L'inestimable héritage de Serena Williams pour le tennis
Plus qu'une domination, c'est une révolution que Serena Williams a imposée au tennis féminin durant ses vingt ans de règne - quasiment - sans partage, même si elle restera à jamais bloquée à une unité du record absolu de Margaret Court en Grands Chelems.
Elle a « changé le tennis », en a « ouvert les portes », a « inventé l'intimidation », fait venir le « business », relevait pour l'AFP son coach Patrick Mouratoglou en septembre 2021, pour expliquer en quoi sa championne était la plus grande joueuse de l'Histoire.
Depuis qu'on lui a mis dans les mains sa première raquette, peu après son quatrième anniversaire, seule sa sœur Venus a, par moments, contesté sa supériorité. C'était le cas dans leur enfance, dans le ghetto noir de Compton, à Los Angeles, car Serena était la cadette de quinze mois et attirait moins les regards que sa longiligne sœur.
Mais leur père, Richard, ne s'y est jamais trompé. Lorsqu'un entraîneur lui avait assuré qu'il tenait en Venus, alors âgée de dix ans, « le prochain Michael Jordan au féminin », il avait répondu: « Non, je tiens les deux prochains ».
Cet ancien gérant d'une société de gardiennage a été le personnage-clef de la carrière des sœurs Williams, qu'il a façonnées depuis leur plus jeune âge, apprenant le métier d'entraîneur dans des livres et des vidéos.
Repérées rapidement - le New York Times en parlait déjà alors qu'elles n'avaient pas dix ans - les sœurs Williams ont d'abord écumé le circuit à deux. C'est Serena qui a gagné le premier titre du Grand Chelem de la famille à l'US Open en 1999, juste avant de fêter ses 18 ans. Puis Venus est devenue no 1 mondiale en 2002, peu avant sa sœur. De Roland-Garros 2002 à l'Open d'Australie 2003, quatre tournois du Grand Chelem consécutifs se sont terminés par la même affiche: Williams contre Williams. Du jamais vu.
Gagner par K.-O.
L'argent aussi a rapidement afflué. Des marques d'équipement sportif ont fait signer aux deux sœurs dès leur préadolescence des contrats de plusieurs millions de dollars qui ont bouleversé la vie de cette famille de neuf membres, les parents ayant eu cinq autres enfants de précédentes unions.
Puis les trajectoires des sœurs ont divergé. Alors que Venus se spécialisait de fait dans le gazon de Wimbledon, où elle gagna cinq fois, Serena étendait sa domination sur toutes les surfaces grâce à une tactique simple: profiter de son incomparable puissance pour frapper le plus tôt et le plus fort possible et gagner par K.-O. Pas question de se laisser entraîner dans de longs échanges où ses kilos de muscles finissent par être lourds à porter.
Ses armes? Le service, frappé parfois à plus de 200 km/h, et le coup droit. La confiance aussi. Elle est persuadée que, quand elle joue son meilleur tennis, personne ne peut la battre. Mais les circonstances ne lui ont pas toujours permis de s'exprimer.
En 2003-2004, elle fut absente huit mois après une opération à un genou. Même si elle n'avait alors que 21 ans, on avait douté qu'elle rejoue au tennis, semblant accaparée par d'autres centres d'intérêt, la mode ou la télévision.
Tragédie
En 2010, elle se taillada les pieds en marchant sur du verre brisé, puis en mars 2011, une embolie pulmonaire faillit lui coûter la vie. Ses déboires, et surtout la tragédie qui a frappé sa famille en septembre 2003 lorsque sa demi-sœur Yetunde fut tuée par balles à Los Angeles, l'ont rendue plus humaine aux yeux du public, dont une partie était fatiguée de la voir gagner.
Quelques mois avant, elle avait été sifflée à Roland-Garros, elle qui a pourtant toujours dit son amour de Paris, où elle possède un appartement. Ces gens n'imaginaient pas que dix ans plus tard, entraînée par le Français Patrick Mouratoglou, elle s'exprimerait dans la langue de Molière sur le court central.
À la tête d'un immense palmarès - 7 Open d'Australie, 3 Roland-Garros, 7 Wimbledon, 6 US Open et aussi treize titres du Grand Chelem en double avec sa sœur et quatre médailles d'or olympique (une en simple, trois en double) - Serena Williams a longtemps couru après un 24e titre majeur en simple pour égaler le record de l'Australienne Court, établi entre 1959 et 1975.
Alors que certains auraient pu voir dans la naissance de son premier enfant en septembre 2017, après une grossesse et un accouchement compliqués, un signe de retraite anticipée, la cadette des Williams a au contraire démontré que sa fille Olympia était pour elle une motivation supplémentaire de vouloir inscrire son nom dans l'histoire du tennis.
Revenue à la compétition en mars 2018, Serena s'est glissée quelques mois plus tard en finale de Wimbledon et de l'US Open et a renouvelé cette performance en 2019. En 2020, elle a ajouté un 73e titre à son palmarès à Auckland, mais n'est jamais parvenue à rejoindre Court.
Même si elle avoue elle-même qu'elle « n'aurai(t) jamais pensé jouer à (s)on âge », elle a repoussé la retraite aussi longtemps que possible. « Je ne sais pas quand cela va s'arrêter pour moi. (...) Je suis à un moment de ma carrière où je ne peux pas être satisfaite », avait-elle expliqué à Roland-Garros 2020, quelques jours avant de déclarer forfait sur blessure.
À 40 ans, l'heure de ranger les raquettes a finalement sonné, même si ce fut un crève-coeur de l'annoncer quelques semaines avant un dernier US Open. Au point qu'à New York, en proie aux larmes, elle a lâché un « on ne sait jamais », juste après avoir dit ne pas envisager de revenir sur sa décision.