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RÉSULTATS

RDS au Qatar : du hockey à saveur québécoise

Du hockey au Qatar Du hockey au Qatar - Antonin Besner
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Mise à jour

DOHA, Qatar – En franchissant l'entrée principale du City Center Mall de Doha, de larges escaliers nous invitent à monter immédiatement à l'étage. En les contournant vers la droite, ignorant l'alléchante invitation d'un resto de bouffe asiatique, il n'y qu'à faire quelques pas pour arriver à l'entrée d'un immense assemblage de jeux gonflables multicolores. Derrière nous, une chaîne de restauration rapide populaire. À notre gauche, un concessionnaire automobile.

En regardant nos photos, Richard Labrosse ne reconnaît l'endroit qu'à moitié.

« Oui, c'est bien là qu'on jouait, nous répond-il dans un échange de courriels. As-tu vu le salon de bowling? Wow, ça a beaucoup changé. »

Richard Labrosse a longtemps eu peur de fracasser la façade vitrée qui protégeait les allées de quilles désormais disparues. À l'époque où il vivait à Doha, il n'y avait pas de jeux gonflables au rez-de-chaussée du centre commercial. Il y avait une patinoire sur laquelle il est l'un des premiers à avoir glissé avec un bâton et une rondelle. C'est là, avec son ami de l'époque Lance Mierendorf, qu'il a jeté les bases de ce qui est reconnu plus de vingt ans plus tard comme la Qatar International Ice Hockey League (QIIHL).

Le sport a toujours coulé dans les veines des Labrosse. Le patriarche, Henri, a été un hockeyeur professionnel en Europe et s'est impliqué dans le sport local à son retour au Québec. Il a notamment été entraîneur des Castors de Joliette dans la Ligue Montréal junior, « gérant général » des Olympiques junior de Repentigny et instructeur des 300 de Repentigny, un club junior de baseball. L'oncle de Richard a aussi gagné sa vie en jouant outre-mer. Son frère Alan, ancien pilote, agent et promoteur de renom, est intronisé au Temple de la renommée des sports motorisés canadiens.

Richard Labrosse, lui, a fait le tour du monde grâce à son expertise en pétrochimie. Il avait déjà travaillé en Alberta, au Texas, en Arabie Saoudite, en Syrie et en Inde quand une petite annonce pour un boulot au Qatar a attiré son attention en 2001. Il a d'abord hésité. Le plus vieux de ses deux fils était gardien au niveau Bantam AAA. Il craignait de nuire à son développement en s'expatriant de nouveau, « mais c'est finalement lui qui voulait s'aventurer dans le monde. On en a parlé en famille et tout le monde était à 100% derrière le projet. »

Aujourd'hui, le City Center Mall n'est qu'une pâle copie des luxueux complexes commerciaux qui ont poussé tout autour de la capitale.  « Mais dans le temps, c'était le plus gros ». C'était aussi le seul où on pouvait trouver une patinoire. Richard Labrosse l'a aperçue et a vite été envahi d'idées de grandeur. « J'ai dit à ma femme : ‘je pars une ligue de hockey pour les gars!'. »

Les obstacles étaient bien sûr nombreux et le fait que la surface glacée était plus ronde que rectangulaire est vite devenu le cadet de ses soucis.

- Il n'y avait pas de buts. Notre visionnaire en a bricolé lui-même avec des tuyaux de plastique avant qu'on finisse par lui en construire des vrais.

- Les pièces d'équipement étaient introuvables. Elles étaient commandées en ligne et livrées gratuitement sur une base militaire américaine à proximité. « Quand on prenait nos vacances l'été, on ramenait des bâtons, toute sorte d'affaire. »

- L'accès à la patinoire a été compliqué. « C'était le gars du bowling qui gérait ça, un Britannique qui voulait me charger un prix de fou pour louer la glace. Il me demandait quelque chose comme 2000$ de l'heure! Il a fallu que je lui explique que ça allait tout changer autour de sa patinoire, que ça lui amènerait du monde. »

Il avait raison. Dans une métropole peuplée de milliers d'expatriés, le mot s'est vite passé qu'il y avait du hockey à Doha. Trouver des joueurs a été l'étape la plus facile de toute l'opération.

« On jouait le vendredi et le samedi. Il y avait deux étages au-dessus de la patinoire et le monde pouvait nous regarder d'en haut. C'était plein à nos matchs. Au début, on était un mélange de jeunes et d'adultes, c'était comme du hockey de rue. Le monde s'informait, posait des questions. Bien assez vite, on a eu assez d'adultes pour faire six équipes. »

Le calibre? « C'était fort, plus que du senior. On avait des anciens professionnels, des gars qui avaient joué junior majeur. On allait faire des tournois en Angleterre, en Malaisie, en Mongolie... C'est incroyable comment ton nom circule quand tu commences à t'occuper du hockey. »

En 2002, la création d'un campus du College of the North Atlantic de Terre-Neuve a provoqué l'arrivée de nombreux enseignants canadiens et de leur progéniture. Richard Labrosse a éventuellement reçu assez d'inscriptions pour pouvoir monter une ou plusieurs équipes dans chaque catégorie, d'atome à midget. Chaque année, les meilleurs étaient recrutés pour participer à des tournois à Dubaï et Singapour. La nouvelle structure a aussi permis d'initier des jeunes Qataris et d'autres enfants néophytes à notre sport national. Tout le monde était bienvenu. 

« Ça a créé un esprit de communauté très fort, dit fièrement le sexagénaire. On avait tous en commun d'avoir quitté notre chez-nous pour aller vivre là-bas. On se faisait des partys de Noël, d'Halloween, on passait beaucoup de temps ensemble pour faire en sorte que personne ne s'ennuie trop de la maison. »

Avec le support de sa femme Huguette et de son bon ami Lance Mierendorf, il n'y a rien que Richard Labrosse n'a pas fait pour la survie et l'expansion de son projet. Il a dépanné quand sa ligue avait besoin d'un gardien, d'un arbitre ou d'un coach. C'est lui qui a dessiné le logo original de la ligue, qui a été imprimé sur des chandails aux couleurs des Flames de Calgary. Le gars du bowling lui a même demandé de se lancer en affaires avec lui, d'ouvrir une boutique pour y vendre de l'équipement. « Mais c'était trop pour moi », explique-t-il.

Avant son retour au Canada, en 2006, on l'a approché avec les plans d'une nouvelle patinoire qu'on souhaitait construire au Villaggio Mall, dans l'ouest de la ville. « La nôtre était correcte pour ce qu'on faisait, mais elle était mal faite pour le hockey. Je leur ai montré c'était quoi une vraie patinoire. »  

C'est au Villaggio que sont aujourd'hui joués les matchs de la QIIHL. La ligue, selon son site internet, comptait quatre équipes la saison dernière. Richard Labrosse confirme l'information qu'on peut trouver sur Wikipedia : à la fin de chaque saison, l'équipe championne remporte la Coupe Mierendorf-Labrosse, ainsi baptisée en l'honneur des deux fondateurs du circuit.

« Vivre dans des pays comme le Qatar, ce n'est pas aussi facile que le monde pense. Quand je regarde en arrière, on a commencé quelque chose. Moi mon plaisir, c'était de voir les enfants s'amuser, de savoir qu'ils pouvaient grandir avec notre sport national. De voir tout ce qui en a découlé, oui, je peux dire que c'est une grande fierté. »