Le match devait commencer à 21 h en France. Mais à cette heure-là, des supporters de Liverpool et du Real Madrid sont encore bloqués aux contrôles à l'entrée du Stade de France et du gaz lacrymogène flotte dans l'air, coup d'envoi d'un fiasco au retentissement international.

L'après-midi avait pourtant bien débuté pour les inconditionnels de foot. Dans les « fan zones » de Saint-Denis (Real Madrid) et du cours de Vincennes (Liverpool), l'atmosphère y est festive et plutôt bon enfant tout l'après-midi.

Mais au Stade de France, l'ambiance se tend tout au long de la soirée.

« Ouvrez les portes! »

A partir de 18 h, des centaines de spectateurs affluent, se massent aux différents points de pré-filtrage du Stade de France. Les embouteillages commencent.

L'entrée se fait au compte-goutte, après vérification des billets par des employés de l'UEFA.

« La queue avançait très lentement. Nous étions vers le début de la queue et il nous a fallu 30 minutes pour traverser ce premier contrôle. Il y avait une foule massive derrière nous, les gens s'agitaient et on sentait qu'ils devenaient nerveux à l'idée d'une bousculade », selon un journaliste de l'AFP présent au nord du stade, accès dédié principalement aux supporters des Madrilènes.

Au sud, où arrivent les fans des Reds, la situation se crispe. Vers 20h00, bloqués, excédés par la lenteur des contrôles, ils crient « Open the gate ! »

« La police avait, pour une raison quelconque, garé trois, quatre vans le long de la route, transformant une allée large en un passage étroit et provoquant un goulot d'étranglement », raconte sur Twitter, photos à l'appui, Rob Draper, rédacteur en chef de la rubrique football du Mail on Sunday, un hebdomadaire britannique.

A moins d'une demi-heure du coup d'envoi, ils sont encore des milliers bloqués aux entrées sud-ouest et nord-ouest.  

Les supporters de Liverpool n'arrivent pas à temps, le coup d'envoi est reporté. D'abord d'un quart d'heure, puis d'une demi-heure.

Le match commence à 21h36.

Escalade

En parallèle, des dizaines de jeunes profitent du manque de surveillance pour escalader certaines barrières et accéder au parvis du Stade de France.

« Quand ils arrivent à 20, 30, on ne peut rien faire », témoigne anonymement un agent de sécurité.

Une fois sur le parvis, les plus téméraires poursuivent leur course pour accéder au stade.  

Ils escaladent rapidement les barrières, atterrissent de l'autre côté et courent en direction des escaliers menant aux gradins, poursuivis par les agents de sécurité et les gendarmes qui les font ressortir illico.

Mais l'ardeur des resquilleurs n'est pas calmée pour autant.

« Je vais réessayer pour regarder le match, c'est mon rêve », affirme Yacine, chauffeur de 30 ans, tout juste refoulé du stade.

« Les places coûtaient 2 000 euros, jusqu'à 3 000. Si c'était 600 euros, j'en aurais pris une », ajoute le jeune homme.

Durant toute la première période, les tentatives d'intrusion, par escalade ou en forçant le passage aux portes, se multiplient.

« Pire expérience de ma vie »

Pour repousser ces jeunes, gendarmes et policiers font abondamment usage de gaz lacrymogène et mènent plusieurs charges offensives.

Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent aussi des supporters britanniques directement aspergés de gaz lacrymogène.

« Vers 21h00, la police a décidé d'évacuer le parvis, il y a eu du gaz dans tous les sens, et parmi les supporters qui attendaient le long des grilles, on a vu une femme de 91 ans qui arrivait à peine à marcher après le contrôle, des enfants qui hurlaient de toutes leurs forces tellement le gaz les faisait souffrir », témoigne Pierre Barthélémy, membre du réseau Football supporters Europe, présent au stade samedi soir.

Pete Blades, professeur de français à Liverpool, jette l'éponge et sort du stade avant la fin du match. « Je suis enseignant, je n'ai jamais été aspergé de gaz lacrymogène avant. Je n'ai rien fait de mal, je ne suis pas une menace », raconte-t-il, en larmes.

« La police était trop violente. Ils m'ont poussé contre la porte, ce n'était pas nécessaire, une fille saignait du nez. Ils se comportaient comme s'ils avaient une armée en face d'eux », poursuit l'homme de 57 ans, dont la francophilie a été mise à mal par les événements.

« C'était la pire expérience de ma vie en football et en réalité l'une des pires expériences de ma vie tout court, » se désole auprès de l'AFP Daniel Austin, fan des Reds. « La foule était tellement dense derrière nous qu'on ne pouvait pas se tourner. J'ai vu quelqu'un faire une crise d'angoisse et les gens tentaient de reprendre leur souffle », ajoute le jeune homme de 27 ans.

Pour les supporters de Liverpool, le calvaire n'est pas fini. Plusieurs centaines écoutent « You'll never walk alone », l'hymne de leur club, coincés à l'extérieur, aux portes sud, le virage qui leur est réservé.

A 22 h 15, soit quelques minutes avant la fin de la première période, une cinquantaine attend encore.

« Je suis vraiment énervé mais on a gardé notre calme, confie un supporter désenchanté. On était là deux heures avant le début du match, nous ne savons pas pourquoi nous avons été bloqués. »

D'après plusieurs agents de sécurité interrogés anonymement par l'AFP, les équipes de filtrage ont fait face à « trop de faux billets ». « Soit en papier soit sur téléphone. Ça ressemblait aux vrais billets mais ça ne passait pas sur le lecteur », ralentissant l'entrée des supporters, explique l'un d'eux.

Silence et dépit

Alors que la première mi-temps s'achève, tous les supporters munis de billets sont enfin dans le stade. Sur le parvis ne restent que quelques jeunes hommes. La plupart ont abandonné l'idée de pénétrer dans le stade et suivent le match grâce aux cris émanant de l'enceinte ou sur petit écran.

A 23h30, au coup de sifflet final, les fans des Reds, battus 1-0 par le Real, sortent, dépités et silencieux, s'empressent de rejoindre les transports en commun, sans manifestation de violence, suivis une demi-heure plus tard par des Madrilènes joyeux.

Dans les médias et sur les réseaux sociaux, des Britanniques se disent choqués de l'organisation et pas prêts de remettre les pieds en France.