Alexis Lafrenière : les signes d'une éclosion
MONTRÉAL – Alexis Lafrenière sort-il simplement d'une grosse semaine au bureau ou vient-il d'embrayer pour de bon à une vitesse supérieure, celle que de plus en plus d'observateurs commençaient à croire hors de sa portée après ses trois premières saisons avec les Rangers de New York?
L'avenir dira s'il ne s'agissait que d'une éphémère éclair de génie, mais dimanche soir, le premier choix du repêchage de 2020 pourrait avoir servi une leçon sur les vertus de la patience à ceux qui auraient été tentés d'abandonner sur son cas. Contre les Blue Jackets de Columbus, Lafrenière a forcé la tenue d'une période supplémentaire en marquant son deuxième but du match alors qu'il ne restait qu'onze secondes au cadran. Un peu plus tard, en fusillade, il a mis le feu au Madison Square Garden en plaçant, à bout de bras, un tir du revers dans la lucarne.
Cette séquence virale est venue mettre un point d'exclamation sur la semaine la plus productive de la carrière professionnelle du jeune homme de Saint-Eustache. Il a maintenant récolté des points dans quatre parties consécutives, dont trois dans une victoire de 4-1 contre le Wild du Minnesota. Il est tôt pour extrapoler, mais à ce rythme – il revendique 11 points en 14 parties – il surpassera sa production de l'an dernier avant la fin du mois de janvier.
Il suffit de syntoniser un match des Blue Shirts pour constater que les statistiques ne racontent qu'une partie de l'histoire de cette éclosion attendue. Sur la patinoire, Lafrenière semble avoir retrouvé le dynamisme et la bravade qui caractérisaient son jeu avec l'Océanic de Rimouski et, surtout, avec Équipe Canada au championnat du monde de hockey junior. Il fonce où il avait pris l'habitude de ralentir, il provoque où il avait pris l'habitude d'éviter, il ose où il avait pris l'habitude d'hésiter.
À 22 ans, après plus de 250 matchs dans la Ligue nationale, il semble plus que jamais dans son élément.
« Le potentiel a toujours été évident aux yeux de tous. Mais maintenant, je le sens en confiance et c'est ce qui fait la différence », nous dit un recruteur professionnel basé sur la côte est américaine. Notre homme estime avoir scruté entre 25 et 30 matchs des Rangers au cours des deux précédentes campagnes. Cette année, il a déjà assisté au tiers des matchs de l'équipe.
« Au début de l'année, Kaapo Kakko et lui étaient sur les deux premiers trios. Éventuellement, ils ont descendu Kakko pour le remplacer par Blake Wheeler, mais Lafrenière a gardé sa place. Je crois qu'il s'est dit : "Ok, ils croient en moi maintenant". Il joue plus librement. L'équipe a eu du succès avec Gerard Gallant, mais avec Peter Laviolette, les Rangers jouent à un rythme plus élevé et sont plus agressifs. Je crois qu'Alexis en bénéficie », nous dit notre source.
Les propos de notre observateur anonyme trouvent écho dans ceux de Stéphane Dubé, l'entraîneur personnel de Lafrenière durant la saison morte. Les observations de Dubé valent leur pesant d'or en raison des liens serrés qu'il entretient avec son jeune élève. Les deux travaillent ensemble depuis une dizaine d'année – ils se sont côtoyés quotidiennement pendant une partie du séjour de Lafrenière à Rimouski – et sont constamment en contact durant l'hiver.
« Est-ce que le kid a "tourné le coin"? Moi je pense que oui, estime Dubé. Parce que pour la première fois, je le vois jouer avec confiance. Je vois qu'il a du fun présentement. Il a trouvé sa place. »
L'effet Panarin?
La corrélation facile serait d'associer les succès de Lafrenière à la présence constante d'Artemi Panarin à ses côtés. Aucune équipe n'a encore été capable de blanchir le Russe de la feuille de pointage. Faire la paire avec un tel magicien confère évidemment des avantages indéniables, mais encore faut-il s'avérer à la hauteur du privilège. Jouer avec les piliers des Rangers n'a pas toujours été un gage de succès pour le jeune Québécois.
