Jonny Murray : 1500 matchs à imposer le respect
Jonny Murray roulait sur l'autoroute 20 entre Québec et Montréal lundi après-midi.
Entre la capitale où il est né, a grandi, a appris à patiner et à jouer au hockey avant de troquer le chandail des Gouverneurs de Sainte-Foy midget AAA pour celui de juge de lignes et la métropole où il prendra part, mardi soir, à son 1500e match en carrière dans la LNH alors que les Panthers de la Floride croiseront le Canadien au Centre Bell.
Avec son épouse à ses côtés, Murray profitait de ce court trajet en comparaison aux dizaines de milliers de kilomètres parcourus au cours de son stage de huit ans dans la LHJMQ, pour pleinement savourer la portée de cet exploit. Pour repenser aux six finales de la Coupe Stanley auxquelles il a participées et aux autres qu'il souhaite obtenir. Car celui qui deviendra mardi seulement le cinquième officiel québécois à atteindre le plateau des 1500 matchs dans la LNH – les autres sont les arbitres Marc Joanette, et Dave Jackson, son grand ami et complice l'ancien juge de ligne Pierre Racicot , ainsi que Gérard Gauthier – est loin de penser à la retraite.
Sous contrat pour encore six saisons, il pourrait ranger son sifflet à la fin de la saison 2029-2030 après 30 ans de carrière.
Il ne lui manquerait alors que quelques matchs pour atteindre le plateau des 2000 dans la LNH. Pourquoi ne pas repousser la retraite un brin et se rendre à ce plateau? Ce qui pourrait offrir le titre « de 2000 à 2000 » à sa biographie puisque c'est à l'automne 2000, dans le cadre d'un affrontement Ottawa-Dallas, qu'il a pris part à sa toute première rencontre dans la Ligue nationale?
« Parce que je respecte trop le hockey et les joueurs qui le jouent pour rester sur la glace seulement pour m'attarder à un chiffre. J'aimerais me rendre à 30 ans de service parce que peu d'officiels ont pu y arriver. Mais je tiens d'abord et avant tout à être efficace sur la glace. Je ne veux pas être traîné par mes « partners ». Il faut écouter son corps et sa famille. Et si je me rends compte que je ne suis plus capable de suivre le rythme, je tirerai la « plogue » avant», que Murray réplique sans hésiter.
Respecter les autres et être respecté
Le respect du hockey, de règles qui le régissent et des joueurs qui le pratiquent est la pierre d'assise du travail de Murray.
C'est ce qui a permis à un jeune qui baragouinait quelques mots d'anglais lorsqu'il a sifflé ses premiers arrêts de jeu dans la LNH en 2000, de vite se tailler une place dans le circuit et de rapidement monter en grade pour devenir l'un des meilleurs juges de lignes de la planète hockey.
Mais le respect des autres et la quête de respect à son endroit et celui de ses proches sont au centre de sa vie personnelle tout autant. Et Murray n'a jamais reculé devant rien ni personne pour obtenir ce droit au respect.
À l'aréna de Beauport — « le p'tit cabane » — où jouaient les Harfangs de Joe Canale qui ont ensuite fait renaître les Remparts au Colisée, Murray devait composer avec le harcèlement incessant d'un groupe de matamores qui occupaient une section tout entière. Des matamores qui injuriaient les joueurs des clubs adverses et lançaient des bananes sur la patinoire devant des jeunes hockeyeurs noirs dont Peter Worrell alors membre des olympiques de Hull.
Ils ne ménageaient pas non plus un jeune partisan des Harfangs qui souffraient d'un léger retard mental. Ce jeune s'appelait Steven Murray. Le frère de Jonny Murray. Le juge de ligne pouvait composer avec les critiques à son endroit. Mais quand les injures et les moqueries ont bifurqué vers son frère, il s'est interposé comme il l'a fait des milliers de fois au cours de sa carrière pour stopper des bagarres.
Un soir de match des Harfangs, alors que Murray ne travaillait pas, il est allé s'asseoir dans la section des matamores afin d'obtenir respect pour lui et son frère.
« Il y a des gars qui avaient dépassé les limites. Je ne pouvais pas accepter ça », se contente simplement de répondre Murray.
Plus jeunes, plus rapides
La LNH a beaucoup changé depuis que Murray y a posé les patins pour la première fois.
Les joueurs sont de plus en plus jeunes. Ils sont de plus en plus talentueux. Ils sont surtout de plus en plus rapides.
