetée » à Richmond Hill quand le TFC a ouvert les portes de son académie aux joueurs de son groupe d'âge. « Ils ont recruté notre XI partant au complet, sauf moi, raconte celui qui avait commencé son parcours athlétique au Aurora Youth Soccer Club. Ils disaient que j'étais trop petit. J'ai une dent contre Toronto depuis ce temps-là. »

Johnston a entendu le même refrain dans ses tentatives de percer dans les programmes provinciaux.

« C'est drôle, j'étais allé dans un camp d'identification et on m'avait dit qu'on m'aimait bien, mais qu'on ne pensait pas que je pouvais frapper les longs ballons. J'étais comme "man, c'est l'affaire que je fais le mieux!" À partir de ce moment, j'ai décidé de faire mes petites affaires sans me soucier des sceptiques. J'ai enregistré leurs commentaires, j'ai internalisé leurs doutes et j'ai utilisé ça pour faire mon petit bonhomme de chemin. »

« Maintenant, je repense à tous ces gars qu'ils ont pris à ma place... Que sont-ils devenus aujourd'hui? »

Johnston s'appuie lentement contre le dossier de sa chaise, croise la jambe droite par-dessus la gauche et laisse la question en suspens. Même pour le plus habile des orateurs, les mots les plus justes sont souvent ceux que l'on ne prononce pas.

Suivez tous les matchs de la Coupe du monde de soccer sur les différentes plateformes de RDS.
Vous pouvez vous abonner sur RDS.ca