Recrue, Lafrenière s'est avéré plus efficace en compagnie des jeunes Kakko et Filip Chytil (47,8% des tentatives de tirs générées en 125 minutes à 5-contre-5) qu'avec Mika Zibanejad et Pavel Buchnevich (42,9% pendant 166 minutes). La saison suivante, Lafrenière a été moins menaçant en compagnie de Zibanejad et Chris Kreider qu'il ne l'a été avec Chytil et Julien Gauthier.
Mais l'an dernier, son niveau de confort avec les vétérans a été plus tangible : les Rangers ont obtenu près de 59% des tentatives de tirs durant les 152 minutes au cours desquelles a joué avec Panarin et Vincent Trocheck. Et cette année, qu'il soit complété par Chytil ou par Trocheck, le duo Lafrenière-Panarin est une combinaison gagnante à Manhattan.
Il lui a fallu du temps, mais le grand rouquin a fini par se débarrasser de ses complexes en compagnie des vedettes avec qui il partage le vestiaire.
« J'ai eu plusieurs conversations avec lui à ce sujet, confie Dubé. Il me le disait qu'avec ces gars-là, il cherchait plus à leur donner le puck. C'est un réflexe normal quand tu joues avec des super vedettes. Inconsciemment, tu sors un peu de ta game et le succès n'est plus là. »
« Il joue assurément un style plus direct que dans le passé. C'est nord-sud avec de la vitesse, a remarqué notre recruteur. Les Rangers ont essayé plusieurs gars avec Panarin dans les dernières années et ça n'a pas toujours fonctionné. La chimie qu'on voit entre les deux jusqu'à maintenant, je crois que c'est le résultat de tout le travail qu'Alexis a fait pour solidifier son jeu cette année. »
« Il n'avait pas l'air de travailler fort »
Le travail. C'était un peu l'éléphant dans la pièce avec Lafrenière et la raison principale, au fond, de notre appel à Stéphane Dubé.
Le printemps dernier, en rentrant au Québec après l'élimination des siens au premier tour des séries, Lafrenière a laissé derrière lui des critiques de plus en plus bruyantes concernant son ardeur au travail. Steve Valiquette, un ancien gardien oeuvrant comme analyste des matchs des Rangers au réseau MSG, avait dit de Lafrenière : « Il a besoin d'un été dans le gymnase. Il a besoin de laisser ses bâtons de golf dans le placard et de mettre toute son énergie dans le hockey. »
« Je crois qu'on l'a tous vu, témoigne notre espion. Des gradins, il y a eu des soirs dans les dernières années où il n'avait pas l'air de travailler très fort, où on le remarquait à peine. Je n'assiste pas aux entraînements de l'équipe, mais je sais que la situation a dégénéré au point où il était malheureux, il jouait peu, il était laissé de côté. Je ne dis pas que les Rangers ont essayé de l'échanger, mais les médias posaient des questions. On dit qu'il n'y a pas de fumée sans feu. Son niveau d'effort n'était certainement pas à la hauteur de ce qu'il donne aujourd'hui. Heureusement pour les Rangers, [le DG] Chris Drury a été patient avec lui. »
Sans surprise, Dubé défend son protégé avec véhémence lorsque ces allégations lui sont transmises.
« Je n'ai jamais eu à le pousser dans le dos. Si tu voyais l'horaire que je lui monte. Des fois, c'est deux à trois séances par jour. Jamais il ne m'a dit que c'était trop ou que ça ne lui tentait pas. Jamais je n'ai entendu ça de sa voix. »
Le préparateur physique atteste que Lafrenière a été assidu à l'entraînement durant toute la saison morte. « L'éthique de travail pour moi, ça n'a jamais été un problème, insiste-t-il. "Laf" n'est pas le volubile et ce n'est pas le genre de gars qui va mettre sa vie sur les réseaux sociaux pour montrer qu'il travaille fort. Mais cette année, je peux te dire qu'il était prêt en calique. »
Jusqu'à maintenant, cette affirmation se vérifie dans le rendement du jeune numéro 13. Voyons s'il saura maintenir son encourageante cadence.