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Gros cœur, cœur tendre : la dualité du « taureau » Cóccaro

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ORLANDO et ST. PETERSBURG, Floride – « Vous avez aimé Cóccaro? » Dans le petit local défraîchi sous les gradins du Stade Al Lang, les yeux de Laurent Courtois brillent. Son nouvel attaquant vient de disputer ses premières minutes avec le CF Montréal. Ce n'était qu'un match préparatoire, mais l'entraîneur a aimé ce qu'il a vu. « C'est un taureau », dit-il avant de s'asseoir pour rencontrer les médias.

Pendant une audition d'une trentaine de minutes, son numéro 9 a confronté un adversaire pour défendre un coéquipier, en a fauché deux autres dans des duels aériens, a provoqué une faute en sprintant pour tenter d'atteindre un ballon dans la profondeur, a pressé sans relâche les défenseurs adverses et a raté une chance de marquer sur un tir à bout portant.

Était-il au courant qu'il n'y avait pas de coupe à l'enjeu?

« J'ai adoré ça! Je crois que c'est exactement ce dont on a besoin, cette étincelle », s'emballait Joel Waterman après ce divertissant spectacle.

Depuis que Cóccaro est arrivé dans sa nouvelle équipe, Waterman n'est jamais bien loin pour tenter de faciliter son intégration. Il l'a accompagné dans ses premiers exercices au Cégep Marie-Victorin. Il a continué de lui indiquer la marche à suivre dans les séances d'entraînement en Floride. « À l'extérieur du terrain, c'est un gars fantastique. Sur le terrain, il y a un autre côté de sa personnalité qui embarque », a-t-il remarqué.    

Sans ses crampons, Cóccaro sera aperçu en train de siroter son maté, de rigoler avec un coéquipier ou d'apprendre quelques mots de français. Presque sans exception, un sourire ornera son visage. Ce compétiteur sans remords sur le terrain est un gentleman calme et sensible une fois son maillot remisé.  

Cette dualité ne lui est pas unique, mais elle est particulièrement frappante dans son cas. Derrière chaque facette de sa personnalité, il y a un homme qui sait d'où il vient et qui, conséquemment, réalise la valeur et la fragilité de ce qu'il possède.

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Matías Cóccaro a grandi à Pirarajá, un village de moins de 1000 âmes situés à environ 200 kilomètres de la capitale de l'Uruguay. La grande majorité des habitants y vivent de l'agriculture. Il est le plus jeune, et le seul garçon, d'une famille de quatre enfants. Son père Fernando, qui est propriétaire d'un bar, et sa mère Raquel, qui est en charge de l'entretien ménager pour le compte de la municipalité, sont aujourd'hui divorcés.

« Grandir dans un village aussi petit et aussi modeste, c'est différent. Tu apprends à valoriser la simplicité des choses car tu possèdes le strict minimum d'un point de vue matériel », expose Cóccaro dans une longue entrevue qu'il a accordée à RDS dans sa langue maternelle.

« Quand je suis à l'entraînement ici, tous les terrains sont les meilleurs terrains, mes crampons sont les meilleurs, mes vêtements sont les meilleurs. Nous résidons dans un hôtel qui, pour moi, est un rêve. Peut-être que pour quelqu'un d'autre, tout ça c'est normal, mais pour moi ce ne l'est pas. Tu as de l'eau chaude, des vêtements, tu peux manger à tout moment, beaucoup de choses que je n'ai pas toujours eues. »

« Je crois qu'aujourd'hui, je suis en mesure de valoriser tout ce que j'ai pu accomplir jusqu'ici car j'ai dû souffrir pour arriver ici. »

Cóccaro n'a pas toujours eu ce recul qui est souvent nécessaire à l'expression d'une telle reconnaissance. En vérité, son immaturité lui a presque coûté sa carrière.   

Erreurs de jeunesse

Au début de l'adolescence, il quitte le cocon familial pour aller étudier à Minas, la capitale du département de Lavalleja. « Mes parents ne pouvaient pas se permettre de me soutenir financièrement, alors je me suis trouvé un petit boulot dans une compagnie de bois de chauffage. J'avais 14, 15 ans et si je ne travaillais pas, je n'étudiais pas. » Le sport passe alors troisième dans sa liste de priorités.

« J'ai toujours utilisé le football pour progresser dans ma vie. Pas parce que je voulais devenir footballeur, mais parce que ça me donnait, à moi et à ma famille, la possibilité d'avoir un meilleur statut social, une meilleure qualité de vie. »

En 2017, Cóccaro part en Europe pour y faire des essais en Italie et en Belgique. Sur les terrains, il estime s'être bien tiré des affaires, mais le voyage ne se passe pas comme prévu.  

« J'étais jeune, très jeune. Peut-être que mon entourage à ce moment-là n'était pas le meilleur, et quand tu es entouré de mauvaises personnes avec une mauvaise influence, les choses ne peuvent pas bien se passer. J'ai été immature, mais surtout quand j'ai eu à choisir mes amitiés. Je ne m'appliquais pas aux entraînements. Parfois je n'y allais même pas car je me sentais supérieur au reste. Comme si le Matías de Pirarajá était devenu un autre Matías à ce moment-là. »

Il rentre et se place à Tucumán, en Argentine, mais il ne s'y plaît pas et n'y reste que cinq mois avant de retourner en Uruguay. Au Rampla Juniors FC, il retrouve des conditions qui n'ont rien d'un environnement professionnel comme on les connaît ici.

