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MLS : Lionel Messi à Montréal, les dividendes d'une opération séduction

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Le match entre l'Inter Miami et le CF Montréal sera présenté sur RDS et RDS.ca, samedi à 19 h 30.

Lionel Messi arrive en ville. Sportivement, c'est une très mauvaise nouvelle pour le CF Montréal.  

Le constat ne devrait surprendre personne puisque c'est un peu ça, l'histoire de Messi : sur un terrain de fùtbol, le petit Argentin fait à peu près ce qu'il veut. Ça a été le cas pendant ses 17 saisons au FC Barcelone, lors de son bref passage au Paris St-Germain ou encore à la dernière Coupe du monde remportée par l'Argentine, sa mère patrie, en 2022. Ça n'allait certainement pas être différent en MLS.

À son arrivée en juillet dernier, Messi a instantanément transformé l'Inter Miami d'équipe moribonde à équipe championne. Sous l'impulsion de sa nouvelle vedette et de quelques-uns de ses amis, nommément les Espagnols Sergio Busquets et Jordi Alba, le club floridien a remporté la Coupe des Ligues, une nouvelle compétition opposant les équipes de la MLS à celles de la Liga MX au Mexique.

Et en ce jeune début de saison, Miami bat la mesure au sommet du classement et Messi est son chef d'orchestre. Dans un sport qui traîne encore, chez les cyniques les plus endurcis, la réputation d'offrir un spectacle aride et ennuyant, ses statistiques se lisent comme celles d'un Connor McDavid en crampons. Deux buts et une passe décisive contre Nashville, deux buts et une passe décisive contre la Nouvelle-Angleterre, un but et cinq passes décisives contre les Red Bulls de New York... Au total, dix buts et douze passes décisives en moins de 700 minutes de jeu.

Des chiffres hors-normes.

Mais l'opération séduction qui a permis d'attirer la Pulga en Amérique du Nord n'a jamais été à propos des statistiques, pas plus qu'elle n'est uniquement l'affaire d'une seule équipe. C'est une question de gros sous, évidemment, et aussi de développement à grande échelle. Ses répercussions dépassent d'ailleurs déjà largement les frontières de la Floride.

L'impact montréalais

À Montréal, « l'effet Messi » se mesure de façon très tangible.

Depuis l'entrée de l'Impact en MLS, ses dirigeants martèlent le même objectif à chaque entre-saison, celui de franchir le cap des 10 000 abonnements de saison. Même en 2016, après le parcours historique du club en Ligue des champions et avec la présence surréaliste de Didier Drogba, cette cible leur a échappé.

La simple possibilité que Messi vienne caresser le cuir sur le gazon du Stade Saputo a tout changé. En vue de la présente saison, le CF Montréal a vendu les 15 000 billets de saison qu'il avait mis sur le marché. Il a ensuite mis en vente des forfaits de six matchs, incluant celui du 11 mai contre Miami, à un prix variant entre 750$ et 850$. On affirme en avoir écoulé environ 1000.

À moins d'une semaine du grand rendez-vous, quelques centaines de billets individuels restent à vendre afin d'occuper les quelque 19 000 sièges de l'enceinte. Pour la visite potentielle de Messi, le prix de ces objets rares a été augmenté de façon considérable, exposant le club à la critique. Des billets d'une valeur habituelle de 85$ sont affichés à 729$. Dans les sections 114 et 132, où chantent et dansent à chaque match les plus irréductibles supporteurs de l'équipe, une place autrement accessible pour 35$ se détaille à 449$.

Le club défend sa décision en prétextant que ces surplus iraient de toute façon dans les poches des revendeurs. Ceux-ci ne se gênent effectivement pas pour faire gonfler la valeur de leur précieuse possession. Sur les sites de revente, certains osent demander jusqu'à 11 500$ pour la chance de voir le magicien argentin en personne.      

