Infiltrations, insomnie et bistouri : l'inspirant retour de Sean Couturier
MONTRÉAL – Pour un joueur qui venait à peine de retrouver le haut niveau, la décision était audacieuse.
Sean Couturier a patiné vers sa droite à sa sortie du rond central, a traversé lentement la ligne bleue et a effectué quelques dribbles pendant qu'il redirigeait sa course vers Thatcher Demko. Arrivé au point de mise en jeu, le tireur gaucher a pivoté pour tourner le dos au gardien, s'est laissé glisser à reculons et, dans un geste brusque, s'est retourné de nouveau pour décocher un tir vif contre l'intérieur du poteau.
La sobriété de sa célébration ne rendait pas justice à l'importance du moment. Le grand joueur de centre venait de marquer, sur un tir de pénalité, son premier but dans la Ligue nationale en 22 mois.
« Ça, c'est deux ans sans jouer avec trop de temps pour penser et utiliser mon imagination! », lance Couturier de sa chambre d'hôtel de Las Vegas où RDS l'a joint pour discuter de son retour au jeu, l'une des belles histoires de ce début de saison dans la LNH.
« C'est quelque chose que j'ai travaillé l'été dernier dans les pratiques, en niaisant un peu. Mais je me suis rendu compte que ça fonctionnait quand même assez souvent contre les gardiens. Il me restait à le faire en situation de match. Je suis content que ça ait fonctionné. »
Une fois qu'il a eu l'assurance que les infiltrations de cortisone, les deux opérations au dos et les symptômes persistants ne menaceraient pas la suite de sa carrière, c'est ce que Couturier a craint le plus. Que le talent qui l'avait aidé à connaître deux saisons de 76 points ne lui permette plus de suivre la cadence. Qu'il lui suffise tout juste pour être un passager dans l'équipe qui en avait fait son plus haut salarié.
Même avec un contrat de huit ans en poche, la peur de ne plus être à jour et d'avoir été dépassé par la nouvelle génération lui a servi à la fois de réveille-matin, de guide alimentaire et de coup de pied au derrière au gymnase.
« Quand ma blessure est arrivée, je pense que ma game était vraiment sharp. À 28, 29 ans, j'étais au summum de ma carrière, j'étais vraiment en contrôle. Au début je pensais manquer seulement trois ou quatre mois, une demi-saison. Finalement, ça a été quasiment deux ans. Là, tu te questionnes : est-ce que je vais revenir au sommet de ma forme ou est-ce que je vais juste être un gars qui revient de blessure, qui a ralenti ? Il y a beaucoup d'insécurité et de questionnement. »
Descendre
Le récit de ce qu'a traversé Couturier avant même de se résoudre à mettre sa carrière en veilleuse est matière à éveiller les consciences et à provoquer une réflexion sur les critiques que l'on peut formuler envers un athlète dont les résultats sont en déclin.
L'ancien des Voltigeurs de Drummondville raconte que les maux de dos faisaient partie de sa réalité depuis déjà trois ans lorsqu'ils l'ont finalement forcé à passer chez le chirurgien. Qu'environ une fois par année, la douleur le paralysait pendant deux ou trois jours, puis finissait par s'estomper.
Mais en décembre 2021, l'inconfort l'importunait depuis près d'un mois sans relâche. « Je trouvais le moyen de jouer malgré tout, les thérapeutes m'arrangeaient avant les matchs pour faire en sorte que je me sente bien. Mais si je me faisais frapper ou j'allais frapper quelqu'un, je pouvais sentir un "pop!" et je finissais le match en douleur. »
Une semaine avant Noël, dans un match contre les Sénateurs d'Ottawa, Couturier a encaissé une mise en échec anodine et a su qu'il avait poussé sa chance.
« Je savais que j'étais un peu dans le trouble, que c'était plus grave que d'habitude, parce qu'entre les périodes, je n'étais plus capable de m'asseoir dans mon casier. Je passais l'entracte debout. Ensuite je revenais sur la glace et j'étais droit comme une barre. La nuit, je n'étais plus capable de dormir, je réveillais ma femme en hurlant aux petites heures du matin. Des fois je me couchais par terre, sur le plancher, pour me soulager. Ça aidait un peu, mais le plus souvent je passais des nuits blanches. »
Après les Fêtes, une injection a calmé la douleur et lui a redonné espoir. En janvier, il se croyait sur la bonne voie pour réintégrer la formation d'Alain Vigneault. « Puis on dirait que du jour au lendemain, le médicament a arrêté de faire effet », dit-il. En février, il était opéré. Sa saison était terminée.
L'espoir d'avoir mis le doigt sur le bobo a vite fait place au doute. Pendant son entraînement estival, des pincements dans une fesse et dans une jambe l'inquiétaient.
« Je pense qu'il était craintif après la première opération parce qu'il n'était pas sûr qu'ils avaient réglé le problème, intervient son père Sylvain. Il avait encore de la douleur, certains mouvements étaient inconfortables pour lui. Quand, à une étape assez avancée de sa remise en forme, il m'a dit : "J'ai pris une shot et j'ai senti un crack dans mon dos", je me disais que ce n'était pas bon signe. »
Et remonter
Au camp d'entraînement, dès qu'il a commencé à pousser la machine, les appréhensions de Couturier se sont confirmées et le même cycle s'est remis en marche. Douleur, soulagement, espoir, résignation. Une autre opération s'est imposée, avec les effets que vous pouvez imaginer sur le moral.
Il y a eu des moments de découragement. « Souvent, on aurait dit que je faisais un pas de l'avant pour en faire trois en arrière. Je vais te l'admettre, ça a pris pas mal plus de temps que je croyais. » De la frustration, aussi. Quand les Flyers ont préféré le garder à l'écart alors qu'il avait le feu vert pour revenir au jeu, à la fin de la saison dernière, il ne s'est pas gêné pour exprimer son désaccord à Daniel Brière, son DG. « Je voulais prouver que j'étais de retour, retrouver mes sensations sur la glace », explique-t-il.
« Je n'ai jamais senti, en aucun moment honnêtement pendant deux ans, que Sean avait lancé la serviette. Je trouve ça important. Il a toujours été positif. Il y en a plusieurs qui se questionnaient, on m'en parlait beaucoup. Mais dans sa tête, je n'ai jamais senti qu'il avait joué sa dernière partie dans la LNH. Il a toujours été positif. »
« Il y a des moments où tu te demandes si tu vas être capable de jouer de nouveau, précise le fiston. Mais ça n'a jamais été une option de lâcher, d'abandonner. Aussitôt que ces questions-là passaient dans ma tête, c'était comme ok, on travaille plus fort demain. »
Couturier a tout de suite retrouvé un rôle important sous le règne de John Tortorella. Il est de loin l'attaquant le plus utilisé des Flyers avec un temps de jeu qui s'approche de celui qui lui était confié pendant ses meilleures années offensives. Son taux d'efficacité aux cercles de mises en jeu n'est pas encore à la hauteur de ses standards, mais c'est quand même lui qui va le plus souvent au duel en zones offensive et défensive.
En plus d'un nouvel entraîneur, il doit encore se familiariser avec un effectif dans lequel il y a eu beaucoup de roulement pendant sa mise au rancart. Même si la présente saison est plutôt bien amorcée, ce n'est un secret pour personne que les Flyers sont en reconstruction. Couturier, sous contrat jusqu'à ses 37 ans, veut jouer un rôle clé dans ce projet.
Ça a beaucoup à voir avec sa loyauté envers l'équipe qui l'a repêché. Un peu, aussi, avec la détermination qui lui a permis de garder le cap au cours des deux dernières années.