« On n'avait même pas de terrain d'entraînement. On faisait nos pratiques dans un parc. Les buts, c'était soit des arbres ou des piquets. Même s'il s'agissait d'un club de première division, qui jouait en Copa Sudamericana, on n'avait pas de vêtements d'équipe, pas de gym... chaque joueur apportait ses pièces d'équipement personnelles pour le conditionnement physique. Je suis passé d'avoir un salaire intéressant à en gagner moins du dixième. Nous étions payés à chaque trois ou quatre mois. J'avais même des coéquipiers qui travaillaient le jour et venaient ensuite disputer les matchs. »

« J'ai eu beaucoup de succès cette saison-là, je n'avais que 19 ans. Mais en raison d'un problème personnel, j'ai pris la décision d'arrêter le football et je n'ai pas joué pendant quatre mois. Durant cette période, j'ai repris les études et le travail, je ne voulais plus jouer du tout. La tête ne suivait plus, j'étais fatigué. »

Un jour, il reçoit une vidéo de son père dans laquelle celui-ci l'encourage à quitter Pirarajá et à tenter de nouveau sa chance. Plus tard, pendant qu'il est dans les gradins à un match de son ancien club, un homme l'approche et lui propose de se joindre à Villa Teresa, en deuxième division. L'offre lui permet de poursuivre ses études « sans devoir travailler comme cuistot, serveur ou autre ». Il accepte.

« C'est comme ça que j'ai recommencé à jouer au football. »

Les larmes d'El Zorro

Rapidement, Cóccaro grimpe les échelons. Il remonte en première division uruguayenne, à City Torque, puis est prêté à Huracán dans le championnat argentin. Il y est transféré de façon permanente en 2022.

Dans ce club plus que centenaire basé à Buenos Aires, Cóccaro devient rapidement un favori de la foule. Dès son arrivée, il marque sept buts en 864 minutes de jeu. Ses performances aident son équipe à passer du 21e au huitième rang du championnat. Après une victoire de 2-1 dans un clásico contre San Lorenzo dans lequel il participe au but décisif, le moustachu se présente devant les partisans vêtu d'une cape et d'un masque. Il quitte le stade avec un nouveau surnom, El Zorro, et une horde de nouveaux admirateurs.

C'est le début d'une histoire d'amour. À l'Estadio Tomás Adolfo Ducó, Cóccaro célèbre ses buts en grimpant et en hurlant sa joie dans les grillages qui séparent les spectateurs du terrain. En 2022, il en marque 12 en plus de 3000 minutes, toutes compétitions confondues. En entrevue, il déclare qu'Huracán est l'endroit où il se sent finalement chez lui.

« J'aurais pu quitter plus tôt, faire plus d'argent ailleurs, mais j'ai préféré sacrifier le côté financier pour aider le club, révèle-t-il. Les gens valorisent ce genre de choses, c'est pourquoi ils m'ont adopté de la sorte. »

Peu après que le départ de Cóccaro pour Montréal eut été annoncé, une vidéo a fait surface sur les réseaux sociaux. On y voit une fillette, interviewée à la télévision argentine en compagnie de son idole, le remercier pour toujours avoir pris le temps de lui signer des autographes ou de prendre des photos avec elle. Au milieu de sa réponse, elle fond en larmes. Son joueur favori se penche pour lui faire l'accolade et lorsqu'il se relève, c'est lui-même qui ne peut retenir ses sanglots.  

« Personnellement, je crois que c'est super important que chaque joueur soit près des supporters, réagit-il lorsqu'on lui rappelle cette scène. Quand j'étais petit, j'aurais adoré qu'un joueur vienne me voir, me parle, me serre la main... c'est exactement ce joueur que j'ai envie d'être. Parfois je pouvais passer deux heures à prendre des photos avec eux après un entraînement. Quand un enfant me reconnaissait dans la rue, je prenais toujours le temps de lui parler, comme je l'aurais voulu à cet âge-là. »

« Je comprends le supporter de l'autre côté. Moi, je supporte Nacional, en Uruguay, et quand j'étais joueur d'académie, j'aurais adoré que El Chino Recoba vienne se prendre en photo avec moi. En général, c'est une philosophie qui caractérise le joueur uruguayen et j'essaie de le faire à ma manière. »

À 26 ans, Cóccaro rêve encore à l'Europe et il croit que la MLS est une bonne porte d'entrée pour y retourner. La ligue offre des conditions qui lui permettront de se concentrer uniquement sur son travail sur le terrain. La présence de joueurs comme Lionel Messi et son compatriote Luis Suárez augmentera l'intérêt pour ce championnat partout dans le monde. Il espère pouvoir en bénéficier, mais il sait que pour que cette vision se concrétise, il devra d'abord aider Montréal à gagner.

Combien de buts marquera El Zorro cette saison? Cinq? Dix? Quinze? Quelque chose nous dit que ça n'a pas trop d'importance. Bien qu'un attaquant sera toujours jugé sur sa capacité à mettre le ballon derrière le gardien adverse, Cóccaro a tout ce qu'il faut pour faire palpiter le Stade Saputo avant même d'avoir posé le pied sur un ballon.