Tour de France: stratégie et passe-temps des poids lourds en montagne
Rattrapés par les lois de la gravité quand la pente s'élève et mis au supplice par l'allure déchainée de Jumbo-Visma et UAE-Emirates, les grosses cuisses du peloton trouvent le temps long dans une étape comme celle de mercredi avec le terrifiant col de la Loze.
« La Loze ? Je ne l'aborde pas avec énormément d'envie, je dois avouer », concède le charpenté Oliver Naesen, coureur de classiques chez AG2R-Citroën taillé pour battre le vent et le pavé.
« La seule fois où je l'ai fait, c'était le jour de mon anniversaire quand le Tour avait été décalé en septembre. En arrivant là-haut, je jure, j'ai dit ''c'est la dernière fois que je fais cette montée de malheur" », raconte le Belge qui rend une douzaine de kilos à un coureur tel que le maillot jaune Jonas Vingegaard. « C'est une éternité. Tu arrives à Méribel, après 15 km de montée à 5% et là tu vois le panneau ''début de col''. »
Il s'était classé 50e ce jour-là en 2020, à 25 minutes des favoris Primoz Roglic et Tadej Pogacar, battus à l'arrivée, donnée alors au sommet, par le Colombien Miguel Angel Lopez.
Point positif, lui et les autres « humains normaux », comme il dit, ont profité cette année de deux jours pour souffler, entre la journée de repos de lundi et le contre-la-montre sans enjeu pour eux de mardi.
« Seul à l'arrière, pas une option »
Car l'objectif est de ne pas lâcher les meilleurs dès la première ascension mercredi, celle du col des Saisies. « Il faut rester dans le peloton jusqu'à ce que l'échappée soit partie », devise Yves Lampaert, habitué à accompagner ses sprinteurs à bon port, comme quand Fabio Jakobsen était arrivé dans les délais pour seulement seize secondes l'an passé à Peyragudes.
« Si on suit son propre rythme trop tôt, trop loin, on se retrouve seul à l'arrière et ce n'est pas une option », ajoute-t-il. Rapidement distancé dans l'étape vers le Grand Colombier, l'Australien Caleb Ewan relégué à un quart d'heure avant même la montée finale, avait jeté l'éponge par exemple.
La stratégie consistant à se faire tracter par une voiture, technique de triche dont le meilleur sprinteur de tous les temps Mark Cavendish a longtemps été soupçonné, n'est plus d'actualité. Les smartphones inondant les cols et les réseaux sociaux suppléent désormais des commissaires n'ayant pas le don d'ubiquité.
Le mois dernier, 31 coureurs du Giro Next Gen, réservé aux espoirs, ont été disqualifiés pour s'être accrochés à divers véhicules dans l'ascension du Stelvio, un moment capté en vidéo. Commentaire du jeune retraité des pelotons (2022) Philippe Gilbert: « A nos débuts pros ça aurait simplement été une journée normale! »
Saucisson, roue arrière et verre
Avant le terrible col de la Loze (28km à 6%) aux pentes si irrégulières, le Cormet de Roselend, plus roulant, sera emprunté mercredi. Le Français Victor Lafay, vainqueur de la 2e étape du Tour, y avait faussé compagnie lors du Tour de Savoie Mont Blanc à ses compères du gruppetto, le nom du groupe d'attardés, pour prendre le temps d'acheter un saucisson dans une échoppe au sommet, raconte le podcast de l'Equipe consacré au Tour.
La vie à l'arrière est propice aux facéties comme les roues arrières de Peter Sagan ou la pose de Julian Alaphilippe empoignant la fourche d'El Diablo il y a quelques années. Mais Benoit Cosnefroy a franchi un cap en s'arrêtant samedi au milieu de la foule dans le col de Joux plane pour y engloutir un verre avant de repartir.
« Je me suis arrêté brièvement avec un groupe de copains qui viennent chaque année voir une étape », raconte le puncheur d'AG2R-Citroën. « C'était de la Badoit dans le gobelet », sourit-il.
Pour les sprinteurs les plus lourds comme Alexander Kristoff et Dylan Groenewegen, ou le meurtri Adrien Petit, tombé samedi, l'ambiance sera moins à la fête mercredi. La Loze avait éliminé Jens Debusschere, garde du corps de Bryan Coquard, hors délai il y a trois ans.
Elle pourrait faire d'autres victimes si l'étape est entamée pied au plancher comme souvent cette année. « Dès qu'un Jumbo-Visma attaque, les UAE-Emirates lui sautent sur la gorge, c'est une course comme chez les jeunes », décrit Oliver Naesen.
« Et leur niveau est bien plus élevé que le reste du peloton, souffle-t-il. Le tempo de Christophe Laporte dans le col de la Ramaz samedi, c'est le seuil de deux tiers du peloton, à savoir le chiffre que tu peux tenir une demi-heure maximum si ta vie en dépendait. Donc ça pète dans tous les sens. Et ce n'est que leur premier mec à travailler, imagine les autres...»