COLLABORATION SPÉCIALE

 

Le 5 juin dernier, Canada Soccer annonçait l’annulation du match de l’équipe canadienne masculine contre le Panama, qui devait avoir lieu le jour même. Cette décision a été prise à la suite d’une dispute non-résolue entre l’association canadienne et l’équipe masculine, portant entre autres sur la répartition de l’argent reçu pour la qualification des hommes à la Coupe du Monde, ainsi que le nombre de billets accordés à chacun des joueurs par match au cours du tournoi.

 

Dans une déclaration écrite, les hommes mentionnaient également vouloir une entente assurant une structure équitable entre eux et l’équipe féminine.

 

Structure équitable. Par exemple, recevoir le même pourcentage des prix en argent obtenus à nos compétitions respectives. Saviez-vous que la FIFA accorde plus d’argent aux équipes nationales masculines pour leur qualification à la Coupe du monde qu’elle n’en accorde à l’équipe nationale féminine couronnée championne du monde (9 millions versus 4 millions USD)?

 

L’équipe masculine a de bonnes intentions, et nous les supportons dans leur lutte pour obtenir ce qu’ils méritent, mais de notre côté, il nous faut plus qu’une structure équitable: il nous faut l’égalité salariale.

 

Depuis le 29 janvier 2022, l’équipe nationale féminine est en négociations avec l’association canadienne de soccer. Le but est non seulement d’obtenir l’égalité salariale, mais également des conditions de travail sécuritaires et propices à notre développement. Ces négociations sont prises en charge par un groupe de joueuses de l’équipe élues pour nous représenter.

 

Sans le temps et l’énergie qu’elles accordent depuis des mois à ce problème, nous serions encore à la case départ. Ça semble évident, il faut demander pour recevoir, mais c’est plutôt triste de constater que même si la situation de discrimination présente est flagrante, il faut que les personnes subissant cette discrimination soulèvent des montagnes pour voir un changement.

 

Ces disparités entre les salaires et les conditions chez le côté masculin et féminin ne datent bien évidemment pas d’hier. On le voit partout. Du contraste entre les installations des tournois masculins et féminins de basketball NCAA, à la bataille de plusieurs années pour l’obtention de l’égalité salariale chez l’équipe féminine américaine, et tellement d’autres exemples entre les deux.

 

Ces situations arrivent assez souvent qu’on semble croire que c’est une réalité qu’il faut accepter : les athlètes féminines n’ont pas d’aussi bonnes conditions que leurs homologues masculins, c’est comme ça et ça restera comme ça. En choisissant de faire passer ces situations comme chose normale, on perpétue le cycle de discrimination, et on enlève la chance aux athlètes féminines de prouver qu’elles ont leur place au sommet en leur offrant des opportunités moindres que celles offertes aux athlètes masculins.

 

Il y a aussi le récurrent et oh combien agréable argument : elles devraient être reconnaissantes de ce qu’elles ont déjà. Nous le sommes, mais il est difficile de croire que nous sommes évaluées à notre juste valeur quand le Barca féminin attire une foule de près de 92 000 personnes à deux reprises dans le même mois, quand la finale de la ligue des champions féminine 2022 est regardée par 3,6 millions de personnes, quand notre match pour l’or olympique a été l’évènement le plus regardé des jeux olympiques sur CBC.

 

Difficile de se contenter de ce que nous avons, quand toutes les preuves que le soccer féminin mérite d’être regardé, médiatisé, et qu’il a le potentiel de générer de hauts revenus sont présentes, mais que nous sommes à des années lumières des conditions et des salaires offerts aux hommes. Je ne suis pas en train de demander des millions à ma porte demain matin, loin de là (bien que plusieurs joueuses qui contribuent au succès du soccer canadien depuis plus d’une décennie le méritent amplement).

 

Si on pouvait commencer par arrêter de sous-estimer le sport féminin et commencer à lui donner les opportunités et les conditions nécessaires à son épanouissement, on ferait déjà un pas dans la bonne direction.

 

C’est toujours un honneur d’enfiler le maillot canadien. J’ai des frissons chaque fois que j’entends l’hymne national retentir avant un match. Si on retourne aux sources, on peut voir une jeune fille de 8 ans regarder l’équipe canadienne féminine jouer à la télévision pour la première fois, un rêve grandiose et ambitieux se formant tranquillement dans ses pensées.

 

Mais de la même manière qu’a 8 ans, je n’ai pas imposé de limites à mes ambitions, nous ne comptons pas maintenir le statu quo maintenant. Nous avons la responsabilité et l’opportunité d’amener le sport féminin à un pied d’égalité avec le sport masculin, de le laisser dans de meilleures conditions pour les générations à venir. Le temps où nous gardions le silence est très loin derrière. Après tout, ce que nous demandons, c’est ce que nous méritons.