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RÉSULTATS

Le carnet de voyage à Doha de Nicolas Landry

Coupe du monde 2022 La Coupe du monde 2022. - Getty
Publié
Mise à jour

DOHA, Qatar – C'est fou comme le temps passe vite, vous ne trouvez pas? Difficile de croire qu'il y a déjà six mois, l'équipe canadienne quittait le Qatar. Maintenant, c'est notre tour.

 

Comment? Bon, on peut s'être trompé de quelques semaines. Voyez-vous, la notion du temps devient un concept plutôt abstrait sur la couverture d'une Coupe du monde, un marathon de 35 jours duquel on ressort avec la vague impression d'avoir vécu trois vies en une.

 

Être sur place pour documenter l'un des plus grands événements sportifs de la planète, c'est s'émerveiller devant le privilège de vivre l'Histoire... et s'étonner d'en avoir oublié des grands bouts quelques heures plus tard.

 

On va essayer de vous résumer ça du mieux qu'on peut.

 

Sportivement, ce Mondial n'a pas déçu. Le Canada n'a pas été l'équipe Cendrillon que plusieurs espéraient, mais il a quand même laissé des souvenirs qui taquineront l'imaginaire des enfants de nos enfants. Les larmes de Kamal, la bataille contre les Belges, la tête de Davies. Le genre d'images qui, dans le grand ordre des choses, rendront toujours anecdotiques les victoires et les défaites.

 

La phase de groupes a offert des surprises comme on les aime – l'Arabie Saoudite sur l'Argentine, l'Australie sur le Danemark, la Tunisie sur la France – et donné lieu à des moments de suspense galvanisant. En quarts de finale, un programme idéal : sept puissances attendues et un formidable intrus, le Maroc, assurément l'un des protagonistes les plus marquants du dernier mois. Les arrêts de Bounou contre l'Espagne, le jaillissement d'En-Nesyri contre le Portugal et surtout ses supporteurs, une jolie bande de cinglés, auront donné à ce tournoi une saveur inimitable. 

 

Et que dire de cette finale! 

 

Mais cette Coupe du monde n'allait jamais se résumer qu'au terrain, à ses vedettes et leurs exploits. Elle est née dans une controverse qui ne s'est jamais estompée pendant qu'elle suivait son cours et dont elle continuera de porter le poids bien après que ses stades aient été démantelés.

 

À bien des égards, elle nous a laissés sur notre appétit.

 

Rien de ce qu'on a vu au Qatar, ou presque, n'a existé de manière organique. À l'exception des rassemblements spontanés qui ont animé la vieille ville, tout apparaissait planifié, encadré, contrôlé. On a travaillé fort pour créer des espaces festifs qui, selon la plupart des échos reçus, ne l'ont pas vraiment été.

 

Même autour des stades, où étaient naturellement concentrés les mordus, l'excitation était diluée par les précautions excessives mises en place pour éviter les débordements. Des supporters qui n'en étaient pas à leur premier barbecue nous ont confié avoir été déçus par l'ambiance.

 

Doit-on s'en surprendre? À moins que votre définition du bonheur ne soit une petite promenade au centre d'achat, Doha ne peut être définie comme la capitale du plaisir. On peut mettre un masque de singe à un canard, il ne commencera pas à grimper aux arbres.

 

À défaut d'être en liesse, la ville sera restée nette, nette, nette. Les débordements qui étaient craints en raison de l'arrivée massive de visiteurs dans un pays deux fois plus petit (et beaucoup moins beau) que la Gaspésie n'ont pas eu lieu. À quelques heures de notre départ, tout était aussi propre qu'à notre arrivée. Pas une poubelle qui déborde, pas une trace de soulier dans le métro. Impressionnant? Oui. Mais aussi préoccupant.

 

Parce que cette volonté obsessive de projeter une image parfaite au reste du monde s'est faite sur le dos des milliers de travailleurs migrants dont le sort a été maintes fois documenté. Ce sont eux qui passaient maladivement la vadrouille pour effacer systématiquement toute trace de passage dans les toilettes des stades. Eux qui patrouillaient les trottoirs et les stationnements sous le soleil du midi à la recherche du moindre grain de sable. Eux qui nettoyaient, jour après jour, les hôtels de luxe des quartiers huppés. En plus d'un mois, on n'a pas vu un Qatari ne serait-ce que vider un cendrier.

 

Quelques-uns de ces travailleurs ont perdu la vie durant la présentation de la Coupe du monde. Un Philippin est décédé en effectuant des travaux de réparation au camp de base de l'équipe d'Arabie Saoudite. La réponse du comité organisateur – quelque chose comme « on va tous mourir un jour » - n'a pas aidé à la réputation du pays. Un garde de sécurité kenyan a aussi fait une chute fatale pendant un match au stade Lusail, où a eu lieu la finale.

 

La FIFA aussi a trouvé le moyen de se mettre les pieds dans les plats. Son président, Gianni Infantino, s'est attiré les moqueries avec une conférence de presse complètement surréaliste la veille du match d'ouverture. Celle qu'il a donnée un mois plus tard n'était pas exempte d'inepties non plus. Parmi ses autres faux pas, il faudra retenir sa décision controversée d'empêcher aux capitaines de sept équipes de porter un brassard arc-en-ciel en guise de support aux communautés LGBTQ+. A-t-il déjà entendu parler de l'expression « choisir ses combats »?

 

Après un long mois de travail – beaucoup de mots, des petits maux et même quelques chameaux – il est l'heure de rentrer. Le prochain cycle de quatre ans qui culminera avec la présentation de l'événement au Canada, aux États-Unis et au Mexique s'annonce passionnant. Entre les départs et les infusions de sang neuf qui toucheront notre équipe nationale et les nouvelles compétitions grâce auxquelles elle pourra continuer sa progression, on y arrivera en se demandant comment le temps a pu passer si vite.

 

Sans sarcasme cette fois.