Tous ces yeux soudainement rivés vers le Bleu-Blanc-Noir l'ont aussi aidé à attirer de nouveaux commanditaires. Depuis le début de l'année, les annonces se multiplient. Bombardier, Air Transat et Tanguay font partie des entités qui se sont associées à l'organisation. En tout, le club a jusqu'ici conclu des ententes avec onze nouveaux partenaires ou fournisseurs officiels en 2024. Bien qu'il serait injuste de relier toutes ces poignées de mains au facteur Messi, il faudrait avoir la tête dans le sable pour refuser d'y voir une relation de cause à effet.  

Dans les bureaux du CF Montréal, les revenus garantis engendrés par cette nouvelle réalité changent la donne. La vente de billets et la conclusion de partenariats sont considérées comme les deux variables clés dans la quête de rentabilité du club. À l'interne, on considère maintenant que l'on coche les deux cases. C'est aussi ça, la Messi Mania.

Convertir les « snobs »

Même avant que le Stade olympique ne soit plus disponible en raison des travaux de réfection qui y sont effectués, le CF Montréal avait décidé de recevoir le plus grand joueur au monde dans l'intimité de son domicile habituel. Toutes les équipes n'ont pas adopté la même stratégie.

Il y a quelques semaines, le Sporting de Kansas City a délaissé le Children's Mercy Park et sa capacité d'accueil de 18 500 sièges pour déménager l'instant d'un match au Arrowhead Stadium, domicile de ses voisins de la NFL. La venue de Messi y a finalement attiré plus de 75 000 personnes.

Dans d'autres marchés où les équipes locales jouent déjà dans un stade de football, l'arrivée du cirque en ville fait déplacer les masses. En 2023, le Fire de Chicago a attiré une moyenne de 15 422 spectateurs pour 16 de ses matchs au Soldier Field. Pour le 17e, un match contre l'Inter Miami auquel Messi n'a finalement même pas participé, on a enregistré une foule de 62 124 spectateurs.

Récemment, le Revolution de la Nouvelle-Angleterre a distribué plus de 65 000 billets pour la venue de Messi. C'est presque quatre fois plus que la moyenne de ses autres parties locales en 2024.  

La folie ne se fait pas ressentir qu'aux abords des terrains. Pour ceux qui n'ont pas les moyens financiers ou logistiques de se déplacer pour un match, elle se vit devant l'écran. En septembre dernier, le Wall Street Journal rapportait que 110 000 nouveaux abonnés s'étaient inscrits à la MLS Season Pass, le portail numérique donnant accès à tous les matchs de la MLS, le jour du premier match de Messi. Plus de 65 000 disciples se sont joint à la fête quatre jours plus tard, le jour du deuxième match du célèbre numéro 10. En tout, le premier mois de Messi en MLS aurait attiré 288 000 auditeurs payants.

Depuis, Apple entretient le secret autour de ses chiffres. En février dernier, l'une de ses têtes dirigeantes a toutefois précisé que l'arrivée de Messi avait généré « un nombre significatif » de nouveaux abonnés en provenance de l'Amérique du Sud et de l'Europe. Ça tombe bien puisque le populaire homme en rose s'est négocié une redevance sur les ventes d'abonnements à l'extérieur des États-Unis.

En magasin, les produits à l'effigie de Messi font de l'ombre à tout le reste. Dans un article paru sur The Athletic, un employé d'une boutique Adidas de Miami raconte qu'avant la venue de Messi, l'échoppe ne tenait aucun article de l'équipe de soccer locale en inventaire. Mais la veille du passage du journaliste, tous les maillots floqués du numéro 10 en démonstration sont partis en moins de deux heures.   

Déjà, le maillot de Messi est le plus vendu de l'histoire de la boutique en ligne du site officiel de la MLS. Mais la statistique la plus révélatrice de toutes est peut-être celle-ci : selon Sportico, 89% de ceux qui y ont acheté la populaire tunique rose en 2023 étaient de nouveaux acheteurs sur la plateforme.

