C’est cruel, le vélo. Ça peut vous briser le cœur et anéantir vos plus beaux espoirs en quelques kilomètres. Vous pouvez être remplis de vos plus belles illusions le matin, au départ, puis vous les faire bordurer comme un malpropre l’après-midi par un peloton qui n’a aucune pitié. Et dans la traversée de ces Pyrénées qui ont tant forgé la légende du Tour, on a encore une fois été les spectateurs attentifs de cette cruauté que l’on ne peut s’empêcher d’aimer, finalement, tant elle rend ce sport si particulier. 

Thibaut Pinot ne sera sans doute pas du même avis que vous et moi, et on ne pourra certainement pas lui en vouloir. Parce que quand le sort s’acharne sur vous, vous n’avez que faire de cette magie qui entoure le cyclisme, et les perdants, aussi magnifiques soient-ils, ne sont toujours que des perdants. Alors que lui et ses coéquipiers de la FDJ s’étaient pris pour de vrais flahutes, le pif dans le vent sur la route de Lavaur, et que les planètes comme les cols des Pyrénées semblaient enfin s’aligner pour le coureur français, tout s’est écroulé sur les pentes du Port de Balès. En l’espace de quelques kilomètres, les cœurs meurtris à peine guéris des partisans de Pinot furent à nouveau brisés, et le souvenir des larmes qui coulaient un jour de tempête sur les sommets des Alpes refit tragiquement surface. Entourés de ses fidèles équipiers, on assistait plus à un enterrement de première classe qu’à une tentative désespérée de sauvetage. La procession est sans doute demeurée bien silencieuse, et les tapes dans le dos de ses compagnons de galère pour motiver le Franc-Comtois, bien que bienveillantes et réconfortantes, ne sauraient le guérir de tous ses maux. Arrivé 25 minutes après un autre Français qui, lui, est allé chercher son jour de gloire dans la vallée, le malheureux Thibaut s’engouffrait dans son car d’équipe sans un mot pour Marc Madiot. Mais que peuvent encore les mots quand le sort semble s’acharner sur vous ? L’an passé, dans cette chambre d’hôtel, bien loin du tumulte d’une étape secouée par les éléments, les mots de Madiot essayaient tant bien que mal de trouver leur chemin pour essayer de toucher la corde sensible d’un coureur en détresse. Il va falloir une grande créativité dans le discours pour le patron de la FDJ pour la toucher encore. Car Thibaut a payé cher le prix de la malchance, avec un corps sans doute plus fragile que la moyenne de ses confrères. Certains diront que ce gars-là n’a pas le mental des vainqueurs de grand tour. Et peut-être que, finalement, l’un joue sur l’autre et inversement. De là à le fusiller sur les médias sociaux, il n’y a qu’un pas que certains n’ont pas hésité à franchir. Certes, ça peut commencer à faire beaucoup pour continuer à implorer la malchance, mais ça ne sert pas à grand-chose de tirer sur l’ambulance, surtout quand celle-ci continue de rouler. Thibaut doit se poser toutes les questions du monde en ce moment, sur sa carrière, sur son avenir de coureur cycliste, sur son envie de faire tous ces sacrifices pour finalement les donner en pâture à un sort qui semble lui en vouloir. Romain Bardet se les est sans doute déjà toutes posées, lui qui a déjà terminé deux fois sur la boîte au soir de la dernière étape du Tour, si proche, mais à la fois si loin de pouvoir faire à nouveau retentir La Marseillaise sur la plus belle avenue du monde. La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent, disait Albert Einstein. Et il n’est pas fou, l’ami Romain, lui qui part vers d’autres cieux que ceux savoyards à la fin de l’année. Personne ne sait de quoi sera fait son avenir, mais s’enlever un peu de pression, ça ne peut pas faire de mal. Est-ce que la vie de chasseur de maillot jaune est faite pour Thibaut ? Il n’y a que lui qui puisse répondre à cette question. Mais on dirait bien que cette vie-là n’a de cesse de lui torturer le corps et l’esprit, alors qu’un Thibaut heureux peut aller vous décrocher la lune sur les routes de la belle Lombardie. Pour un coureur français aussi talentueux, admettre qu’il n’y a pas que le Tour dans la vie, c’est peut-être la première étape vers le bonheur.

Des questions, Marc Hirshi ne s’en pose pas. Du moins, pas encore. À 22 ans, le jeune Suisse en est encore à l’âge où l’insouciance vous fait bouger des montagnes. Et Dieu sait qu’il en a bougé en roulant vers Laruns. Parti seul avec encore une centaine de bornes à se farcir sur des routes qui montent et qui descendent, le champion du monde U23 à Innsbruck a montré à la face du monde qu’il avait les cannes pour gravir les sommets. Et les descendre, comme en témoignent ses belles habiletés de descendeur. C’est cruel, le vélo. Ça peut vous briser le cœur et anéantir vos plus beaux espoirs en quelques kilomètres. Deux, pour être précis. Et pourtant, quand Hirschi a lancé son sprint après avoir été repris par la crème de la crème, il ne s’est toujours pas posé de questions. Parce que sans doute qu’à son âge et avec son talent, on n’en a pas mille à se poser.