De l'Impact à la Premier League : les questions sans réponses de Nicolas Gagnon
MONTRÉAL – Lorsqu'il borde sa fille, avant l'heure du dodo, Nicolas Gagnon aime lui narrer un conte qu'il a baptisé, dans un manque d'originalité assumé, « l'histoire du vieux sage ». Le récit raconte les aventures d'un vieil homme dont les infortunes arrivent souvent sous les apparences d'un coup de chance, mais qui finit aussi par sortir grandi des grands malheurs qu'on lui prédisait.
Cette fable, qui se veut une réflexion sur nos réactions et nos réponses face aux aléas de la vie, continue de se jouer en boucle dans sa propre vie.
On vous racontait l'été dernier l'histoire de Gagnon, un ancien entraîneur de l'Académie de l'Impact dont la carrière avait pris son envol en Europe quand le malheur a frappé sa famille et l'a forcé à revenir au pays. Pourquoi lui? Pourquoi à ce moment? C'est le genre de questions qu'on se pose comme un réflexe, mais qui mènent généralement à un cul-de-sac. Mieux vaut encaisser les coups en gardant confiance qu'un rayon de soleil nous accueillera dans le détour.
Depuis quelques mois, on serait tenté de dire que la vie rembourse ses dettes envers le pédagogue du ballon rond.
En août dernier, Gagnon s'est rendu en Angleterre avec tous les autres recruteurs des clubs de Sport Republic, un conglomérat qui possède Southampton FC au Royaume-Uni, Göztepe en Turquie et Valenciennes en France. À Londres, il rencontre l'un des grands patrons de la boite, le Danois Rasmus Ankersen. Dans une discussion à bâtons rompus, il lui annonce qu'il est disponible et apte à reprendre le boulot.
« Je l'avais mentionné au directeur sportif à Göztepe, mais je sens que le message ne s'était pas rendu. Pour m'en assurer, je lui envoie un message un peu plus tard. Il a l'air surpris. Je sens qu'il trouve ça intéressant, mais il ne dit rien de plus. »
Deux semaines plus tard, Ankersen relance Gagnon. Son équipe de Premier League a besoin de son expertise sur les phases de jeu arrêtées. « Trois jours après, je suis dans un avion pour Southampton », s'étonne encore le Québécois.
L'expérience est aussi folle que vous pouvez l'imaginer. À peine installé dans son nouveau bureau, Gagnon arpente les lignes de touche du Emirates Stadium, le domicile d'Arsenal. Suivront des visites au Etihad Stadium, à Villa Park et à Old Trafford. Il prépare des plans de match pour contrer Haaland et van Dijk, zieute Guardiola sur le banc voisin. Des images auxquelles il ne se serait même pas permis de rêver il n'y a pas si longtemps.
« Je ne suis toujours pas certain que je le réalise complètement », admet-il. Mais le fait qu'il est là, dans le plus grand championnat de soccer au monde, pour travailler, trouver des solutions, enseigner, régler des problèmes, livrer des résultats, tout ça ne quitte que très rarement son esprit. Même chose pour cette conviction, toujours grandissante, qu'il est exactement où il devrait être.
« La meilleure manière de le décrire, c'est que le stade et la foule peuvent m'impressionner quelques secondes, mais les tâches à faire ne m'impressionnent pas. »
« Je savais que je pouvais apporter »
La saison de Southampton, qui est en voie d'enregistrer la pire récolte de points de l'histoire pour une équipe de Premier League, était dans les caniveaux bien avant que Gagnon soit invité à venir donner un coup de main. « L'équipe avait des difficultés quand même énormes sur les balles arrêtées en début de saison, mais énormes. Elle prenait un but presqu'à chaque match et c'est à peine si elle se créait des chances. »
Nicolas GagnonIl faut une confiance en soi de la même envergure pour débarquer dans ce contexte, avec une expérience relativement modeste, et croire qu'on puisse contribuer à une amélioration. Gagnon formule dans ses propres mots la question qui, il en est conscient, a dû précéder son arrivée. « C'est bien beau la deuxième division turque, mais est-ce qu'il est capable de coacher au plus haut niveau? »
Pour lui, la réponse était claire. « Quand j'étais venu [en août], j'avais vu qu'au niveau des balles arrêtées, j'étais capable d'apporter. Je regardais le niveau et je voyais ce que je pouvais apporter. Et ça a été le cas. Après, c'est toujours plus facile de voir et d'analyser qu'être en plein dedans, avec toutes les dynamiques au niveau des joueurs, du staff, toute la pression de résultats, tout ça qui entre en ligne de compte. Mais sur le niveau, par rapport à ce que j'étais capable de faire, j'avais déjà vu avant d'arriver. »
Gagnon fait état de résultats inégaux depuis son intégration dans le projet. Les premiers mois ont été productifs, mais le train a quitté les rails avant longtemps. Vers la fin novembre, la pression sur le staff s'est accentuée. « Quand ça fait plus d'un mois que tu n'as pas de résultats, là c'est tough. Les joueurs commencent à douter. Il faut essayer de les garder. »
À la mi-décembre, l'entraîneur-chef Russell Martin a été congédié et remplacé par le Croate Ivan Jurić. La transition a fait revivre à Gagnon des sensations qu'il pensait derrière lui.
« C'était la deuxième fois en quelques mois qu'il fallait que je fasse mes preuves. Et grosso modo, ton job en dépend. C'est ça la réalité. »
Le grand déblocage
Gagnon et Jurić ont appris à travailler ensemble. Les méthodes de l'adjoint ont fait leur chemin dans la tête du patron. Le patron a aidé l'adjoint avec de bonnes additions sur le terrain. Et les résultats ont suivi.
Le 16 janvier, Southampton a marqué son premier but de la saison sur corner dans une défaite contre Manchester United. Le deuxième a suivi trois jours plus tard contre Nottingham Forest. Dans le même match, les négligés ont aussi marqué sur coup franc et se sont fait voler un but égalisateur sur corner sur la ligne des buts.
Nicolas GagnonLe 1er février, les Saints ont signé leur deuxième victoire de la saison contre Ipswich. Leurs chances de survivre à la relégation demeurent extrêmement minces, mais le dernier droit s'annonce quand même porteur de progrès. Dans le chaos qu'est son quotidien, Gagnon retire une satisfaction certaine d'avoir contribué à ce redressement.
« C'est vraiment pas juste moi, c'est important de le dire. Mais effectivement, il y a des stats dans le dernier mois où on est top-5 de la ligue. C'est pas rien »,
La vie dans le soccer professionnel restera toujours pavée d'incertitudes, mais Gagnon est entré récemment dans ce qui ressemble le plus à une période de stabilité. Il a enfin trouvé une maison qui l'hébergera d'ici la fin de la saison. Sa femme et leur fille l'y rejoindront cette semaine.
Comme le vieux sage de son conte préféré, il essaie de ne pas trop se perdre dans les différentes interprétations qu'il pourrait faire de ce grand bonheur qui enveloppe sa petite famille. Est-ce que la vie leur en devait une? Ou est-elle simplement en train de mettre la table pour une prochaine leçon?
« J'essaie de rester dans la réalité et je pense que j'y arrive assez bien, réfléchit-il. Mais c'est assez particulier. En plus avec ce qu'on a vécu l'année passée... c'est quelque chose. »