La carrière de Steve Moore dans la Ligue nationale de hockey a pris fin subitement en mars 2004 lorsque Todd Bertuzzi l’a frappé par derrière, le conduisant face première contre la glace et lui infligeant ainsi une importante commotion cérébrale. Subséquemment, Bertuzzi avait été suspendu pour le reste de la saison et avait, en 2006, plaidé coupable à une accusation de voies de fait causant des lésions corporelles.

Parallèlement, Moore avait déposé une poursuite civile devant un tribunal de l’Ontario en 2006 dans laquelle il réclamait 68 millions de dollars à titre d’indemnisation. Le dossier devait normalement se déplacer en cour le 8 septembre prochain, mais les parties en ont décidé autrement.

Il faut comprendre qu’il est commun dans les affaires civiles que les parties s’engagent dans des pourparlers avant le procès. Mais pourquoi ces parties voudraient-elles régler à l'amiable? La certitude de règlement est souvent préférable à l'incertitude d'un procès.

Moore peut réclamer et obtenir des dommages-intérêts de la part de Bertuzzi dans la mesure où il a commis une faute. Ici, la preuve vidéo du coup que Bertuzzi a asséné à Moore est accablante et il serait difficile pour Bertuzzi d’exclure sa responsabilité. Or, même si cette preuve est en soi irréfutable, il n’en demeure pas moins qu’il n’y a aucune certitude quant au montant qu’un tel coup mériterait. Le tribunal pourrait accorder un montant inférieur à ce qui est demandé dans la poursuite de Moore ou encore un montant inférieur à ce qui est offert par Bertuzzi dans le cadre des négociations. Ainsi, il faut considérer qu’une poursuite n’est pas toujours synonyme de victoire et que son résultat est souvent incertain. Un arrangement à l'amiable a certes son lot d’avantages, car un procès engendre de longs délais et de nombreux coûts.

Une poursuite en responsabilité civile telle qu’instituée par Moore en 2006 comprenait deux fardeaux : prouver la responsabilité de Bertuzzi et fixer le quantum des dommages. Incontestablement, les préjudices subis par Moore sont bien réels, mais encore faut-il les quantifier et démontrer la faute de Bertuzzi tout en établissant un lien causal entre la faute et les dommages. Ici, Moore réclamait 68 M$, mais est-ce que cette somme était raisonnable et que comprenait-elle?

Tout d'abord, ce montant devrait justifier la perte de capacité de gains, laquelle s’évalue à partir de ses revenus en dépit de l'accident en tenant compte de l’âge de Moore à ce moment précis, de sa situation antérieure quant à ses habitudes de vie et à son occupation. En l’espèce, Moore avait 25 ans au moment de l’accident et un avenir très prometteur. Par exemple, nous pourrions estimer que Moore avait le potentiel de poursuivre une carrière dans la LNH pendant 10 ans à raison de 3 millions/année. Évidemment, ce salaire pourrait être discutable et plusieurs experts auraient été entendus à ce sujet lors du procès.  

Ce montant devrait aussi couvrir la perte de gains futurs en dehors de sa carrière au hockey et ce, dans la mesure où il est établi que Bertuzzi est responsable. Il faut comprendre qu’après la LNH, Moore aurait pu poursuivre une carrière parallèle. Il appert que Moore est un diplômé de l’Université Harvard, lequel aspirait à travailler dans le domaine des affaires ultérieurement. Toutefois, il a été mentionné que, dix ans après l'accident, Moore souffre toujours de symptômes relatifs à sa commotion cérébrale dont de graves problèmes de concentration. En raison de ses problèmes cognitifs découlant directement de sa commotion cérébrale, il n’est pas fonctionnel sur le marché du travail. En conséquence, les gains futurs suivant sa carrière au hockey ont été considérablement compromis et Moore doit être compensé pour cette perte.

Qui plus est, ce montant pourrait comprendre le paiement de ses frais juridiques partiels ou complets en plus du remboursement des frais engagés pour les soins et les médicaments. Par ailleurs, les préjudices non pécuniaires subis par Moore tels que la perte de jouissance de la vie, les inconvénients, les souffrances physiques ou morales, pourront être aussi compilés dans la réclamation. Ce montant est normalement établi par expertise médicale en vue de fixer en pourcentage des indices objectifs sur la gravité des blessures et des limitations subies par Moore. Bien entendu, la question du montant des dommages est certainement complexe et nécessite la preuve d'experts. Les deux parties ont probablement des positions très différentes de ce que constitue une compensation appropriée dans les circonstances. Or, dans la mesure où il y a une entente, elle devrait normalement être conclue à l’entière satisfaction des deux parties. Il importe toutefois de mentionner qu’une entente ne contient aucune admission quelconque de responsabilité de la part de Bertuzzi.

Somme toute, pourrions-nous prétendre que c’est la LNH qui ressort gagnante de cette affaire? Même si la LNH n’était pas directement visée par cette poursuite, elle l’était indirectement. Sans aucun doute, l’institution d’un procès aurait placé sous la loupe la nature même du hockey, de telle sorte que le sport aurait subi son propre procès, particulièrement un procès sur sa culture de la violence. Ce faisant, une telle situation aurait implanté un inconfort au sein de la LNH en ce que plusieurs dirigeants, dont Garry Bettman, auraient probablement été appelés à témoigner sous serment.

Une entente entre les deux parties évite ainsi à la LNH de se trouver sous les projecteurs.À moins que les parties conviennent d’une divulgation partielle des termes de cette entente, sa teneur en restera confidentielle. Il n’en demeure pas moins que cette entente doit être entérinée par un juge pour lui donner une valeur légale officielle.

D’ici là, l'affaire n'est pas réglée.