L'inéluctable destin de Suzanne et Ismaël
DOHA, Qatar – Suzanne Diomandé a nommé son fils unique Ismaël Kenneth Jordan Koné.
Ismaël, « c'est un nom religieux, à la fois chrétien et musulman. » Kenneth était simplement le prénom, agréable à l'oreille, qu'une voisine avait donné à son fils dans leur quartier d'Abidjan, en Côte d'Ivoire.
Et Jordan? « J'étais jeune, susurre-t-elle, un peu embarrassée. Mais c'était le rêve américain. »
Le benjamin de l'équipe canadienne de soccer à la Coupe du monde a peut-être toujours été destiné à une grande carrière sportive, après tout.
Son père, Salif, était un joueur de foot aux capacités modestes. Béco par contre, son oncle maternel, a atteint les équipes de jeunes de la sélection ivoirienne.
« Il avait ce petit talent. Je me rappelle une fois, j'étais revenue du travail et un monsieur m'attendait. Je me demandais ce qu'il me voulait mais il m'a dit : "Votre petit, il est vraiment bon, on aimerait qu'il vienne s'entraîner avec nous'. Ce n'était pas une vraie académie, mais un petit endroit où tu payais une certaine somme et chaque mois, l'enfant allait jouer là-bas. J'ai accepté parce que dans le quartier, les voisins disaient : "Oh il est bon!" Ma mère me disait ça aussi. Mais il était si petit! »
Ismaël a grandi et avec lui l'admiration que ses habiletés suscitaient. Sa mère et lui ont émigré au Québec alors qu'il avait 7 ans. Suzanne savait bien qu'elle n'emmenait pas son fils dans une pépinière de joueurs de soccer. Ce qu'elle souhaitait surtout, c'était qu'il puisse étudier dans de bonnes conditions. Les signes que la vie avait d'autres plans pour lui continuaient toutefois de se manifester.
« Dès qu'on est arrivés à NDG, les gens venaient me voir pour me dire : "Ouf, votre fils, il est bon". À un moment donné, j'ai dû insister pour qu'il finisse son secondaire 5. Là, c'était un peu chaud. Il ne voulait plus aller à l'école. Il me disait : "Maman, tu veux que je sois comme toi, mais moi c'est le soccer". Il voulait devenir pro. Je lui ai dit : "pas de problème, tu peux y aller, mais termine au moins ton secondaire". Sinon, j'ai toujours cru en lui. »
Koné est tombé comme une bombe dans le quotidien des amateurs de sports québécois et canadiens. La fulgurance de son ascension a fasciné, émerveillé. Sa mère veut qu'on sache que le succès « ne lui est pas tombé dessus juste comme ça. Ça a été un travail de longue haleine quand même. »
Elle affirme qu'Ismaël est passé trois fois dans le processus de détection de l'Académie de l'Impact, essuyant autant de rejets. Le Centre national de haute performance (CNHP) lui a aussi fait de l'œil, prétend-elle, mais s'est retiré en comprenant qu'une entente avec l'Impact était imminente.
« Sauf que l'Impact aussi a annulé, donc on a tout perdu. J'étais tellement fâchée », repense Suzanne. Elle dit qu'on demandait à son fils une moyenne de 75% en français et en mathématiques pour le faire entrer au Centre Nutrilait. Ismaël passait ses cours, mais de justesse.
« Je me suis dit bon, vous voulez un joueur de soccer ou bien un informaticien ou un ingénieur? »
« Tout est allé très vite »
Suzanne Diomandé est bien entourée à Doha. Sa nièce Annie a fait le voyage de Washington pour l'accompagner. Amine, Mohamed, Aymen et Lionel, quatre amis d'enfance d'Ismaël, ne sont jamais bien loin. Elle peut aussi compter sur le support de Nathalie Miguel et Jules Vilsaint, sans qui rien de tout ça – le contrat professionnel, l'équipe nationale, la Coupe du monde – ne serait peut-être arrivé.
Les Vilsaint ont un fils, Jules-Anthony, qui a joué à Laval et au Panellinios St-Michel FC. À force de s'affronter, une saine rivalité et un grand respect mutuel se sont installés entre Koné et lui. Quand la situation de Jules-Anthony, qui a eu des essais à Lisbonne et Lille et qui évolue présentement avec la réserve du club d'Antwerp en Belgique, s'est stabilisée, les Vilsaint se sont offert pour aider Ismaël à obtenir, lui aussi, la chance qu'il méritait.
Suzanne Diomandé et Nathalie Miguel
Un jour, ils ont donc rendu visite à Suzanne avec un invité spécial, l'agent Nick Mavromaras, qui s'occupe aussi de la carrière de leur fils et qui est bien connu pour son association avec l'attaquant vedette canadien Jonathan David.
« Jules et Nathalie sont venus, ils m'ont tout expliqué, ils m'ont mis en confiance. J'avais des appréhensions, quand même, mais la communication était bonne et j'ai vite su qu'il serait entre bonnes mains. Et on se disait que c'était le bon moment. »
« Tout est allé très vite après », constate aujourd'hui Suzanne. Ismaël est allé faire des essais en Belgique. « Il est revenu pour les fêtes de fin d'année et à partir de janvier, on a recommencé à entendre parler du CF Montréal », évoque-t-elle avec un sourire en coin. Il a signé son contrat en août 2021, a marqué son premier but en février et obtenu sa première convocation en équipe nationale en mars. Le voici maintenant à la Coupe du monde.
« Je suis très fière de lui. À chaque fois que je suis au stade, je pleure. Chaque fois qu'on met l'hymne national, les gens me demandent si ça va, je dis que c'est l'émotion. Je suis très fière d'où il est rendu. »
Et aussi d'où il s'en ira. Les rumeurs qui envoyaient Ismaël Koné en Angleterre l'été dernier ont refait surface à Doha, de quoi faire balancer le cœur de mère de Suzanne.
« Qu'est-ce que tu veux! C'est ce que l'enfant veut faire, on est obligé de le soutenir! C'est passé tellement proche au mois d'août que je me suis fait à l'idée que j'allais devoir passer par là. Mais on attend. On espère que les gens vont l'appeler, on est prêt. Si ça arrive, on se prépare à passer notre temps entre deux avions ! »
Et peut-être à retraverser pour de bon l'Atlantique avec lui?
« Ça, c'est envisageable aussi. Il aimerait que je le suive. On verra bien comment ça va se passer. Je ne sais pas si mon employeur voudrait que je me délocalise. Et puis Montréal, c'est notre chez nous. »