Elle est là, en fait, l'occasion que doit saisir la MLS pendant que cette fenêtre inattendue s'ouvre sur ses activités. De Miami à Montréal en passant par les 27 autres marchés de la Ligue, les fous du ballon rond sont légion. Les rues de toutes les grandes villes américaines sont parcourues par des milliers de mordus qui peuvent se lever aux aurores pour regarder un match en Angleterre ou faire des pieds et des mains pour trouver une webdiffusion obscure d'une compétition internationale.

Ces gens-là ne s'intéressent souvent pas à ce qui se passe dans leur propre cour. Grâce à Messi, leur regard s'est porté ou se portera sur ce qui se fait dans les stades de Washington, Charlotte et Cincinnati. Ses patrons devront les convaincre de ne plus le détourner.

Un héritage à définir

Lionel Messi n'est pas la première méga-star mondiale sur qui sont déposés les espoirs d'émancipation du soccer américain. Il y a près de 50 ans, la première pierre dans la construction de la culture soccer tel qu'on la connaît aujourd'hui du Vermont à la Californie a été déposée par le maestro brésilien Pelé.

Les parallèles entre l'arrivée de Messi à Miami et celle de Pelé avec le Cosmos de New York en 1975 sont nombreux. Débarqué au crépuscule de sa carrière dans un environnement qui n'était pas vraiment adapté à sa célébrité (le Cosmos jouait dans un stade défraîchi construit sous une autoroute), le triple champion de la Coupe du monde a attiré d'autres grands joueurs dans ses traces, a fait courir les foules, a piqué la curiosité des néophytes et a permis à une équipe autrefois anonyme de se donner en spectacle autour du monde.

Pourtant, si on avait dû, quelques années après son départ, qualifier l'impact que son passage avait eu sur son sport aux États-Unis, le constat n'aurait pas nécessairement été flatteur. En fait, la North American Soccer League (NASL), dont faisait partie le Cosmos, a fait banqueroute et a été dissoute en 1984. Ce n'est que 17 ans après la retraite du Roi, avec la présentation de la Coupe du Monde aux États-Unis et la création de la MLS, que son héritage sur sa dernière terre d'accueil a pris une forme concrète.

Quand David Beckham a quitté le Real Madrid pour s'installer à Los Angeles en 2007, la mutation du paysage footballistique en Amérique du Nord s'est faite en accéléré. Son arrivée a immédiatement provoqué l'adoption de nouvelles règles facilitant le recrutement de joueurs d'impact. Sur la durée de son contrat de cinq ans avec le L.A. Galaxy, la MLS est passée de 13 à 19 équipes. Elle en comptera 30 avec l'ajout de San Diego dans ses cadres en 2025.

Mais le rôle de Beckham dans l'arrivée de Messi à Miami, 16 ans après s'être lui-même laissé séduire par le rêve américain, sera sans doute considéré comme son plus important legs.

Quel sera donc l'héritage que laissera Messi derrière lui lorsque son ombre disparaîtra derrière l'horizon à la conclusion de son contrat en 2025? À l'image de ses prédécesseurs, il faudra patienter avant d'en tirer le portrait le plus fidèle possible.

La MLS a déjà utilisé sa présence comme prétexte pour modifier certains de ses règlements afin de faciliter le recrutement de nouveaux talents étrangers. Et ailleurs dans le monde, la curiosité de footballeurs réputés a été piquée. L'international français Hugo Lloris a joint les rangs du Los Angeles Football Club. Son compatriote Olivier Giroud l'y rejoindra cet été. L'idée, c'est que de telles acquisitions rehausseront le niveau de la ligue et encourageront d'autres joueurs à prendre la même route, incitant les nouveaux regards curieux à s'engager avec leurs tripes dans le quotidien de la ligue.       

Ainsi seront arrosées les graines semées par Messi.

En récolter les fruits demandera de la patience, mais le potentiel de la récolte a de quoi faire rêver. Dépendamment des sources consultées, la MLS se situe quelque part entre les 30e et le 10e rang parmi les meilleures ligues de soccer au monde. Reparlons-nous en 2040 et voyons comment cette conversation aura évolué. Ce n'est peut-être qu'alors que pourra être mesurée la réelle contribution de Leo le Grand.