« C'est sensationnel de voir la vitesse du jeu et la qualité des joueurs. À mes débuts, la moyenne d'âge était autour de 29 ans. Aujourd'hui à 29 ans, tu es un vieux. À mes débuts, il y avait sept ou huit Martin St-Louis, des gars de petites tailles et qui sont très bons, dans la Ligue au grand complet. Aujourd'hui, il y en a deux ou trois dans chaque équipe. À mes débuts, les bâtons servaient autant à accrocher un adversaire pour le ralentir qu'à contrôler la rondelle. Aujourd'hui, il y a beaucoup moins d'accrochage. Le jeu est plus ouvert. Plus rapide. Beaucoup plus rapide », reconnaît Murray en riant.
À cause de cette vitesse accrue, Murray est très ouvert aux nouvelles règles adoptées par la Ligue et qui permettent de contester certaines de ses décisions.
« On est très attentif à tout ce qui se passe sur la patinoire, mais si on manque un "call" je n'ai rien contre le fait qu'il soit révisé. Des fois, ça nous prend quelques minutes pour analyser un jeu au ralenti sur plusieurs angles différents et même là ce n'est pas toujours clair. Imagine à la vitesse réelle, dans le feu de l'action, avec un seul angle à ta disposition. En fin de compte, l'important est que les bonnes décisions soient rendues », plaide le juge de lignes.
La régression du nombre de bagarres a aussi changé la nature du travail de Murray et de ses collègues.
« J'ai dû intervenir dans quelque chose comme 3000 bagarres au cours de ma carrière. Les bagarreurs à l'époque nous respectaient. Et quand on disait que c'était fini en entrant entre eux, ils arrêtaient de se battre. Mais on a tous encaissé des taloches de temps en temps dans le feu de l'action. Aujourd'hui, il n'y a pratiquement plus de gars qui sont là pour se battre. Mais quand les gants tombent, les gars sont vraiment en colère et ils arrêtent moins vite quand on intervient. Ce n'est pas toujours évident... »
Une place au Temple de la renommée?
S'il maintient le rythme, garde sa place au sein des meilleurs officiels de la planète, ajoute quelques finales de la Coupe Stanley et qui sait des Jeux olympiques et d'autres Coupes du monde, Murray pourrait se retrouver un jour au Temple de la renommée.
.Il pourrait y rejoindre Michel Goulet et Peter Stastny, ses idoles de jeunesse, et les 12 officiels qui y sont déjà dont les juges de lignes John d'Amico, Matt Pavelich, Neil Armstrong et Ray Scapinello. Sans compter d'autres, comme Pierre Racicot, qui pourrait aussi s'y retrouver avant lui.
« Lâche-moi avec ça! Je me considère déjà assez chanceux de vivre la carrière que je vis », réplique Murray qui sera entouré de 65 parents et amis ce soir pour le duel Canadien-Panthers et lors de la réception qui suivra la partie.
« Le plateau des 1000 matchs – atteint le 28 décembre 2016, encore au Centre Bell, et encore alors que les Panthers faisaient escale à Montréal – c'était vraiment spécial. Il y a avait eu une cérémonie. Mardi, ce sera le fun pour mes parents, pour ma femme, pour mes enfants, pour mon frère, pour tous mes amis qui seront à Montréal. Ça fait bien des billets à acheter, mais j'ai été chanceux. Éric Pichette, un ami d'enfance, est aujourd'hui le président de la compagnie Qualinet. Il a invité 12 de mes proches, dont mes parents et mon frère, dans sa loge. Ça va éponger un peu la facture... »
Et pour l'occasion, Murray – les officiels peuvent choisir l'endroit et avec qui ils veulent travailler dans le cadre d'un match spécial – a demandé et obtenu des dirigeants de la LNH que Frédérick L'Écuyer, Eric Furlatt et Ryan Daisy l'accompagnent sur la patinoire.
« Fred est un bon ami. Eric et moi sommes entrés dans la LNH en même temps après avoir fait le tour de la LHJMQ ensemble pendant huit ans. Ryan est le seul Américain qui a choisi de s'établir à Montréal parce que sa femme y travaille. Il est plus jeune, mais est devenu un très bon chum. Nos épouses sont amies aussi. C'est un gars que j'ai un peu pris sous mon aile. Je suis bien content de compter sur eux pour le match. Ce sera une belle soirée. »