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RÉSULTATS

Olivier Aubin-Mercier ou le blues du combattant

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En franchissant le seuil de la porte du modeste gymnase de Ville-Émard où Olivier Aubin-Mercier s'entraîne, l'une des premières choses qu'il est possible de remarquer est l'immense chèque doré d'un million de dollars américains que le combattant a obtenu après son triomphe en finale des éliminatoires des poids légers de la Professional Fighters League (PFL) en novembre 2022.

Une importante victoire qui a permis au Québécois âgé de 34 ans de s'offrir une certaine « paix d'esprit », mais qui est loin d'avoir changé son regard sur l'industrie impitoyable dans laquelle il évolue depuis maintenant plus d'une décennie. Même si Aubin-Mercier est à deux victoires de rééditer son exploit de l'année dernière, il a surtout hâte que ses souffrances soient abrégées.

« Je n'ai aucune motivation. C'est unmotivated Oli, a lancé Aubin-Mercier aux journalistes venus le rencontrer à un petit peu plus d'une semaine de sa demi-finale contre le Brésilien Bruno Miranda qu'il livrera le 23 août au Théâtre du mythique Madison Square Garden de New York.

« C'est drôle à dire, mais je ne ressens plus de stress [à l'approche de mes combats]. Des fois, je me trouve un peu sadique en sachant que j'affronte des gars qui disent qu'ils n'ont jamais été autant motivés de leur vie, qu'ils font ça pour leur famille, leur legacy... puis, finalement, je les plante. Je me sens un peu mal, parce que je suis honnête, mais c'est comme ça que je me sens. Je pense beaucoup plus à ce qui se passe autour de ma vie qu'à mes combats en tant que tels.

« Est-ce que c'est [à cause] de l'expérience? La motivation qui est moins là? Je ne sais pas... mais la bonne nouvelle, c'est que j'ai fait mes devoirs. Je suis [au gymnase] chaque jour, j'aime encore entraîner. C'est juste que le combat comme tel, ce n'est peut-être pas la même motivation. C'est bizarre à dire, mais je suis quasiment devenu le gars qui va se battre et qui voit son adversaire comme celui qui va m'achever pour que je puisse vivre en paix. Je dis ça, mais en réalité, une fois le combat commencé, je vais donner mon 100 pour cent et à l'entraînement, je vais avoir donné plus que mon 100 pour cent. Je suis encore assidu, c'est juste la motivation qui n'est plus là. »

Le poids des années commence visiblement à peser lourd sur les épaules de celui qui a disputé 12 combats à l'UFC entre avril 2014 et juillet 2019 et il est de moins en moins excité à l'idée de monter dans l'octogone et surtout, d'être soumis aux inévitables obligations qui s'y rattachent.

« On avance dans la vie, de nouvelles choses se passent et les priorités ne sont juste plus à la même place, explique le père d'une jeune fille de 11 ans. J'ai accompli ce que je voulais accomplir l'année passée et je commence à être fatigué. J'ai autant de passion pour le sport, j'aime ça m'entraîner et ce sont les semaines de combat que je trouve particulièrement difficile.

« Il faut répondre aux mêmes questions pendant une semaine. “C'est quoi ton game plan?” Ça me tente plus de répéter les mêmes affaires. Et il y a aussi une certaine anxiété dans ça. D'avoir à me battre devant ma famille, mes parents, qui sont contents mais qui ne trippent pas à me voir me battre. Il y a un danger à monter dans l'octogone. Bruno (Miranda, son prochain adversaire, NDLR) pourrait m'assommer avec un seul petit coup de poing. C'est un gars qui est dangereux. »

Aubin-Mercier s'étonne d'ailleurs que l'écœurantite aiguë qu'il ressent demeure un sujet plutôt tabou en arts martiaux mixtes ou en boxe. Des athlètes comme Kevin Bizier qui ont déjà déclaré qu'il n'aimait plus la boxe en raison de frustrations extrêmement légitimes ne sont pas légion.

« Je n'ai plus d'amis depuis deux ans, déplore le combattant gaucher. En étant obligé de faire des coupes de poids au mois et demi, je ne bois plus et je ne sors plus. J'ai toujours aimé les bons restaurants et les bons vins, mais ce n'est plus possible. Tout ce qui mène à cette semaine-là, je commence à moins tripper. Malgré tout, ce sont des réponses prémâchées dans lesquelles les athlètes racontent qu'ils n'ont jamais été autant motivés de leur vie pour un duel qu'on entend.

« Alors que si les gens voyaient ce qui se passe en réalité, c'est difficile. Certains athlètes essaient de nous faire croire que lors des camps d'entraînement, c'est juste des hauts, de la motivation...

« C'est tough. Tu as une famille, tu te prives tellement, tu fais juste penser à ça. Pendant des mois, tu vas rêver à ton adversaire, alors que tu ne devrais pas cesser de penser à d'autres gens que ceux que tu aimes. C'est vraiment spécial. Certains athlètes sont comme [moi] mais personne ne veut le montrer. Personne ne veut montrer qu'il y a de la craquelure sur l'œuf. À vrai dire, toutes ces histoires de motivation, j'ai toujours trouvé ça vraiment très, très ringard. »

Mais pourquoi donc continuer à s'imposer ce régime de vie, alors que le désir d'arrêter est là?

« Pour le cash, mais en réalité, le cash, c'est de la marde, répond d'abord Aubin-Mercier. Mais il y a quand même quelque chose de spécial à être deux fois champions, quasiment du jamais vu dans la Professional Fighters League. Après ça, je vais pouvoir être barista jusqu'à la fin de mes jours et ne pas être stressé. Je m'achète du temps pour être avec ma famille, pour être heureux. Je ne voulais pas d'un job de 9 à 5 parce que je suis paresseux. Je veux du temps pour moi. »

Fondamentalement, Aubin-Mercier entend se retirer après sa victoire en finale de la présente édition des éliminatoires de la PFL prévue le 24 novembre, mais en même temps, il n'exclut pas la possibilité d'un retour si l'organisation lui permet d'effectuer un dernier tour de piste devant les siens. « Il y a quelque chose de très, très poétique là-dedans », fantasme-t-il à voix haute. Si j'ai l'impression que c'est la bonne chose à faire, alors je vais le faire. Mais si je vois que ça ne me tente pas du tout, je ne me mettrai pas de pression [pour revenir disputer un dernier combat].

« Il y a quelques années, j'avais écrit dans un agenda où je voulais me rendre dans ma carrière et il y avait un paragraphe pour dire quand j'allais devoir arrêter. Il était question de passion, de motivation et de blessures. Que s'il en manquait un des trois, alors il faudrait arrêter parce que ça pourrait devenir dangereux. Et depuis quelques mois, il en manque clairement un des trois. »

Aubin-Mercier évoque même la possibilité de ne pas participer à la finale s'il vainc Miranda le 23 août. « Si je vois que ça ne me tente pas, je l'envisagerai. C'est quand même un power move! »