Il y a 10 ans, le 18 janvier 2014, Jean Pascal et Lucian Bute s'affrontaient au Centre Bell
Cela devait être le premier chapitre d'une rivalité qui aurait pu s'étirer sur deux, trois et pourquoi pas quatre combats, mais cela a plutôt été le début de la fin de l'âge d'or de la boxe québécoise.
Il y a 10 ans jour pour jour, Jean Pascal et Lucian Bute s'affrontaient devant 20 479 spectateurs au Centre Bell, un duel qui en a laissé plusieurs sur leur appétit et qui, avec le recul, était le signe annonciateur d'une époque révolue qu'il est difficilement possible de penser revivre aujourd'hui.
Au moment où ils croisent le fer, près de huit mois après la date initialement prévue, Jean Pascal et Lucian Bute ne sont pas nécessairement au paroxysme de leur carrière. À vrai dire, les deux anciens champions du monde se cherchent après avoir été détrônés quelques années plus tôt.
Un certain changement de garde est également en train de s'opérer, puisqu'Adonis Stevenson s'est emparé de la ceinture des poids mi-lourds du WBC, mais l'histoire nous apprendra qu'il ne passera jamais près d'atteindre les niveaux de popularité et d'intérêt de ses deux contemporains.
Ancien détenteur du titre qui appartient maintenant à Stevenson, Pascal a disputé deux combats extrêmement relevés contre Bernard Hopkins en décembre 2010 et mai 2011, mais il n'a pas été en mesure d'arracher une victoire (un verdict nul majoritaire et un revers par décision unanime).
Quant à Bute, plusieurs croient qu'il ne s'est pas encore remis de sa défaite face à Carl Froch en mai 2012 à Nottingham, en Angleterre. Oui, il a battu Denis Grachev à son combat de retour en novembre de la même année, sauf que sa prestation ce soir-là était très, très loin d'être convaincante.
C'est finalement parce qu'il est à court d'options que Bute accepte d'affronter Pascal. Ce dernier renoncera même à un deuxième duel contre Chad Dawson dans le but d'en découdre avec son éternel rival. Il faut dire que Pascal court après Bute depuis que ce dernier est devenu champion en 2007. Tout oppose les deux boxeurs qui possèdent chacun une horde de partisans.
Ce n'est cependant pas le cas des promoteurs Yvon Michel et Jean Bédard qui avaient collaboré dans le passé. Les discussions se déroulent rondement dans le plus grand secret et ils annoncent à la surprise générale en février 2013 que le choc désespérément attendu se tiendra le 25 mai.
Bute se blesse toutefois au poignet gauche à l'entraînement début mai et le Québécois d'origine roumaine devra être opéré pour retirer des fragments d'os, ce qui entraîne le report du combat. L'intérêt pour la rencontre au sommet n'en pâtira pas, bien au contraire. Les deux clans sont très médiatisés et pratiquement tout le monde semble avoir un avis éclairé sur la conclusion du duel.
Parmi eux, Éric Lucas, dont Bute est le dauphin. Mais en entrevue à RDS.ca en février 2013, l'ex-champion des super-moyens du WBC étonne en affirmant que Pascal part avec « une longueur d'avance ». Lucas précise que bien que Bute soit un bien meilleur boxeur que Pascal, il est d'avis que « ça va se passer entre les deux oreilles » et que Pascal est simplement imbattable là-dessus.
Jean Pascal et Lucian Bute en 2014
Le gentleman de la boxe québécoise ne s'était pas trompé, car Pascal contrôlera le message de A à Z jusqu'au soir fatidique. Tantôt Pascal s'en prendra à Bute, tantôt à l'entraîneur de ce dernier, Stéphan Larouche, avec qui il collaborera plusieurs années plus tard. Il frappera l'imaginaire à la pesée en se collant du ruban adhésif en forme de « X » sur la bouche pour le dernier face-à-face.
De son côté, comme s'il avait essayé de se convaincre de quelque chose, Bute promettra une « destruction », après avoir mentionné qu'absolument rien ne pouvait l'arrêter. Destruction il y aura, mais jamais comme lui, son entourage et ses nombreux partisans auraient pu l'anticiper.
Pascal a en effet fait ce qu'il voulait avec Bute pendant la quasi-totalité des douze rounds et la domination fut telle, qu'il n'y aura jamais de véritable intérêt pour une revanche. Au final, Pascal a obtenu ce qu'il souhaitait plus que tout au monde : obtenir le dernier mot sur ses détracteurs.
Encore à ce jour, il est difficile d'expliquer ce qui s'est produit ce soir de janvier 2014, mais chose certaine, plusieurs ont encore en tête les images de Bute sur l'écran du Centre Bell pendant sa marche vers le ring. Le visage défait et les traits tirés, il donnait l'impression d'un athlète qui avait finalement craqué sous la pression et qui savait pertinemment qu'il s'en allait à l'abattoir.
Les lendemains seront évidemment fort différents pour les deux boxeurs. Pascal connaîtra des moments forts – il redeviendra champion du monde contre toute attente en 2019 – et d'autres plus difficiles – ses deux défaites contre Sergey Kovalev et celle face à Dmitrii Bivol notamment.
Bute ne remporta qu'un seul autre combat – contre l'obscur Andrea Di Luisa – et ne sera pas de taille face à James DeGale et Eleider Alvarez. Il soutirera entre ces deux défaites un verdict nul à Badou Jack, mais qui deviendra un revers à la suite d'un contrôle antidopage positif à l'ostarine. Pascal aura également des problèmes avec des substances interdites – des stéroïdes – en 2021.
Bon nombre d'amateurs sont ressortis déçus et échaudés du choc Pascal-Bute et l'intérêt pour le sport au Québec s'est étiolé, malgré quelques succès ponctuels ici et là. La compétition entre les deux boxeurs avait permis à la boxe d'entrer de plein fouet dans la culture populaire et les deux groupes derrière eux rivalisaient intensément pour s'approprier les lucratives parts de marché.
Mais l'absence de véritable relève à Bute ainsi que la perte du contrôle de l'agenda sur la scène internationale ont également mené Bédard à vendre InterBox à Eye of the Tiger Management. L'entreprise ne ménage pas ses efforts pour mettre de l'avant des athlètes spectaculaires, sauf qu'il n'y a que David Lemieux qui est éventuellement devenu brièvement champion du monde.
Marie-Ève Dicaire et Kim Clavel quant à elles ont insufflé un vent nouveau avec leur parcours particulièrement inspirant au cours des dernières années, mais l'engouement est resté modeste.
Ce 10e anniversaire de Pascal-Bute est évidemment une formidable occasion de revenir dans le passé, mais en même temps, un cruel rappel que le temps passe et que les choses changent et évoluent. Aujourd'hui, nous pouvons nous estimer chanceux d'avoir été des témoins privilégiés de cette époque que seul un concours de circonstances exceptionnel nous permettra de revivre.